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Éviter la catastrophe : changer nos modes d’alimentation est le seul moyen de lutter contre l’instabilité alimentaire
Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, limitant l’offre alimentaire mondiale, les Nations Unies ont lancé un sévère avertissement – une vague de famine se prépare.
Avant le début de cette année, le monde était déjà confronté au défi majeur consistant à nourrir une population qui ne cesse d’augmenter. Près de 10 % de la population mondiale était aux prises avec une forte insécurité alimentaire, cette proportion atteignant plus de 20 % dans les pays les moins développés. En parallèle, les systèmes alimentaires ont causé une destruction accélérée des habitats naturels, 90 % de la déforestation étant attribuable au développement de l’agriculture. Sachant que la population mondiale est vouée à augmenter à 10 milliards d’individus d’ici 2050, soit 2 milliards de plus qu’aujourd’hui, ces pressions risques de s’aggraver.
Ce qui était déjà une rude bataille est devenu encore plus difficile lorsque la Russie a envahi l’Ukraine. Les tensions sur les approvisionnements ont bouleversé les marchés alimentaires mondiaux. Les prix du blé et du maïs se sont envolés, de même que les prix de l’énergie, faisant grimper les coûts de la production d’aliments.
L’alerte lancée par l’ONU est claire et sans ambiguïté : cette crise alimentaire pourrait durer des années, et des dizaines de millions d’individus pourraient être plongés dans l’insécurité alimentaire, la faim voire la famine.
Mais existe-t-il une solution à ce problème causé par l’Homme ?
Le panier est vide
Réputée être le « grenier à blé du monde », l’Ukraine exportait 4,5 millions de tonnes de produits agricoles chaque mois avant l’invasion. Ce volume représentait 12 % des exportations mondiales de blé, 15 % de celles de maïs et la moitié de celles d’huile de tournesol. Avec la Russie, les deux belligérants produisent près d’un tiers des exportations mondiales de blé.
Les retombées de la guerre ont promptement fait sentir leurs effets. Alors que le conflit entrait dans son quatrième mois, les spécialistes estimaient que le monde disposait de seulement 10 semaines d’approvisionnements en blé. Les pénuries ont rapidement fait grimper les prix – ceux du maïs étant un temps en hausse de 28 %, tandis que les prix du blé ont flambé de 41 % avant de retomber. Alors que conflit provoquait la fermeture de ports tels qu’Odessa et Tchornomorsk, les exportations ukrainiennes de blé ont dû être acheminées par voie terrestre, diminuant fortement l’offre.
Puis est venue la hausse des prix de l’énergie. Avant la guerre, environ 40 % du gaz destiné aux ménages en Europe provenait de Russie, ainsi que 46 % du charbon utilisé pour produire de l’électricité et alimenter l’industrie. Après l’éclatement du conflit, les prix des combustibles se sont envolés, amenant les ménages européens à être directement impactés par la guerre.
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La hausse des coûts de l’énergie amène différents pays à rechercher des alternatives, certains d’entre eux faisant le choix des biocombustibles issus des céréales. Cette transition a pour effet de réduire les terres agricoles dédiées à la production alimentaire, limitant à son tour les surfaces hors d’Ukraine qui pourraient être utilisées pour compenser le déficit de céréales. Qui plus est, les prix des engrais se sont envolés à la suite de la flambée des prix du gaz naturel, un intrant essentiel dans la production d’engrais azotés.
Cette hausse a eu des retombées sur la production de maïs aux Etats-Unis, qui utilise des volumes d’engrais considérables, certains évoquant la possibilité que des agriculteurs se reconvertissent dans la production d’autres cultures. Selon le département de l’Agriculture des États-Unis, les agriculteurs américains prévoient de réduire leurs plantations de maïs de 4 % lors de ce printemps. Au Brésil, le niveau élevé des prix semble également menacer la culture du maïs.
Pris dans leur ensemble, ces facteurs augurent un désastre pour l’approvisionnement alimentaire mondial, les populations les plus pauvres et les plus marginalisées risquant d’être les plus touchées. Les habitants des régions souffrant de systèmes agroalimentaires fragiles sont particulièrement vulnérables, selon l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial, qui appellent à agir pour empêcher une famine dans 20 « points chauds de la faim ».
Selon les Nations Unies, la guerre aggrave la famine dans les pays du Sud, le blocage des ports en Ukraine et en Russie empêchant l’acheminent d’aliments de base. La période de plantation, qui a débuté en avril dans le cas de cultures telles que le blé, le maïs et le tournesol, a été perturbée par le manque de carburant et d’engrais. D’où la possibilité de nouveaux problèmes d’approvisionnement à venir.
Si la crise du coût de la vie défraie la chronique dans les pays occidentaux, le public ne semble pas avoir pris conscience de l’ampleur potentielle de la pénurie alimentaire. Le mois dernier, le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres a mis en garde contre la « menace d’une pénurie alimentaire mondiale » qui pourrait durer des années.
L’évolution du prix du blé illustre clairement l’ampleur du problème. Alors qu’il se négociait à environ 6,78 dollars le boisseau il y a un an, ce prix atteint désormais 8,86 dollars. « Soyons clairs, » a déclaré António Guterres, « il n’existe pas de solution efficace à la crise alimentaire sans réintégrer la production ukrainienne. »
À la recherche de solutions
La guerre entraîne un regain d’attention sur un éternel problème. Bien avant l’invasion de l’Ukraine, le problème consistant à nourrir une population qui ne cesse d’augmenter pesait déjà lourdement.
