perspectives d’investissement
L’éclatement de l’alliance OPEP+ change la donne
- Les cours du pétrole ont connu lundi 9 mars un plongeon historique (environ 30%), suite à l’échec de la réunion de l’OPEP+ le vendredi précédent.
- La Russie et les membres de l’OPEP ont entamé une guerre des prix qui conduira à une situation d’offre excédentaire sur le marché pétrolier.
- L’éclatement de l’alliance OPEP+ change la donne : nous révisons notre objectif à 12 mois de USD 60 à USD 40/baril.
- Dans ce contexte, les producteurs à coûts élevés, notamment le secteur américain du schiste, seront les plus touchés et les investissements dans des projets à long terme seront reportés ou annulés.
Les cours du pétrole se sont effondrés lundi 9 mars, accusant une baisse d’environ 30% sur la journée. Cette débâcle du marché est la conséquence de l’éclatement inattendu de l’alliance de l’OPEP+ avec la Russie, suite à l’échec de la réunion qui s’était tenue le vendredi précédent. Le jeudi 5 mars, les membres de l’OPEP semblaient s’être accordés sur de nouvelles réductions de production pour atténuer l’impact négatif à court terme de l’épidémie de COVID-19 sur la demande de pétrole (graphique 1). En effet, tant l’AIE que l’OPEP ont révisé à la baisse leurs estimations concernant la croissance de la demande de pétrole, pour la ramener à un niveau proche de zéro en 2020. Cette première initiative – bien que subordonnée à des coupes supplémentaires par les membres de l’OPEP+ et principalement la Russie – était d’ailleurs conforme à nos attentes et à celles du marché. Les réductions nécessaires pour les mois à venir étaient estimées à entre 1 et 1,5 mb/j (millions de barils par jour). Autant dire que l’échec de la réunion de l’OPEP+, à savoir l’absence d’accord entre la Russie et les membres de l’OPEP, a été une grande surprise. Les autorités saoudiennes ont riposté durant le week-end en offrant à leurs clients européens et asiatiques une réduction importante sur leurs prix de vente officiels (OSP) pour le mois d’avril, déclenchant une guerre des prix entre producteurs de pétrole.
Quelles conséquences pour l’équilibre du marché à court terme ? – Une offre excédentaire démesurée et une reconstitution des stocks
Alors que le monde est confronté à un choc de la demande (de courte durée), cette guerre des prix se traduira par une suroffre importante. Dans une guerre des prix, les producteurs visent à produire le plus possible afin de préserver leurs parts de marché. Compte tenu de leurs capacités de production, les Saoudiens semblent bien placés pour tirer parti de cette nouvelle donne (graphique 2). A l’heure actuelle, nous estimons que l’offre excédentaire devrait se monter à environ 2,5 mb/j dans les mois à venir. Il s’agit là déjà d’une suroffre importante en comparaison historique, mais la situation pourrait s’aggraver sensiblement et atteindre 5 mb/j si tous les producteurs maximisaient leurs capacités disponibles. L’Arabie saoudite avait initialement prévu de porter sa production à plus de 10 mb/j en avril, mais la guerre des prix s’est intensifiée le 10 mars (du moins dans la rhétorique), date à laquelle la compagnie Saudi Aramco s’est engagée à fournir un volume record de 12,3 mb/j. Les autorités russes ont riposté en quelques minutes, affirmant qu’elles pouvaient accroître leur production de 0,5 mb/j supplémentaires, ce qui porterait la production du pays à un pic historique.
Le marché réagit-il de manière excessive ? – Non
L’histoire montre que les épisodes de suroffre importante sur le marché pétrolier entraînent une forte baisse des prix du pétrole (graphique 3), de l’ordre de 20 à 40% selon le contexte de la demande. Nous pouvons identifier deux périodes d’offre excédentaire proche de 5 mb/j. Tout d’abord, en 1998, la baisse de la demande provoquée par la crise financière asiatique avait fait chuter les cours pétroliers de plus de 30%, les prix reculant à leurs niveaux de 1986. En 2015, le pétrole avait dégringolé de 45% après la décision de l’OPEP de renoncer à son plafond de production, qui était devenu inefficace face à une suroffre de pétrole due à la conjonction du ralentissement de l’économie chinoise et de l’expansion de la production américaine de pétrole de schiste. Cette fois-ci, c’est la réaction brutale du marché qui est particulièrement frappante, avec un mouvement journalier extraordinaire pouvant être qualifié de « cygne noir » du point de vue de la gestion des risques.
