perspectives d’investissement

    Dynamique de la dette et risques de défaut – évaluation des dangers

    Dynamique de la dette et risques de défaut – évaluation des dangers
    Samy Chaar - Chef économiste et CIO Suisse

    Samy Chaar

    Chef économiste et CIO Suisse
    Filippo Pallotti - Stratège macro

    Filippo Pallotti

    Stratège macro

    Points clés

    • L'endettement public augmente au niveau mondial en raison du vieillissement de la population, des besoins en matière de dépenses climatiques et d'un appétit grandissant pour les déficits budgétaires ; les inquiétudes des investisseurs se concentrent sur les États-Unis
    • Pour évaluer les risques, nous utilisons un cadre discipliné, qui examine la dette des secteurs public et privé, son utilisation, son coût et la capacité à la financer. La dynamique actuelle reste gérable
    • Bien que les gouvernements doivent faire preuve de prudence face aux déficits, il est encourageant de constater qu'une grande partie de l’augmentation récente de la dette a été consacrée à des investissements productifs sur le long terme. Les bilans des ménages et des entreprises paraissent solides
    • Les taux directeurs réels à long terme devraient rester inférieurs aux taux de croissance à long terme, ce qui permettra à certains déficits d'être soutenables. Les États-Unis ont aussi la possibilité de procéder à des hausses d’impôt graduelles si les craintes concernant la soutenabilité de la dette s'aggravent.

     Les États-Unis se dirigent-ils vers une crise de la dette ? Les niveaux d'endettement public ont fortement augmenté dans le monde durant ces dernières années. Aux États-Unis, les élections de cet automne exacerbent encore ce risque. Pourtant, si le rythme actuel de l'accumulation de la dette semble préoccupant, plusieurs facteurs devraient tempérer les craintes des investisseurs.

    Si les inquiétudes des investisseurs se focalisent sur les États-Unis, l'accumulation de la dette est un phénomène mondial. La dette publique en pourcentage du produit national brut (PIB) a augmenté de manière significative au cours des dernières décennies. Alors qu’elle était inférieure à 75% du PIB au début de cette décennie dans les économies développées, et de 50% dans les pays émergents, le Fonds monétaire international prévoit qu’elle augmentera à 120% et 80% respectivement d'ici 2028. Le bureau du budget du Congrès américain (Congressional Budget Office, CBO) a mis en garde contre l'ampleur de la dette, qui devrait atteindre 192% du PIB d'ici fin 2053, si les politiques actuelles se poursuivent.

    Les largesses budgétaires durant la pandémie ont été l'un des moteurs de cette hausse, auquel s’ajoutent des raisons d’ordre structurel : le vieillissement de la population nécessite davantage de dépenses en matière de sécurité sociale et de santé ; la révolution de la durabilité exige des investissements substantiels dans les infrastructures et les technologies vertes. Les rivalités géopolitiques sont également à l'origine d'une course aux dépenses d'investissement dans des secteurs stratégiques tels que la technologie, la défense et la santé. Nous anticipons un monde fragmenté et une croissance de l'appétit pour les déficits publics élevés, qui se traduiront par une inflation structurelle et des taux d'intérêt « neutres » légèrement plus élevés dans les années à venir.

    Les rivalités géopolitiques sont également à l'origine d'une course aux dépenses d'investissement dans des secteurs stratégiques tels que la technologie, la défense et la santé

    Pourquoi la dynamique de la dette inquiète-t-elle les investisseurs ? Si le cycle de réduction des taux directeurs a commencé dans de nombreux marchés développés, les taux d'intérêt élevés continuent à peser sur leurs économies. En outre, la croissance mondiale ralentit et 2024 est une année électorale importante, ce qui accroît les risques de promesses de dépenses insoutenables. Aucun des candidats à l'élection présidentielle américaine de novembre ne s'est montré disposé à s'attaquer au déficit fédéral. Dans les années à venir, le/la président(e), républicain ou démocrate, prolongera probablement les réductions ou les crédits d'impôts, respectivement, venant nourrir encore la dette publique.

    Lire aussi : Élections américaines : scénarios et implications pour l’investissement

    Nous pensons qu'un cadre discipliné est nécessaire pour évaluer les risques liés à la dette. Cela signifie qu'il faut considérer les niveaux d'endettement des secteurs public et privé de manière holistique au sein d'une économie. Cela signifie également qu'il faut évaluer l'utilisation de cette dette, la capacité à la financer et son coût, en particulier par rapport au taux de croissance de l'économie. Nous évaluons ci-dessous les risques liés à la dette dans les principales économies développées, en particulier aux États-Unis, et soulignons trois raisons principales pour lesquelles son augmentation ne devrait pas inquiéter outre mesure les investisseurs.

