rethink sustainability
Nous avons une seule planète : agir en conséquence est l’affaire de tous
Un avenir durable ne se construit pas du jour au lendemain. Ce projet occupera notre espèce au moins pour les cent prochaines années. Si nous spéculons sur l’orientation que prendra la seconde moitié de ce siècle, nous nous trouvons déjà en terrain plus connu pour les prochaines décennies. Afin de concevoir la construction du projet de développement durable – et la manière dont les investisseurs contribueraient à ce qu’il aille dans la bonne direction – nous devons en savoir plus sur les acteurs actuels qui consacreront le plus de temps à sa réussite. Qui sont-ils ? Sur quoi travaillent-ils ? Comment les investisseurs peuvent-ils les soutenir ?
Chaque année, l’ONG Global Footprint Network calcule et publie ce qu’elle estime être le « Jour du dépassement » : le jour de l’année à compter duquel l’humanité a déjà épuisé la totalité des ressources naturelles qu’elle devrait mettre une année entière à consommer pour en assurer le bon renouvellement. Chaque année, ce jour du dépassement intervient inexorablement plus tôt que la précédente et, en 2018, il a été atteint dès le 1er août. Autrement dit, nous consommons 1,7 planète pour notre subsistance, alors que nous n’en avons évidemment qu’une !
Efficace médiatiquement, cette publication est parfois contestée sur le plan méthodologique mais a le mérite de contribuer à une prise de conscience sur la précarité du modèle de développement actuel de l’humanité. L’impact environnemental de l’activité humaine est important et continue d’augmenter mécaniquement, au regard d’un autre chiffre, impressionnant : d’ici à 2050, la population mondiale va augmenter en moyenne d’environ 180.000 habitants par jour, soit l’équivalent d’une ville comme Reims ou Genève ! Autant d’êtres humains supplémentaires qui auront besoin de se loger, de se vêtir, de se déplacer... ou de se désaltérer. Voici une conséquence, parmi bien d’autres, de cette réalité : la production mondiale de bouteilles plastiques destinées au secteur de boissons, qui atteignait déjà le chiffre astronomique de 480 milliards d’exemplaires en 2016, devrait encore progresser de plus de 20% d’ici 2021, prévoit l’institut Euromonitor.
Un risque environnemental peut en cacher un autre
Évoluer vers modèle économique moins nocif pour l’environnement est d’autant plus urgent qu’un danger peut parfois en cacher un autre. On comprend aisément que la fonte des masses des glaces dans les zones polaires ait un impact sur le niveau des océans : selon les experts du groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC), il pourrait monter de 0,55 à 0,82 mètre d’ici la fin du siècle, ce qui serait déjà suffisant pour engloutir les Maldives et bien des atolls polynésiens. Mais d’autres effets sont moins connus. Prenons l’exemple du permafrost, qui couvre environ 24% des terres émergées de l’hémisphère nord. Le fait que cette étendue soit gelée en permanence (c’est la signification même du mot) la rend imperméable. Or, des chercheurs ont calculé qu’elle emprisonne des quantités inimaginables de substances toxiques : plus de 1.600 millions de kilogrammes de mercure, mais aussi du méthane ou de l’acide sulfurique en grande quantité. Autant de polluants susceptibles de contaminer gravement les océans en cas de fonte !
