perspectives d’investissement
Politique et marchés : naviguer aux limites de la raison
Points clés
- Le retrait du président Biden déplace l’attention vers Kamala Harris et modifie la dynamique de l’élection présidentielle américaine
- Une seconde administration Trump serait probablement inflationniste, entraînant une hausse potentielle du dollar et des rendements obligataires à long terme, ainsi qu’une pentification de la courbe des taux
- Les défis posés à l’ordre politique mondial soulignent la nécessité d’un cadre d’allocation d’actifs stratégique générant la majeure partie de la performance des portefeuilles
- Des lignes directrices solides en matière d'investissement sont nécessaires pour naviguer sur des marchés volatils. Une approche active peut atténuer les risques de destruction de richesse et ajouter de la valeur au portefeuille.
La décision du président Joe Biden de se retirer de la course à la Maison Blanche modifie les probabilités de résultat de l’élection présidentielle de novembre. Je profite de l’opportunité qui m’est donnée ici pour examiner les enjeux politiques immédiats aux États-Unis et pour souligner une fois de plus qu’en période d’incertitude géopolitique, les investisseurs doivent rester concentrés sur les principes fondamentaux.
Ce 21 juillet, l’annonce de M. Biden a braqué les projecteurs sur la vice-présidente Kamala Harris, à laquelle le président a apporté son soutien en tant que candidate du Parti démocrate. La course à l’élection a fondamentalement changé. La tentative d’assassinat de Donald Trump et le choix de son colistier, JD Vance, ont consolidé l’avance déjà acquise par le candidat républicain et accentué la panique au sein du Parti démocrate. Reste à savoir si les démocrates vont s’unir autour de Mme Harris. Au-delà des personnalités des présidentiables, la marge de manœuvre pour obtenir un équilibre des pouvoirs au sein du Congrès est faible, et cet équilibre changera sur la base d’une petite poignée de sièges aussi bien à la Chambre des représentants qu’au Sénat.
Dans le sillage de cette annonce, les contrats à terme sur le S&P 500 étaient légèrement en hausse, les rendements des bons du Trésor à court terme ont augmenté, tandis que les bons à cinq ans et à plus long terme ont baissé et le dollar a peu varié par rapport à l’euro. Ces dernières semaines, la possibilité d’une seconde présidence Trump a focalisé l’attention sur ses ambitions politiques, notamment sur ses allusions à une restriction de l’indépendance de la Réserve fédérale. L’éventualité d’un retour de l’ancien président a également déclenché une rotation sur les marchés boursiers qui a favorisé les petites capitalisations et le secteur de l’énergie, au détriment des titres de croissance – une tendance qui pourrait désormais se résorber. Nous nous attendons à un regain de volatilité sur les marchés dans les trois mois à venir, les investisseurs évaluant les propositions politiques.
Les incertitudes politiques continueront à soutenir la demande pour le dollar en tant que valeur refuge, peut-être tout au long du processus visant à confirmer le remplacement de M. Biden par le Parti démocrate lors de la Convention nationale qui se tiendra du 19 au 22 août.
Une deuxième administration Trump pourrait s’avérer inflationniste. La devise américaine pourrait s’apprécier, du fait que le dollar devrait augmenter, en raison des attentes selon lesquelles 2025 verrait de nouvelles réductions d’impôts, des tarifs douaniers supplémentaires sur les importations en vertu du slogan républicain « l’Amérique d’abord » et le potentiel qu’une politique migratoire plus stricte resserre le marché de l’emploi. De telles pressions inflationnistes entraîneraient une hausse des rendements obligataires à long terme et une pentification de la courbe des taux. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous préférons les Bunds allemands aux bons du Trésor américain, tout en maintenant notre exposition globale aux obligations à des niveaux stratégiques. Sur le front des actions, nous favorisons toujours les marchés hors États-Unis, où les valorisations et les risques de concentration du marché sont plus faibles. Nous maintenons nos allocations aux valeurs américaines à des niveaux stratégiques.
Braver le nouveau monde
L’Amérique n’est pas la seule nation à élire un nouveau dirigeant. Cette année, des élections auront lieu dans près de 70 pays et donneront à la moitié de la population mondiale la possibilité de se choisir un nouveau gouvernement. Les enjeux sont exceptionnellement élevés et le besoin en dirigeants compétents n’a jamais été aussi aigu depuis la chute du mur de Berlin.
Pourtant, de nombreuses nations pourraient se sentir défavorisées. Les campagnes acrimonieuses s’étendent désormais aux nations, aux élections et aux référendums, normalisant peu à peu les arguments politiques fallacieux, voire les affirmations malhonnêtes. Au-delà de la fragilité de M. Biden, c’est tout le système qui paraît s’affaiblir à l’échelle mondiale.
