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« Un client qui nous présente à ses enfants, c’est le symbole de notre réussite » – entretien avec Frédéric Rochat
Article publié dans Handelszeitung le 4 septembre 2024.
Dans cette interview accordée au Handelszeitung, Frédéric Rochat nous parle du nouveau bureau de Zoug, du recrutement de nouveaux conseillers et de l’initiative sur l’imposition des successions.
Le canton de Zoug est la place économique la plus prospère de Suisse. Diverses banques y courtisent les clients fortunés : UBS, la Banque cantonale de Zoug, la banque Raiffeisen et Lombard Odier. Que pensez-vous de Zoug ?
Nous sommes impressionnés par l’esprit d’entreprise présent en Suisse centrale. Pour nous, l’ouverture de la succursale de Zoug offre la possibilité de nous rapprocher de nos clients dans cette région. Plusieurs banques s’y disputent la clientèle fortunée avec différents modèles d’affaires. Nous sommes convaincus que Lombard Odier peut offrir une valeur ajoutée attrayante. La région de Zoug et de Lucerne est extrêmement intéressante en raison de son réseau de PME (petites et moyennes entreprises) très dense.
Vous avez déplacé une équipe de treize personnes pour lancer votre bureau de Zoug. Pourtant, l’impact est encore négligeable en termes de nouveaux flux entrants. Etes-vous déçus ?
Nous réfléchissions à l’ouverture d’une succursale à Zoug depuis de nombreuses années. On peut bénéficier d’un nom bien établi et d’une promesse de vente solide, mais au final, tout dépend de la qualité des personnes qui font face aux clients. Ainsi nous avons de longue date envisagé l’ouverture d’un site à Zoug, sans toutefois trouver les collaborateurs qui nous convenaient.
Cela jusqu’en 2023, lorsque nous avons trouvé des banquiers chevronnés qui partageaient notre mode de pensée : une conscience aiguë des intérêts à long terme des clients, les mêmes valeurs et la même culture que nous. Compte tenu de cette adéquation parfaite, nous avons décidé de procéder à l’ouverture du bureau avec ces banquiers expérimentés. Quand nous ouvrons une succursale, nous le faisons toujours dans le cadre d’un plan sur trois à cinq ans.
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Avez-vous réussi à augmenter les fonds nets de la clientèle au premier semestre ?
Normalement, nous ne communiquons pas les flux entrants par ligne de métier, mais je peux indiquer que nous avons enregistré d’importants flux entrants de la part de nouveaux clients au premier semestre 2024. Cela confirme le bien-fondé de notre stratégie de croissance organique.
Vos concurrents s’en sortent mieux. EFG a recruté des conseillers venus de Credit Suisse, tout comme vous, mais affiche une croissance plus soutenue.
Notre modèle d’affaires se démarque de celui de nos concurrents. Nous sommes une banque en mains privées, nous misons sur la croissance organique et le recrutement ciblé de nouveaux conseillers pour soutenir notre croissance : tout cela prend du temps. Nous n’avons pas pour habitude d’embaucher de nombreux nouveaux conseillers et d’en remercier une grande partie à court terme. Notre approche est sélective. Nous recherchons la qualité, la cohérence et le partage de valeurs communes. Certains concurrents ont recruté trois ou quatre fois plus de conseillers : ce n’est pas notre façon de faire.
Alors quelle est votre approche ?
Notre objectif est de réaliser une croissance de haute qualité à long terme. Naturellement, chez Lombard Odier, la croissance visée implique aussi l’intégration de nouveaux conseillers, mais étant donné notre processus plus sélectif, l’impact à court terme n’est peut-être pas aussi marqué que chez certains de nos concurrents.
Est-ce que cela s’applique aussi à votre nouveau bureau de Zoug ?
