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Opportunités, limites, et enjeux éthiques : quels scénarios pour l'IA en 2025 ?
ChatGPT, Gemini, xAI ou encore Claude : on ne compte plus le nombre d’agents conversationnels basés sur l’IA qui font parler d’eux chaque semaine. Acteurs d’un marché qui pourrait atteindre USD 1’339 milliards1 d’ici cinq ans, les géants de l’industrie technologique jouent des coudes dans la course au modèle d’IA générative le plus performant. Et pour cause, les enjeux sont aussi vastes que colossaux : contrats et applications dans le secteur de la défense2, participation à la souveraineté technologique des nations, transformation de l’économie et du marché du travail, notamment.
De par son omniprésence, l’IA fascine autant qu’elle inquiète. Où en sommes-nous réellement dans cette révolution ? Peut-on contrôler son développement ? Est-elle arrivée à maturité et quelles sont ses prochaines grandes étapes ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré Alexandre Pouget, Professeur en neurosciences computationnelles à l'Université de Genève et expert en IA, qui navigue entre science, prospective et réflexion sur le rôle de l’intelligence artificielle dans l’évolution humaine.
L’IA, qu’est-ce que c’est ?
L’IA est une tentative de reproduire sur ordinateur toutes les capacités cognitives de l’être humain. Dans les premiers jours de l’IA, l’idée était d’égaler les capacités humaines. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’on va a priori les surpasser assez rapidement. La question est de savoir comment s’y prendre, par exemple en reprenant les mécanismes de fonctionnement du cerveau et comment les neurones se parlent les uns aux autres.
Il y a eu un bond monumental sur les 10 dernières années… Mais ce n’est qu’une étape intermédiaire vers une IA plus générale
Dans les années 1970, on a essayé de reproduire nos capacités de raisonnement en étudiant les êtres humains, mais sans s’intéresser spécifiquement aux neurones. Depuis 20 ans, on essaie de reproduire les capacités d’intelligence humaine, mais en reprenant les mécanismes neuronaux du fonctionnement du cerveau.
À quel stade de son existence l’IA se trouve-t-elle aujourd’hui, selon vous ?
Il y a eu un bond monumental sur les 10 dernières années. On se retrouve au niveau humain, voire au-delà sur de nombreuses tâches, comme la reconnaissance de visages ou d’objets. Mais ce n’est qu’une étape intermédiaire vers une IA plus générale, qui sera davantage comme un être humain et capable d’être plus autonome. Nous sommes aujourd’hui sur des échelles de temps beaucoup plus courtes, de 10 à 50 ans, alors qu’il y a peu, on parlait de nombreuses décennies.
Quels domaines du quotidien seront selon vous le plus affectés dans les prochaines années ?
On va atteindre un stade où plusieurs personnes seront à notre service en permanence. On aura tous des assistants personnels nous aidant à planifier notre vie, dans tous ses aspects.
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Pour ceux qui expérimentent ChatGPT, on voit qu’il sert déjà d’assistant. Dans le futur, ce sera davatange personnalisé. Restera à savoir quel type de relations on développera avec ces assistants dans l’intimité.
Mais pour les robots, il y a des contraintes physiques. La robotique n’est pas encore suffisamment avancée. L’autre problème, c’est que ça consomme beaucoup d’énergie. La technologie n’est pas encore prête sur ce point. Quand ce sera le cas, ça révolutionnera des domaines entiers, comme la santé, avec des assistants en maisons de retraite, par exemple.
C’est intéressant car peut-être pour la première fois de son histoire, l’industrie de l’IA elle-même demande à être régulée
Aujourd’hui, les grands blocs économiques s’affrontent sur l’IA. Entre les États-Unis, la Chine et l’Europe, qui progresse le plus vite ?
Pour l’instant, les États-Unis sont largement devant, il ne faut pas se faire d’illusions. Si la Chine ou la Russie passent devant, cela pourrait devenir dangereux car ces nations sont à la main d’autocrates.
En Europe, certains disent que nous sommes bridés par les régulations, mais je n’ai pas cette impression. Certes, nous sommes les premiers à créer des chartes pour définir une éthique de l’IA, mais avec mes collègues, on ne ressent aucune contrainte imposées par ces chartes dans nos travaux.
Revenons aux États-Unis. C’est intéressant car peut-être pour la première fois de son histoire, l’industrie de l’IA elle-même demande à être régulée. Et même si OpenAI font exactement l’inverse de ce qu’ils ont annoncé en devenant une organisation à but lucratif, vous n’imaginez pas le nombre de publications par jour qui dévoilent tous les secrets de ces systèmes-là. Je ne suis donc pas très inquiet.
Quels dangers et quels avantages peut représenter l’IA pour la société humaine ?
Les avantages sont évidents. On passe une étape de plus dans l’évolution. Les systèmes d’intelligence artificielle iront bien au-delà des hommes. Il y a une chose qu’on oublie à chaque fois : nous ne sommes qu’un moment dans l’évolution, et on se regarde un peu trop le nombril en pensant que l’Homme en constitue l’apogée.
Les systèmes d’intelligence artificielle iront bien au-delà des hommes. Il y a une chose qu’on oublie à chaque fois : nous ne sommes qu’un moment dans l’évolution
Les systèmes d’IA seront extraordinaires et capables de résoudre des problèmes complexes de physique ou de biologie. Prenez 3 heures de cours sur le cancer. C’est d’une complexité inouïe. Ce sont des choses que les systèmes d’intelligence artificielle pourront modéliser pour nous. En physique, sur l’énergie noire et la matière noire, des calculs monumentaux seront effectués par l’IA.