Pour sa part, le Royaume-Uni a entamé un nouveau chapitre après des années de chaos politique et de bouleversements sur les marchés financiers. Son économie a eu du mal à retrouver sa forme et son nouveau gouvernement travailliste fait face à des défis difficiles à relever. En France, Emmanuel Macron s’efforce de préserver la survie du centre libéral, balloté par une vague de soutien de l’opinion publique aux partis de droite et de gauche.
En effet, les partisans de la ligne dure, qui appliquent des politiques d’immigration strictes et critiquent ouvertement l’establishment, ont gagné du terrain dans toute l’Europe, et pas seulement en France et en Italie. L’Allemagne aussi est vulnérable. Sa coalition a résolu une crise de plusieurs mois en élaborant un budget, qui doit encore être approuvé par le Parlement. Cette situation met en évidence un aspect essentiel de la crise du leadership en Europe, où les intérêts économiques et les acrobaties politiques à court terme éclipsent les engagements en faveur de la sécurité nationale et énergétique et d’une gouvernance responsable. Ces divisions semblent bénignes lorsqu’on les compare aux conséquences d’une guerre aux frontières de l’Europe.
Sur les marchés financiers, les actions ont atteint plusieurs records historiques cette année et semblent défier toute raison. L’année dernière, une poignée d’entreprises de grande capitalisation ont stimulé la surperformance du S&P 500, masquant les tendances plus générales à l’œuvre dans l’économie et le monde des entreprises. Certains signes indiquent que cette concentration du marché est en train de s’estomper, mais elle reflète une tendance plus large dans le leadership mondial : l’accent mis sur les gains économiques immédiats et les avancées technologiques au potentiel détriment de la stabilité et de la responsabilité à long terme. Jusqu’où pouvons-nous emmener l’IA et pouvons-nous rétablir un sentiment de solidarité générationnelle ? Les réponses à ces questions semblent hors de portée.
Principes d’investissement
En tant qu’investisseurs, nous avons besoin de lignes directrices fortes. Trop souvent, les gestionnaires d’actifs revendiquent implicitement une vision particulière du chaos qui règne sur les marchés mondiaux. En réalité, nous gagnons notre vie en instillant équilibre et résilience à l’épargne qui nous est confiée. Pour naviguer dans les turbulences, il faut des processus, des structures et de la discipline. Une allocation d’actifs stratégique robuste constitue un cadre dont dépend l’essentiel de la performance d’un portefeuille. Elle permet de prendre des décisions tactiques tout en assurant la réalisation de nos objectifs à long terme.
Selon mon expérience, les marchés sont guidés par des tendances et des thèmes. C’est encore le cas aujourd’hui. Nous devons nous efforcer de les comprendre : les marchés haussiers prospèrent grâce aux tendances auxquelles les investisseurs adhèrent, tandis que les marchés baissiers sont déclenchés par des chocs et des récessions. Aujourd’hui, les marchés choisissent de se concentrer sur une toile de fond macroéconomique saine et ignorent quelque peu le risque géopolitique. La reprise de la croissance, la désinflation et la baisse des taux directeurs, associées à des dépenses publiques importantes en matière d’infrastructures et d’innovation, atténuent les risques géopolitiques. Un nouveau boom des dépenses d’investissement - en partie motivé par la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine - a, pour l’instant, renforcé la résilience de l’économie.
Mais la situation peut se retourner rapidement. Un monde fracturé, à court de leadership mondial, semble prêt à mettre en péril le vaste consensus sur les aspirations de la démocratie libérale, ainsi que les marchés qui en dépendent. Les risques liés aux événements politiques vont perdurer, avec des conséquences importantes pour la construction des portefeuilles. Les bouleversements politiques peuvent affecter l’ensemble des régions et des secteurs. Ils peuvent également conduire à une concentration du marché, car un paysage politique changeant produit des gagnants et des perdants parmi les entreprises.
Dans ce contexte, une approche de gestion active capable d’identifier les véritables risques peut atténuer la destruction de richesse due aux sanctions, aux relocalisations et aux droits de douane, et ajouter de la valeur aux portefeuilles en plongeant loin sous la surface. Cette approche contraste fortement avec la tendance à l’investissement passif. Je pense aussi qu’il est possible d’augmenter la résilience des portefeuilles en y incluant des investissements thématiques fondés sur des tendances séculaires qui transcendent les expositions régionales et sectorielles traditionnelles. Alors qu’un nouvel ordre mondial se dessine, les investisseurs doivent veiller à ancrer leurs allocations dans des actifs et des pays régis par l’État de droit. Restez donc vigilants. Le succès de l’investissement exigera beaucoup de persévérance au cours d’un été politique brûlant.
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