L’ouverture de notre nouvelle succursale de Zoug suscite un vif intérêt de la part de nos clients et prospects. Il y a six ans, nous avons décidé de renforcer nos activités auprès de la clientèle suisse à partir de bureaux également situés en Suisse. D’où notre souhait de longue date d’être présents à Zoug, en plus de Genève, Zurich, Lausanne, Fribourg et Vevey.
Mais l’opportunité ne s’est présentée que l’an dernier, quand nous avons trouvé les bonnes personnes. Il ne s’agit pas simplement d’épingler un drapeau de plus sur la carte. L’équipe que nous avons recrutée à Zoug possède exactement l’esprit d’entreprise que nous recherchions. Quand nous établissons un nouveau site, ce « business case » permet d’atteindre un retour sur investissement positif dans les trois à cinq ans. Cela s’applique aussi à Zoug.
La Banque cantonale de Zoug recrute à tour de bras : elle acquiert de nouveaux clients et attire de nouveaux actifs. Elle a enregistré une progression de ses actifs sous gestion de plus de 6% au premier semestre. Vous ne citez aucun chiffre. Que pensez-vous de la concurrence ?
Nous sommes sur un marché extrêmement concurrentiel avec des clients exigeants et bien informés. Ils peuvent donc choisir précisément la banque qui répond le mieux à leurs besoins. Chaque banque présente un modèle d’affaires et des atouts qui lui sont propres. Certains clients choisissent une seule banque ou au contraire plusieurs, en fonction de ce qu’ils recherchent. Nous estimons que toutes les banques ont un potentiel de réussite à condition d’offrir un service d’excellence dans leur domaine respectif.
Les banques cantonales bénéficient de leur proximité géographique et de leur bilan robuste, mais aussi de l’élargissement de leur offre. Nous sommes une banque d’investissement pure axée sur les clients en quête d’une banque partenaire capable de les accompagner à long terme, ainsi que leur famille. Nous pouvons tout à fait être complémentaires des banques cantonales.
Nous poursuivons une stratégie à long terme, ce qui ne fait évidemment pas de nous un organisme caritatif. Les résultats doivent répondre à nos attentes et nous nous efforçons de toujours rester rentables dans chacun de nos secteurs d’activité. Pour nous, la rentabilité est la clé de l’indépendance à long terme.
Y parvenez-vous ? Votre bénéfice a reculé au premier semestre 2024.
Quand vous examinez nos chiffres, comme pour tous les gérants de fortune, vous devez faire une distinction entre le résultat de nos activités de gestion de fortune et l’évolution cyclique des produits d’intérêt nets. Le premier élément évolue conformément à nos attentes. Le deuxième élément affiche quant à lui un recul dans l’ensemble du secteur bancaire à l’heure actuelle.
Les coûts de Lombard Odier augmentent-ils plus rapidement que ses recettes actuellement ?
La croissance organique de notre activité et notre taux de capitalisation élevé nous permettent d’investir. Une grande partie de nos bénéfices annuels sont constamment réinvestis dans le développement de nos activités : nous investissons dans le renforcement de nos équipes de conseil à la clientèle, dans l’extension de nos compétences en matière de placement et dans l’amélioration de nos systèmes informatiques. L’informatique est un facteur clé de différentiation dans notre secteur. Si elle ne dispose pas des technologies adaptées, une banque ne peut ni offrir une expérience client moderne, ni remplir toutes les obligations réglementaires.
Enfin, nous investissons actuellement dans la construction de notre nouveau siège social à Genève. Nous nous réjouissons d’y accueillir notre clientèle dès l’an prochain.
Lombard Odier est axée sur le long terme, c’est-à-dire sur des cycles de cinq à dix ans. Mais la gestion de fortune est un secteur mondial, dynamique et très concurrentiel. Singapour, Abou Dabi et New York veulent aussi leur part du gâteau. Votre approche est-elle adaptée au monde d’aujourd’hui ?
Notre modèle d’affaires fait toute la différence à cet égard. Beaucoup de nos concurrents sont cotés en Bourse et doivent publier une croissance de leurs résultats tous les trimestres. Cela peut induire des tensions entre les intérêts à court terme des actionnaires et les intérêts à long terme des clients.
