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Attaques en Arabie saoudite : quelles implications pour les marchés pétroliers ?
C’est la demande qui a retenu l’attention des marchés pétroliers lorsque les incertitudes liées à la guerre commerciale ont commencé à peser sur la croissance économique ces derniers mois. Or, en réduisant temporairement de moitié la production quotidienne d’Arabie saoudite, les attaques perpétrées sur deux installations pétrolières du royaume ont fait resurgir le risque d’un choc pétrolier provoqué par l’offre.
Cependant, les attaques n’ont pas affecté la dynamique à moyen terme. En effet, notre analyse montre que les capacités excédentaires, les stocks, les réserves stratégiques et la production américaine du pétrole de schiste limiteraient une nouvelle envolée des prix, même si l’interruption de la production devait perdurer. Par conséquent, nous conservons notre objectif sur 12 mois à USD 60/baril (Brent). Il faut néanmoins s’attendre à un regain de volatilité à court terme, car le marché physique semble plus vulnérable à de nouvelles perturbations jusqu’à la fin de l’année, date à laquelle l’Arabie saoudite aura retrouvé ses pleines capacités.
Dans un contexte de ralentissement induit par l’effondrement des échanges commerciaux, la dernière chose dont la croissance mondiale ait besoin est un choc d’offre de pétrole. Malgré leur récente évolution, les prix du pétrole n’ont fait que revenir aux niveaux observés en juillet. En d’autres termes, si le choc n’est que de courte durée, nous ne nous attendons pas à un impact majeur sur la croissance mondiale et les actifs financiers en général. Seule une crise géopolitique de longue durée qui impliquerait des actions militaires et la fermeture du détroit d’Ormuz pourrait faire grimper les prix au-dessus d’USD 75/baril (Brent) et constituerait une menace pour l’environnement économique et financier. Il s'agit d'un risque extrême et non de notre scénario central.
Le point sur les attaques en Arabie saoudite
Les attaques perpétrées le week-end du 14 septembre ont réduit de moitié la production quotidienne du royaume – l’Arabie saoudite a produit 9,8 millions de barils par jour (mb/j) au seul mois d’août. Avec 5,7 mb/j, soit environ 5% de la production mondiale de brut, il s’agit de la plus importante rupture soudaine de l’approvisionnement mondial en pétrole jamais observée. De plus, les sites touchés jouent un rôle essentiel dans la production saoudienne de pétrole : Abqaiq fournit 70% de la production destinée prioritairement à l’exportation et Khurais est l’un des plus grands champs pétroliers du monde. Les cours ont bondi lundi 16 septembre 2019 pour enregistrer une des plus fortes hausses intra-journalières de leur histoire (USD 9/baril, soit presque +15%, voir graphique 1) sur fond d’inquiétudes quant à une perturbation prolongée de l’offre. La compagnie pétrolière nationale Saudi Aramco a déjà rétabli 2 mb/j de production tout en visant à rétablir la production au niveau du mois d’août d’ici la fin du mois. Elle a par ailleurs déclaré qu’elle serait en mesure de recouvrer sa capacité de production (non vérifiée) de 12 mb/j avant la fin de l’année (graphique 2). Si Saudi Aramco parvient à atteindre ces objectifs aussi rapidement, les marchés auront évité le pire des scénarios.
Les stocks, et si nécessaire les réserves stratégiques de pétrole, écartent tout risque de pénurie...
Le risque d’un choc pétrolier de longue durée a considérablement diminué suite au communiqué de Saudi Aramco et les prix ont fini par se stabiliser à USD 4/baril au-dessus des niveaux antérieurs à l’attaque. L’événement n’aura pas d’impact sur le marché physique, étant donné que les stocks commerciaux saoudiens (près de 200 millions de barils) seront utilisés pour répondre aux engagements jusqu’à ce que les capacités de production renouent avec leurs niveaux d’août 2019. De plus, d’importants coussins permettent d’atténuer l’impact de ces interruptions. Les stocks de pétrole en dehors de l’Arabie saoudite peuvent également être mis à contribution. En raison des réductions de production mises en œuvre par l’OPEP+ fin 2018, les stocks de pétrole brut et de produits principaux de l’OCDE sont aujourd’hui légèrement inférieurs à leur moyenne sur 5 ans, mais ils permettent néanmoins de couvrir plus de 60 jours de demande (graphique 3). Il convient également de souligner que grâce à la montée en puissance de l’industrie américaine du pétrole de schiste sur la période 2011-2014 et à l’excédent d’offre qui s’en est suivi, le niveau actuel des stocks commerciaux est supérieur à celui observé lors des précédents épisodes de perturbations.