    Nous pensons qu'un cadre discipliné est nécessaire pour évaluer les risques liés à la dette

     

    Le débat sur la « bonne » ou la « mauvaise » dette

    Alors que le marché tend à se focaliser sur l'ampleur de la dette, nous pensons que les investisseurs devraient plutôt s'intéresser à l'usage que l’on en fait. Exception faite de l'aide apportée lors de la pandémie, la majeure partie de l'augmentation récente de la dette publique dans le monde a été consacrée à des investissements productifs à long terme qui, nous l'espérons, stimuleront la croissance, plutôt qu'à la gestion quotidienne du gouvernement. Aux États-Unis, qui ont mené l’essentiel de l’effort d'investissement, en Chine et, dans une moindre mesure, dans l'Union européenne (UE), ces investissements comprennent la modernisation indispensable des infrastructures critiques et, dans certains cas, la tentative de compenser certaines « externalités » environnementales négatives par des subventions à l'énergie verte.

    Dans de nombreuses économies avancées, dont le Japon, l'Allemagne et l'UE, nous estimons qu'il est nécessaire d'augmenter ces investissements (voir graphique 1, page 1). En Allemagne en particulier, les investissements publics sont limités par les règles constitutionnelles du pays, au détriment de la croissance.

    Exception faite de l'aide apportée lors de la pandémie, la majeure partie de l'augmentation récente de la dette publique dans le monde a été consacrée à des investissements productifs à long terme

    Bien que, comme l’a démontré l’Histoire, les dépenses publiques puissent décourager ou avoir un effet d’éviction des investissements du secteur privé, cela ne semble pas avoir été le cas jusqu'à présent, du moins aux États-Unis. La loi CHIPS and Science Act et loi sur la réduction de l'inflation (IRA) ont attiré les investissements des entreprises dans des domaines tels que les semi-conducteurs et les technologies vertes, comblant un vide dans un domaine d'investissement émergent. Alors que l’ensemble des gouvernements doivent faire preuve de prudence lorsqu'ils augmentent leur dette, la transition énergétique nécessitera des investissements que le secteur privé peinerait à assumer seul. Selon l'Institut Peterson d'économie internationale, les coûts d'atténuation et d'adaptation au changement climatique pour les économies avancées sont estimés entre 1 et 3% du PIB annuel.


    Dynamique de la dette publique par rapport à celle du secteur privé

    Si nous pensons que les niveaux d'endettement des principales économies sont gérables, c’est aussi parce que la dynamique n’est pas la même entre la dette du secteur public et celle du secteur privé. La solidité des bilans des ménages et des entreprises à l'échelle mondiale tempère considérablement les inquiétudes liées à la croissance de la dette publique, car ils créent les conditions pour que la dette publique soit absorbée par le secteur des ménages. De plus, les déséquilibres des comptes courants se sont nettement améliorés dans plusieurs économies clés (voir graphique 2), notamment au sein de l'UE où les pays les plus touchés par la crise de la dette souveraine de 2009-2010 étaient ceux qui cumulaient déficits budgétaires et déficits des comptes courants. En effet, de nombreux pays affichant des comptes extérieurs solides ont historiquement géré des niveaux élevés de dette publique sans trop de problèmes, notamment le Japon, où une base solide d'investisseurs nationaux rend les crises de la dette beaucoup moins probables.

    La solidité des bilans des ménages et des entreprises à l'échelle mondiale tempère considérablement les inquiétudes liées à la croissance de la dette publique

    Taux d'intérêt et croissance

    Tant que le taux de croissance de l'économie est supérieur au taux d'intérêt de la dette, le gouvernement peut enregistrer un déficit permanent tout en maintenant sa dette à un pourcentage constant du PIB1. Dans plusieurs économies développées durant la majeure partie du siècle dernier, le taux d'intérêt réel est en effet resté inférieur au taux de croissance. Comme nous l'avons déjà indiqué, une ère de rupture des chaînes commerciales et d'approvisionnement et de croissance de la dette publique devrait se traduire par des taux d'intérêt réels un peu plus élevés à l'avenir. Toutefois, les taux d'intérêt réels à long terme devraient rester inférieurs aux taux de croissance potentielle à long terme dans la plupart des grandes économies, l'écart entre les deux s'étant légèrement amélioré par rapport aux niveaux actuels (voir graphique 3), en particulier aux États-Unis. Cette situation permet aux gouvernements d'enregistrer des déficits soutenus au fil du temps sans compromettre la soutenabilité de la dette. Cependant, compte tenu de l'incertitude entourant ces estimations et de leur évolution, la marge de manœuvre budgétaire doit être utilisée avec prudence ; le rythme récent de la croissance des déficits ne peut pas être maintenu indéfiniment.

    Entre temps, nous pensons que les inquiétudes des investisseurs concernant la soutenabilité de la dette américaine continueront à provoquer des périodes de volatilité sur le marché des bons du Trésor. Nous considérons comme peu probable toute forme de défaut de paiement des États-Unis, car si les inquiétudes sur la soutenabilité de la dette américaine devaient s'intensifier, les États-Unis pourraient augmenter leurs impôts, qui sont actuellement parmi les plus bas des principales économies par rapport au PIB (voir graphique 4).


    1Supposons que le gouvernement commence avec un niveau d’endettement de 100% du PIB. Il paie un taux d’intérêt réel de 1% par an sur sa dette et enregistre un déficit équivalent à 1% du PIB. Si le PIB augmente de 2% chaque année, cela suffira à compenser à la fois les charges d’intérêt réelles (1%) et le déficit (1%). Alors que la valeur de la dette continuera à croître, elle restera constante en pourcentage du PIB.

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