Nous avons le privilège d’être en mains privées. Cela signifie que nous pouvons penser à plus long terme et nous concentrer sur ce qui compte le plus pour nos clients. C’est un positionnement attrayant qui permet un bon alignement entre les intérêts nos clients et ceux de la banque. Notre clientèle apprécie beaucoup cette approche.
Mais vos clients mettent aussi l’accent sur le rendement.
Cela va de soi. Nos clients visent la préservation du capital et la réalisation d’un rendement de placement élevé tout au long du cycle. Mais ils gardent aussi une perspective à long terme et recherchent une banque qui reste à leurs côtés, tout en accompagnant aussi leur partenaire et leurs enfants. Nous nous efforçons d’être le gérant de fortune préféré des entrepreneurs et de leurs familles à long terme. Pour Lombard Odier, le meilleur indice de la réussite, c’est quand un client nous présente ses enfants. Cela signifie que nous avons su établir une relation de confiance authentique.
Vous avez recruté beaucoup d’anciens de Credit Suisse. Ces personnes ont été remerciées par UBS après avoir été soumises à un « filtre culturel » visant les collaborateurs uniquement motivés par les primes. Qu’en est-il pour Lombard Odier ?
Nous misons sur la croissance organique et non pas sur les acquisitions. Lorsque nous décidons de recruter des collaborateurs supplémentaires, quelle que soit leur origine, nous consacrons le temps qu’il faut aux entretiens d’embauche et à l’évaluation des candidats.
C’est-à-dire ?
En général, nous menons huit à douze entretiens avant une embauche, pour les gérants de fortune et les banquiers qui seront en contact avec la clientèle bien sûr, mais aussi pour la plupart des postes au sein de l’organisation. Nous évaluons l’esprit d’entreprise, l’ardeur au travail et les compétences des candidats, mais également leur compatibilité avec notre approche, nos valeurs et notre culture. Cela permet aux deux parties de se découvrir mutuellement, non pas en ayant recours à des indicateurs ou à des filtres formels, mais plutôt en évaluant le caractère de la personne et son aptitude à s’intégrer dans une organisation essentiellement humaine.
L’initiative sur l’imposition des successions de la JS Suisse vise les entrepreneurs et propriétaires de sociétés en Suisse. Ce sont justement vos clients : cela ne doit pas vous enchanter.
Effectivement, cette initiative nous préoccupe. La démocratie directe suisse est un principe qui nous est très cher, mais en l’occurrence, il s’agit selon nous d’un détournement regrettable de cet instrument. On peut toujours débattre des modèles fiscaux, et c’est tant mieux. Il est bon de revoir le bien-fondé de nos cadres politiques. Il faut toutefois éviter de céder aux tentations du populisme, comme dans de nombreux pays qui nous entourent. La Suisse devrait s’écarter de cette voie.
L’initiative recommande un impôt sur les successions de 50% à partir d’une fortune de CHF 50 millions avec effet rétroactif à partir de la date de la votation en cas d’adoption par le peuple. Elle prévoit aussi l’application d’un impôt de départ à ceux qui sont tentés de quitter le pays.
La rétroactivité et le concept d’impôt de départ engendrent une énorme incertitude pour de nombreux clients et entreprises dans l’ensemble de la Suisse. Ces deux éléments font que les personnes qui risquent d’être dans le champ d’application de l’initiative évaluent d’ores et déjà leurs options.
L’initiative semble vouée à l’échec dès sa mise en œuvre. Elle ne pose pas vraiment la question de savoir si nous voulons taxer les personnes fortunées ou non. Elle attaque de plein fouet la base du succès de la Suisse depuis toujours : une économie compétitive et florissante, alliée à un système d’aide sociale généreux. C’est précisément cette formule typiquement suisse, basée sur notre pragmatisme profondément ancré, qui nous permet de jouir d’un taux d’emploi et d’un niveau de vie plus élevés que d’autres pays européens. L’initiative romprait l’équilibre délicat qui sous-tend cette formule.