De surcroît, la majorité des pays consommateurs disposent de réserves stratégiques de pétrole (RSP) destinées à faire face à ce type d’événement et à prévenir des dommages tels que ceux provoqués par le choc pétrolier dans les années 1970. En 1975, les Etats-Unis ont créé la plus grande réserve de pétrole du monde. Selon le département américain de l’Energie, elle atteint actuellement quelque 645 millions de barils. Cette réserve n’a été utilisée qu’à trois reprises, la dernière fois en juin 2011, lorsque le président Obama a ordonné la vente de 30 millions de barils de pétrole pour compenser les ruptures d’approvisionnement liées aux troubles en Libye. La libération de ces stocks est habituellement coordonnée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et intervient généralement après une envolée marquée et une stabilisation des prix du pétrole à des niveaux susceptibles de peser sur la demande et la croissance mondiale (+20% en 2011). Réagissant aux attaques du week-end dernier, l’administration américaine a indiqué qu’elle était disposée, au besoin, à utiliser rapidement ses RSP. Par conséquent, la probabilité d’un choc pétrolier durable provoqué par l’offre et comparable à celui des années 1970 paraît très faible. En effet, les mouvements de prix devraient rester limités par les coussins évoqués plus haut à environ USD 75-80/baril (Brent), niveau qui devrait inciter l’AIE à prendre des mesures, si l’on en croit l’histoire.
… Mais le marché pétrolier risque de subir de nouvelles perturbations tant que l’Arabie saoudite n’aura pas entièrement rétabli ses capacités excédentaires
L’OPEP aime se définir comme la banque centrale du marché pétrolier, fournissant ou retirant des liquidités lorsque cela est nécessaire pour atténuer la volatilité des prix.
En mars 2011, lorsque la guerre en Libye a fait chuter l’offre de 1,5 mb/j pendant plus de six mois, les prix du pétrole ont augmenté de plus de 20% (+USD 10/baril sur le mois). Trois mois ont été nécessaires à l'OPEP pour compenser les pertes et l’Arabie saoudite avait alors été le principal contributeur à la reprise (graphique 4).
Jusqu’au week-end du 14 septembre, l’Arabie saoudite produisait 9,8 mb/j, contre un pic récent de 11,1 mb/j avant la mise en œuvre des réductions, ce qui correspond à une capacité de réserve théorique de 1,3 mb/j, qui n’est actuellement pas disponible. Aujourd’hui, les réductions de la production au sein de l’OPEP+ permettent à d’autres producteurs de monter rapidement en puissance. Un retour aux niveaux record observés en novembre 2018 représenterait environ 0,8 mb/j de production supplémentaire de la part de la Russie, des Emirats arabes unis et du Koweït. L’Arabie saoudite étant le plus grand producteur de pétrole de l’organisation et, de fait, son leader, la marge de manœuvre de l’OPEP pourrait être réduite tant que la capacité de production saoudienne n’aura pas été intégralement rétablie.
Maintien du scénario central malgré un risque à court terme plus prononcé
La récente volatilité des marchés pétroliers a reflété non seulement le caractère inédit des attaques, mais aussi le manque de communication des autorités saoudiennes pendant les premières 48 heures. Le royaume ayant maintenant pris position, le marché dispose d’un calendrier clair pour évaluer l’état d’avancement des réparations. Si Saudi Aramco respecte son échéancier – facteur crucial que les acteurs du marché surveilleront de près – l’impact sur notre modèle d’offre/demande et les stocks en particulier restera limité.
Dans notre scénario de référence, le Brent devrait se négocier autour d’USD 60/baril, la demande souffrant des incertitudes induites par le commerce. Cet été, nous avions en effet révisé à la baisse nos prévisions sur 12 mois pour le Brent afin de tenir compte du ralentissement de l’économie mondiale et de ses conséquences en termes de demande cette année et l’année prochaine (graphique 5). De nouvelles mesures de la part de l’OPEP/Russie seraient nécessaires pour limiter l’offre excédentaire prévue. Les discussions sur les nouvelles réductions de la production seront à l’ordre du jour de la prochaine réunion de l’OPEP.