Qu’en sera-t-il à l’avenir ? D’ici 2050, la population mondiale devrait compter 2 milliards d’individus supplémentaires, accroissant la pression sur un environnement déjà proche du point de rupture. Selon les meilleures projections, la production agricole devra augmenter de 60 %. Dans le pire des scénarios, elle devra doubler.
Comment dès lors réparer ce système au bord de la rupture ? En développant des systèmes alimentaires durables et en passant d’une économie à forte intensité en carbone à une économie propre.
Quatre changements essentiels devront être apportés : délaisser la viande en faveur d’aliments durables d’origine végétale, minimiser le gaspillage, accroître les rendements agricoles et réduire les émissions. Accroître la production alimentaire sans endommager la planète est un défi majeur, mais il est possible de le relever. Seulement en œuvrant sur ces quatre fronts simultanément parviendrons-nous à nourrir 10 milliards d’individus d’ici 2050.
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* La technologie a eu une influence progressive sur l’agriculture moderne, les techniques de précision permettant une analyse plus fine de la meilleure manière d’exploiter les terres. Les capteurs GPS qui équipent les tracteurs permettent aux agriculteurs d’agir en fonction des différents types de sols et d’utiliser uniquement la quantité d’eau et d’engrais nécessaire. Des puces intelligentes sur le bétail permettent désormais d’envoyer des données sur ses déplacements, son alimentation et son état de santé, permettant de traiter rapidement les problèmes qui surviennent. Des robots ont été développés pour récolter les fruits et les légumes même les plus fragiles, après que des ordinateurs ont déterminé le moment précis auquel il convient d’effectuer la récolte. Alors que ces technologies se limitaient auparavant aux grandes exploitations ou à celles en mesure d’en supporter le coût, ces avancées sont de plus en plus mises à la disposition d'exploitants de moindre taille, notamment en Afrique où se situe plus du quart des terres cultivables dans le monde. Les agriculteurs concernés reçoivent par exemple un rappel par SMS du meilleur moment pour procéder au désherbage et aux semis, un système qui a permis d’accroître le rendement des cultures de canne à sucre.
La quantité de nourriture que nous jetons est bien trop importante. Selon l’indice du Programme alimentaire mondial des Nations Unies, plus de 900 millions de tonnes d’aliments sont jetées chaque année, soit 17% de toute la nourriture disponible aux consommateurs. Pour réduire ce gaspillage, au niveau des ménages, les consommateurs sont incités à congeler les aliments et à privilégier les produits vendus à l’unité plutôt que ceux par paquets. Mais des programmes bien plus vastes sont en projet pour traiter ce problème. Des organismes sociaux au Royaume-Uni permettent aux clients de racheter les invendus des restaurants et des cafés à prix cassés via une application, tandis que des associations à but non lucratif réalisent la collecte d’aliments non utilisés auprès des commerces de gros qu’elles distribuent ensuite à des organisations caritatives et des écoles. En Europe, un projet financé par l’UE traite les déchets résultant de la production agricole pour les transformer notamment en emballages alimentaires et en produits phytosanitaires. Des spécialistes des données aux Etats-Unis agissent eux aussi pour réduire le gaspillage alimentaire à la source et pour optimiser les chaînes d’approvisionnement de sorte à rationaliser au maximum la production d’aliments. La nourriture vouée à être jetée est redistribuée à des banques alimentaires, et les aliments périssables sont recyclés pour la production d’énergie verte.
L’intelligence artificielle gagne du terrain dans tous les aspects de notre vie quotidienne, y compris dans la production alimentaire. Une part importante du gaspillage alimentaire résulte de systèmes de commandes déficients – en substance, la surestimation ou la sous-estimation des quantités requises par les clients. Ce problème peut être en partie rectifié grâce à des modèles d’intelligence artificielle, comme observé au Royaume-Uni où la chaîne de supermarchés Morrisons utilise l’outil Blue Yonder pour gérer de manière efficiente le réapprovisionnement des rayons, permettant ainsi d’améliorer de 30 % la disponibilité en rayon et de réduire dans le même temps les niveaux de stocks. À Londres, une société est parvenue à réduire de 70 % sa consommation d’eau en cultivant sous terre des micropousses, à l’aide de capteurs qui permettent d’en optimiser la culture. Le groupe IKEA utilise quant à lui un système fondé sur l’intelligence artificielle pour calculer la quantité d’aliments non consommés que produisent ses cuisines. Des caméras et des balances intelligentes « apprennent » à identifier la quantité d’aliments jetés et à en calculer le coût, permettant ainsi de réduire le gaspillage.
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Les avantages pour les investisseurs
Changer nos habitudes alimentaires, améliorer la production de nourriture et réduire le gaspillage sont les trois piliers de la réinvention du système alimentaire dont nous avons besoin pour nous préparer à un avenir marqué par l’accroissement de la population mondiale. Nous pourrons ainsi réduire les risques de dépendance qui peuvent survenir lors d’un événement tel que la guerre en Ukraine, des événements qui bouleversent une économie mondiale déjà fragile et qui alimentent la volatilité des marchés, affectant au premier chef les populations les plus pauvres.
Des bouleversements majeurs tels que la guerre en Ukraine se produiront immanquablement à l’avenir, remettant en question les fondements de l’économie. Mais pour assurer la solidité de ces fondements, nous devons changer notre rapport à la production alimentaire afin de moins dépendre d’un pays en particulier.
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