Le sursaut des consciences
Les entreprises des secteurs les plus polluants sont depuis longtemps interpellées sur de tels risques environnementaux par diverses associations. Elles le sont aussi aujourd’hui par les États et organisations supranationales. L’année 2015 a marqué un sursaut : les Nations-Unis ont adopté un agenda concernant 17 « Objectifs de développement durable », tandis que 196 États ont signé l’Accord de Paris sur le climat, dit « COP21 », et que la France a voté la Loi de transition énergétique. De plus en plus, c’est aussi du côté des consommateurs que provient la pression sur les entreprises. En témoigne l’exemple récent de Shelby O’Neil : du haut de ses 17 ans, cette jeune fille a déjà réussi à convaincre plusieurs sociétés, à commencer par la compagnie aérienne Alaska Airlines, de bannir l’usage des pailles plastiques, dont on connaît les dangers sur la faune marine. Une poignée d’étudiants de Columbia, dont l’action lancée en 2015 a fini par convaincre la célèbre université de renoncer, en février 2017, à investir dans le secteur du charbon. Les quelque 800 marches pour le climat qui ont eu lieu le 8 septembre 2018 dans près d’une centaine de pays, y compris émergents, témoignent d’un mouvement planétaire prête à reprendre à son compte un slogan vu dans le cortège marseillais : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » Ce changement sera d’autant plus rapide que l’action en faveur d’un nouveau modèle sera multipartite, mobilisant tout à la fois la société civile, les États, les consommateurs et, bien sûr, les investisseurs.
Ce changement sera d’autant plus rapide que l’action en faveur d’un nouveau modèle sera multipartite, mobilisant tout à la fois la société civile, les États, les consommateurs et, bien sûr, les investisseurs.
La finance doit servir les intérêts humains
Dans sa préface au récent ouvrage de Bertrand Badré, ancien directeur général de la Banque Mondiale et fondateur de Blue Like An Orange Sustainable Capital, le président Emmanuel Macron rappelle que « la finance n’est qu’un moyen de servir les intérêts humains. Il faut se servir de la finance - et non pas la servir. » Et en effet, l’aiguillon le plus efficace pour infléchir rapidement les pratiques des entreprises est sans doute celui des financiers, capables de comprendre le lien entre risque écologique et risque économique, et d’influencer les entreprises dont ils sont copropriétaires pour qu’elles modifient leur trajectoire.
L’article 173 de la Loi de transition énergétique française entraîne d’ailleurs les grands investisseurs français (assureurs, caisses de retraite) dans le mouvement : il les oblige notamment à expliquer publiquement et annuellement ce qu’ils font ou ne font pas pour aligner leurs investissements avec les objectifs de limitation du réchauffement climatique. Voilà qui les incite à reporter la pression sur les entreprises dans lesquelles ils investissent, à leur réclamer de plus en plus d’éléments factuels sur les impacts environnementaux de leur activité. Les investisseurs peuvent aussi regarder l’exemple du fonds souverain norvégien, qui gère environ 900 milliards d’euros selon des critères éthiques précis qui l’amènent régulièrement à exclure des sociétés de son périmètre d’investissements : ce fut encore le cas de 11 sociétés supplémentaires en 2017, principalement pour leur activité dans la production de charbon. Les grandes entreprises sont plutôt enclines à écouter des investisseurs aussi puissants.
Mais le rôle des investisseurs ne se limite pas à gérer des risques. Ces « gardiens » d’une épargne mondiale qui n’a jamais été aussi abondante doivent aussi regarder les opportunités qui s’ouvrent (…)
Mais le rôle des investisseurs ne se limite pas à gérer des risques. Ces « gardiens » d’une épargne mondiale qui n’a jamais été aussi abondante doivent aussi regarder les opportunités qui s’ouvrent : diriger des capitaux vers les entreprises apporteuses de solutions environnementales concrètes, qui seront demain des sources de profits, et aussi comprendre les besoins de l’épargnant du futur, cette génération Y qui a besoin de sens autant que de financer sa retraite ! Entreprises, États, ONG, investisseurs, individus : personne ne peut se désintéresser d’un enjeu commun : faire que notre jolie planète bleue reste habitable pour nous tous.
Biographie
Emmanuel Schafroth est journaliste financier depuis 18 ans. Il a couvert de nombreux secteurs, dont la technologie, les énergies renouvelables, la gestion d’actifs et la finance durable. Il travaille aujourd’hui en indépendant et est publié dans divers journaux, dont les quotidiens « Le Monde » et « Les Echos. »
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du Groupe Lombard Odier.
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