Il est peu probable que les producteurs américains de pétrole de schiste réagissent à l’évolution actuelle des prix car les futures à 1 et 2 ans sur le WTI n’ont pas évolué de façon drastique (environ USD 53-54/baril, WTI). En effet, les prix des futures demeurent en deçà des niveaux jugés attractifs pour commencer à couvrir une production supplémentaire (WTI à USD 60/baril) ou financer de nouveaux investissements dans le forage et l’achèvement. Si les producteurs américains de pétrole de schiste étaient appelés à combler le déficit d’approvisionnement (avec, généralement, un décalage de 6 à 12 mois), une croissance supplémentaire de la production de 1 mb/j nécessiterait une progression des prix des futures à 1 et 2 ans d’au moins USD 10/baril (à environ USD 65/baril). Par conséquent, nous ne modifions pas notre scénario central et tablons sur une progression de la production américaine de pétrole de schiste de 0,7 mb/j en 2020.
Indépendamment de l’évolution des fondamentaux, les cours continueront d’intégrer une prime de risque géopolitique d’environ USD 5-10/baril, au moins à court terme. Les événements récents témoignent en effet d’une escalade des tensions au Proche-Orient. Bien que les rebelles yéménites aient revendiqué les attaques, il est peu probable qu’ils aient pu les mener sans l’aide de l’Iran, ce qui explique la réaction de l’Arabie saoudite et celle des Etats-Unis.
Les espoirs que le sommet du G7 du mois d’août et le départ du conseiller américain à la Sécurité John Bolton début septembre apaiseraient les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran s’estompent et le risque d’un conflit dans la région s’est renforcé. En définitive, l’Iran pourrait une fois de plus menacer de fermer le détroit d’Ormuz par lequel transite un cinquième du pétrole échangé dans le monde.
Même si la dynamique à moyen terme n’a pas été affectée par les attaques, nous ne pouvons pas exclure un regain de volatilité à court terme car le marché physique semble plus vulnérable à de nouvelles perturbations jusqu’à la fin de l’année, date à laquelle l’Arabie saoudite aura retrouvé ses pleines capacités.
Analyse des scénarios de risque
Comme nous le mentionnons plus haut, les chocs d’offre devraient être de courte durée, soutenus par un déstockage important ou la libération des RSP pour équilibrer le marché. Seule une crise géopolitique durable qui impliquerait des actions militaires et une fermeture prolongée du détroit d’Ormuz pourrait faire grimper les prix à plus d’USD 75/baril (Brent), imposant de fait une taxe aux entreprises et aux consommateurs – les seuls segments résilients de nos économies, déjà pénalisés par le choc extérieur lié à l’effondrement du commerce mondial.
Dans un tel contexte, les indices d’actions sont susceptibles de souffrir dans un climat d’aversion au risque alors que les perspectives bénéficiaires sont déjà ternies par l’évolution du commerce. Un affaiblissement de la consommation américaine déclencherait sans nul doute une récession des bénéfices. S’il pourrait certes y avoir des gagnants (les exportateurs de pétrole), les marchés émergents (ME) seraient perdants. Ce sont en effet les actifs émergents qui seraient les plus fortement impactés car ils sont très sensibles à la croissance mondiale. Le segment américain du haut rendement pourrait en revanche en bénéficier en termes relatifs (les émetteurs de ce segment sont encore exposés à hauteur de 15% environ aux producteurs de pétrole de schiste).
Les attentes en matière d’inflation pourraient être soutenues à court terme par cet environnement, mais la probable détérioration des perspectives économiques les atténuerait et finirait par faire plonger les rendements à de nouveaux planchers historiques. Notons que, dans ce contexte, les banques centrales ne réagiraient certainement pas au rebond de l’inflation, même en cas de dépassement de leurs objectifs, et se concentreraient plutôt sur le risque de baisse de la croissance.
Sur le front des devises, une hausse durable des prix du pétrole conjuguée au ralentissement de l’économie mondiale devrait conduire à une appréciation du dollar américain (valeur refuge) par rapport à des devises à bêta élevé, sensibles à l’évolution du cycle économique, en particulier celles des pays importateurs nets de pétrole (telles que l’INR et la TRY). Finalement, si l’or n’a pas réagi à la nouvelle, il attirerait certainement des afflux substantiels (renforcés par le manque d’actifs refuge traditionnels dans le contexte de faibles rendements) si la situation évoluait vers un conflit plus large.
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