L’éclatement de l’alliance OPEP+ change la donne ; nouvel objectif à 12 mois : USD 40 le baril (Brent).
Depuis plusieurs années, l’OPEP+ nous semblait crédible dans le rôle de banque centrale qu’elle s’efforçait de jouer. En maintenant un plancher pour les prix, tout en reconnaissant qu’un prix trop élevé serait préjudiciable à la demande, l’organisation cherchait à garantir un environnement plus favorable à l’investissement dans des projets de long terme. Elle a été plutôt active et efficace dans cette démarche. La fin du partenariat de trois ans entre la Russie et l’Arabie saoudite change donc la donne pour la structure du marché. Ce changement nous fait renouer avec un schéma de fonctionnement plus traditionnel, dans lequel les producteurs à bas coût s’appuient sur leurs capacités inutilisées pour augmenter l’offre, obligeant les producteurs aux coûts plus élevés à réduire leur production. Bien que nous ne puissions exclure un accord de l’OPEP+ dans les prochains mois, la juste valeur du cours du pétrole, dans ce nouveau contexte, devrait s’approcher du coût marginal de production de l’industrie pétrolière, estimé à environ USD 40 le baril.
Le marché du pétrole est aujourd’hui confronté à deux chocs baissiers très incertains sur les plans de l’offre et de la demande. Quand bien même la demande devrait réaccélérer au second semestre, nous ne serions pas surpris de voir les prix évoluer autour d’USD 30/baril dans les mois à venir, avec le risque évident d’un niveau encore inférieur si les nouvelles sur le front du coronavirus ne s’améliorent pas.
Combien de temps cette situation peut-elle durer, et quelles sont les implications pour l’industrie pétrolière ?
D’abord, d’un point de vue fondamental et en fonction du niveau des stocks constitués, il faudra peut-être plusieurs trimestres ou années pour assainir le marché, surtout dans un contexte de croissance. Ensuite, d’un point de vue géopolitique, si l’une des motivations de la Russie dans cette guerre des prix est de nuire au secteur américain du schiste, il serait logique de maintenir les prix juste en dessous du niveau auquel ils mettront à mal la production de schiste pendant une période prolongée.
Cette situation sera certes bénéfique pour les importateurs nets tels que la zone euro et la Chine mais entraînera des risques pour les pays exportateurs de pétrole qui seront contraints de réduire leurs dépenses publiques, ainsi que pour le secteur américain du schiste dont les entreprises pourraient être confrontées à un sérieux risque de défaut.
Même si les points d’équilibre budgétaire de la Russie et de l’Arabie saoudite (c’est-à-dire le niveau de cours du pétrole nécessaire pour équilibrer leurs budgets) sont bien supérieurs à notre objectif d’USD 40/baril, les deux pays ont encore une marge de manœuvre budgétaire (graphique 4). Leur dette publique est bien moins élevée que celle des marchés développés – et figure parmi les plus faibles du bloc émergent. Ces deux grands exportateurs de pétrole ont donc la capacité de résister à une période prolongée de bas prix du pétrole.
En revanche, pour les producteurs de schiste et les autres producteurs à coûts élevés, des niveaux de cours à USD 40/baril, voire inférieurs, commenceront à provoquer un stress financier important et, partant, une réduction de la production. Avec des estimations de coût marginal de production de l’ordre d’USD 45 à 50/baril, certaines entreprises ont déjà annoncé qu’elles devront fermer des plateformes économiquement non rentables (graphique 5). Il est évident que plus l’environnement de prix bas perdure, plus le secteur américain du schiste sera à la peine. Les spreads de crédit sur le haut rendement américain dans le secteur énergétique dépassaient déjà 1’000 points de base (pb) fin février. La dernière fois qu’ils s’étaient négociés à un tel niveau remonte à mars 2016, lorsque les prix du WTI oscillaient autour d’USD 35/baril. Ils sont désormais supérieurs à USD 1’400 pb, intégrant un taux de défaut significatif. Cela dit, il peut être utile de garder à l’esprit que les importants besoins de refinancement des entreprises du secteur du schiste se matérialiseront surtout en 2021-2022, et que nous pouvons anticiper un certain soutien de l’administration américaine pour fournir au secteur les liquidités nécessaires, compte tenu du positionnement stratégique du schiste.
D’une manière plus générale, il faut s’attendre à ce que les investissements dans des projets de long terme soient reportés ou annulés dans ce nouvel environnement de cours pétroliers.
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