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N'est-ce pas un peu pessimiste ?
Non, nous devons avoir conscience que l’économie suisse ne repose pas uniquement sur les grands groupes cotés en Bourse et sur les sociétés de l’indice SMI. La robustesse de l’économie suisse est due à sa profondeur, à son ancrage dans des centaines de milliers de petites et moyennes entreprises. Je pense notamment à des exportateurs de biens et de services qui prospèrent dans le monde entier grâce à leurs stratégies d’innovation et de création de valeur. Ou encore à des sociétés qui sont leaders de leur marché en Suisse. La plupart de ces petites et moyennes entreprises sont en mains privées. Un grand nombre d’entre elles sont des entreprises familiales. Les PME suisses les plus florissantes ont toutes une valeur supérieure à CHF 50 millions. Elles seraient donc toutes dans le champ d’application de l’initiative. Leurs propriétaires seraient confrontés à un dilemme : soit ils quittent le pays, en exposant l’entreprise aux risques de délocalisation et de perte de postes de travail, soit ils restent en Suisse et vendent l’entreprise pour que les héritiers puissent régler l’impôt sur les successions au moment de l’héritage. Voulons-nous vraiment procéder à la liquidation forcée des sociétés qui sont à la base du succès de l’économie suisse ?
Qu’entendez-vous par liquidation forcée ?
Oui, il faut se débarrasser de l’illusion selon laquelle ces entrepreneurs ont CHF 50 millions à disposition sur leur compte pour payer cet impôt. Dans la plupart des cas, cette fortune est intégralement investie dans l’entreprise. Donc s’ils doivent verser la moitié de leur fortune à l’Etat, ils seront contraints de vendre leur société à des acquéreurs étrangers.
D’autres préfèreront simplement quitter la Suisse. Mais quand un entrepreneur part à l’étranger, il y a toujours le risque que l’entreprise le suive, à terme : d’abord le siège social, puis une partie de la production et d’autres éléments essentiels sont alors délocalisés à l’étranger. Au sein de notre clientèle suisse, de nombreuses entreprises sont en train d’évaluer les options dont elles disposent.
Mais le Conseil fédéral a indiqué que la clause de rétroactivité ne pourrait pas s’appliquer. Cela est-il porteur d’espoir selon vous ?
Le Conseil fédéral a donné de précieuses indications, surtout sur l’impôt de départ. Mais c’est maintenant au tour du Conseil national et au Conseil des Etats de prendre position, avant que la date de la votation soit définie.
On parle de la fixer en 2026.
Tous les acteurs impliqués doivent bien réfléchir et se demander si le timing est optimal.
Qu’est-ce qui serait préférable ?
On pourrait favoriser l’organisation de la votation dès que possible afin d’éliminer ces incertitudes au plus vite.
L’exemple de la Norvège a donné le résultat suivant : de nombreux entrepreneurs ont quitté le pays après une forte hausse de la charge fiscale.
Vous pouvez aussi prendre l’exemple de la France. Au début des années 2010, plusieurs gouvernements français successifs ont augmenté l’impôt sur la fortune, l’impôt sur les successions et l’impôt sur le revenu et introduit un impôt de départ (« exit tax »). De ce fait, plusieurs entrepreneurs et investisseurs parmi les plus prospères de France ont quitté le pays. Ils se sont installés en Belgique, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Suisse. Cela a énormément pénalisé l’économie et l’emploi dans le pays.
C’est pourquoi je pose la question : la France est-elle vraiment le modèle dont nous voulons nous inspirer ? Selon moi, il convient au contraire de préserver le modèle suisse, qui repose sur le bon sens, la modération et l’équilibre. Ne nous laissons pas influencer par le populisme qui affecte beaucoup de nos pays voisins, souvent avec des répercussions négatives.
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