Karim Lakhani, Professeur en Workplace technology & AI à la Harvard Business School, déclare « L’IA ne remplacera pas les êtres humains – mais les êtres humains avec IA remplaceront ceux sans IA ». Êtes-vous d’accord ?
Tout dépend de ce qu’il entend. S’il s’agit d’assistance humaine par l’IA, il est clair que si vous ne savez pas utiliser l’IA, vous serez moins compétitif. Mais s’il parle d’humains hybrides avec IA, ce qui est une possibilité dans le futur, là, c’est une certitude. Mais je ne suis pas encore convaincu que ce soit la prochaine étape.
Par exemple, d’un point de vue biologique, le cerveau est un miracle d’efficacité énergétique. Du point de vue de l’ingénierie, c’est cet aspect qui est le plus intéressant : comment descendre à des consommations de l’ordre de 100 watts3 pour un corps humain et 20 watts pour le cerveau4 ? Ce sont des chiffres incroyables en termes d’efficacité énergétique du système, que l’IA est incapable d’égaler aujourd’hui. Les ingénieurs aimeraient bien reproduire cette prouesse.
Dans les décennies qui viennent, ce sera la course à des IA personnalisées, et celui qui aura la meilleure se taillera la part du lion.
L’IA est déjà largement utilisée dans le secteur bancaire pour lutter contre la fraude, trier des données et détecter des anomalies, par exemple. Pensez-vous qu’elle remplacera un jour les banquiers ?
S’il s’agit d’utiliser l’IA comme outil pour l’octroi de crédit, par exemple, pourquoi pas. Il y a également la dimension compétitive, ce qui est complexe, car si toutes les institutions utilisent des systèmes d’IA similaires, qu’est-ce qui différenciera une banque d’une autre ? Dans un premier temps, les services de relation clientèle en agence seront rapidement transformés par l’IA.
Pour la gestion de patrimoine, il s’agira plus d’assistance par l’IA que de remplacement. Mais la question à se poser est que se passe-t-il si tout le monde a la même IA ? D’un hedge fund à un autre, par exemple, il faudra valoriser des compétences que l’autre n’aura pas, et le plus important sera de développer son propre modèle IA. Dans les décennies qui viennent, ce sera la course à des IA personnalisées, et celui qui aura la meilleure se taillera la part du lion.
Constatez-vous des secteurs qui utilisent mieux l’IA que d’autres ?
Dans les domaines de la recherche médicale ou de la médecine en général, ça arrive à toute vitesse. Par exemple, si vous êtes médecin, des startups proposent d’enregistrer la conversation avec votre patient et c’est le système d’IA qui fait un résumé de la consultation. Ce sont des gains de temps incroyables.
Dans la recherche, l’écriture est déjà faite par l’IA, la programmation également. Elle pourra bientôt nous assister dans la réflexion face aux problèmes. Dans certains domaines, les applications concrètes sont déjà là, comme pour AlphaFold, l’outil d’intelligence artificielle qui a permis aux Nobel de chimie 2024 de découvrir des structures de protéines en un temps record5.
En dehors de vos travaux de recherche, y a-t-il des œuvres qui vous ont inspiré et influencé votre manière d’appréhender le sujet de l’intelligence artificielle ?
Très tôt dans ma carrière, le livre L’homme neuronal de Jean-Pierre Changeux a changé ma vie. Nous sommes dans les années 80 et il constitue le premier manifeste réductionniste, basé sur des neurosciences, qui explique que vous êtes un réseau de neurones, rien d’autre, et que tous les aspects de votre psyché s’y rapportent. J’avais 19 ans à l’époque. Je m’aperçois aujourd’hui à 57 ans que lorsque j’en parle, la plupart des gens sont ébahis et n’arrivent pas à accepter cette idée-là.
Le film Blade Runner pose également toutes les grandes questions de l’IA et annonce les dangers qu’elle représente, d’un point de vue du dépassement de l’Homme et d’un point de vue éthique. Il faut que tout le monde voie ce film. Les robots sont censés y rattraper les capacités humaines, et il nous dévoile ce qui se passe lorsque c’est le cas.
Beaucoup d’incertitudes demeurent. Il y a 7 ou 8 ans, très peu de gens auraient été capables de prédire la révolution ChatGPT et ce qu’il est capable de faire aujourd’hui
Nous sommes en 2035. Quelle place occupe l’IA dans la société ? Les machines nous ont-elles complétés ou remplacés ?
À un horizon de 10 ans, je vois difficilement les machines nous remplacer, mais l’IA aura transformé notre quotidien. Les assistants seront partout et à notre disposition sur nos smartphones. Mais je ne pense pas que ça ira plus loin.
Il y a aujourd’hui une certaine saturation. ChatGPT et consorts commencent à saturer car ils n’ont plus de données « fraîches » d’entraînement, et je n’ai pas encore vu apparaître l’idée d’après. C’est-à-dire des systèmes autonomes, doués de planification pour poursuivre des objectifs donnés et de s’organiser en totale autonomie par rapport à ceux-ci.
Il faut bien comprendre que la révolution actuelle s’appuie sur des idées vieilles de 30 ans, qu’on a reprises sur des ordinateurs plus puissants. Y a-t-il une nouvelle idée de l’ordre de celles apparues dans les années 80, et qui changerait la donne ? Je ne la vois pas encore. Mais beaucoup d’incertitudes demeurent. Il y a 7 ou 8 ans, très peu de gens auraient été capables de prédire la révolution ChatGPT et ce qu’il est capable de faire aujourd’hui.
Le présent document de marketing a été préparé par Banque Lombard Odier & Cie SA (ci-après « Lombard Odier »).
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