corporate
Entreprises familiales et succession, comment la planifier
La planification successorale pour une entreprise familiale régie par le droit suisse est un processus continu et complexe. Quelles sont les étapes et les instruments juridiques à disposition pour une planification successorale réussie ? Entretien avec Marie-Christine Von Pezold, Head of Lombard Odier Family Programme1.
Les organes2 et les instruments3 de la gouvernance familiale4 garantissent la transparence, la communication, la stabilité et la continuité dans la famille. Sur le même principe, la succession constitue un enjeu majeur pour la famille et son patrimoine. La planifier revêt une importance primordiale. Elle doit être anticipée, mais aussi évoluer au gré des changements.
Pourquoi une planification successorale est-elle importante pour une entreprise familiale?
Planifier une succession est un processus continu et complexe. Il convient de le gérer consciencieusement pour faire face aux problématiques qui pourraient survenir, qu’il s’agisse du partage de certains actifs (immobiliers ou collections d’art par exemple), ou, dans le cas d’une entreprise familiale, de la transmission des parts ou de la reprise de sa direction. Nous recommandons de commencer le processus le plus tôt possible, non seulement pour bien réfléchir à tous les éléments à prendre en compte, mais aussi pour garantir une sérénité dans ce processus, en limitant autant que possible les situations d’urgence nécessitant l’adoption de dispositions de dernière minute. Une bonne planification successorale permet de mieux appréhender les changements liés aux cycles de vie des membres de la famille, ainsi que les enjeux fiscaux ou juridiques y relatifs.
Au niveau du droit suisse, que se passe-t-il en l’absence de planification successorale?
A défaut de planification successorale, les dispositions légales applicables à la succession s’y substitueront. Le testateur5 a toutefois la possibilité de régler sa succession de son vivant, en prenant des dispositions pour cause de décès (testament ou pacte successoral). Cette liberté de disposer trouve néanmoins ses limites par rapport à certaines catégories d’héritiers protégés par la loi suisse, qui doivent, au moins, recevoir leur part réservataire dans la succession. Les héritiers réservataires sont : le conjoint ou le partenaire enregistré survivant, les descendants et, à défaut de descendants, les parents du défunt. En présence d’un époux survivant et de descendants directs, la réserve du conjoint survivant est de 1/4 et celle des enfants de 3/8. Il en résulte une quotité disponible de 3/8, qui peut librement être attribuée par testament. Par ailleurs, l’institution du pacte successoral permet de déroger aux réserves héréditaires susmentionnées, pour autant toutefois, que les héritiers réservataires apportent leur consentement aux dispositions qui entameraient leurs réserves. A noter que le pacte successoral doit nécessairement être conclu devant un notaire.
Compte tenu de l’évolution de la société durant les cent dernières années, la nécessité de moderniser le droit suisse des successions s’est faite ressentir. Un projet de réforme est actuellement en cours au niveau fédéral. Ce projet prévoit, entre autres, de laisser plus de liberté au testateur pour disposer de ses biens, en réduisant les parts réservataires. Compte tenu du processus législatif, il semble peu probable que l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales intervienne avant 2020.
Quelles sont les questions clés liées à une planification successorale d’une entreprise familiale ?
Une planification successorale d’une entreprise familiale peut être divisée en trois étapes.
La première consiste à définir les objectifs à trois niveaux
- La famille : veut-on procéder à une répartition équitable de l’héritage familial ? Souhaite-t-on préserver la cohésion familiale et éviter ainsi les conflits au sein de la famille ?
- Le patrimoine : dans quelle mesure la sécurité financière de la famille ou du conjoint survivant doit-elle être garantie ? Comment optimiser la gestion du patrimoine familial ? Faut-il prendre des mesures pour éviter une dévalorisation du patrimoine familial ?
- L’entreprise familiale, la transmission de la propriété et la succession au sein de la direction : l’entreprise doit-elle rester dans la sphère familiale ou est-il préférable de la vendre ? La famille doit-elle rester à la direction de l’entreprise et/ou dans le conseil d’administration ? Comment assurer durablement la prospérité économique de l’entreprise?
La deuxième étape consiste à élaborer une stratégie permettant d’atteindre les objectifs précédemment définis :
En ce qui concerne la famille : faut-il attendre le décès pour transmettre l’intégralité des actifs de la famille ou tout ou partie de la transmission doit-elle être anticipée ? (Une transmission anticipée peut être utile, à des fins de formation ou d’optimisation fiscale). Les descendants doivent-ils être impliqués dans la planification successorale?
En ce qui concerne le patrimoine : le patrimoine familial doit-il être géré globalement ou par classe d’actif ? Comment organiser le transfert des actifs? Certains actifs peuvent être difficiles à évaluer et à répartir, tels que les biens immobiliers, les collections d’art ou les entreprises. Une gestion en commun des actifs peut être une solution. Les avantages et les inconvénients d’une gestion commune des actifs mobiles et immobilisés sont les mêmes : l’intérêt d’une administration conjointe sont une gestion centralisée et professionnelle, ainsi qu’une optimisation des coûts. Les inconvénients sont le risque de conflits et la perte d’autonomie des propriétaires.
Pour l’entreprise familiale, nous retrouvons les deux niveaux de succession, celle de la propriété et celle de la direction : la famille doit-elle rester propriétaire à 100 % ? Faut-il trouver une solution mixte en ce qui concerne la propriété de l’entreprise, en recherchant par exemple des investisseurs privés ou en procédant à une introduction en bourse. L’ouverture du capital à des tiers peut se révéler utile pour indemniser d’autres héritiers. Comment organiser la gestion de l’entreprise ? Un seul directeur familial suffit-il ou une équipe de direction est-elle nécessaire ?
Notre recommandation est simple : tous les thèmes critiques doivent être abordés et discutés afin de trouver des solutions durables.
La troisième et dernière étape est celle de la mise en œuvre
- En ce qui concerne la famille, il est préférable de communiquer sur la planification de la succession. Afin de mener à bien ce processus de transmission, la rédaction d’une constitution familiale peut être utile.
- Au niveau du patrimoine, une implémentation juridique et fiscale doit être initiée. La gestion des actifs et des avoirs de prévoyance doit être adaptée.
- Pour les entreprises, le règlement de la succession ne se limite pas aux aspects juridiques et économiques de l’entreprise. Il englobe également le processus, très intensif, visant à rendre opérationnel le successeur familial.
Nous recommandons de vous entourer de spécialistes qui vous assisteront dans la mise en œuvre de la planification successorale et vous éviteront certains écueils. Vous pourrez également faire appel à une personne de confiance. Le conseil spécialisé couvre les deux aspects suivants : un conseil spécialisé orienté solutions, avec le recours à des avocats, des conseillers fiscaux, des experts-comptables et des conseillers financiers. Un conseil spécialisé orienté gestion des processus, en recourant à des accompagnants, des modérateurs ou des médiateurs.
Quels sont les instruments juridiques à disposition pour une planification successorale ?
Un décès a des conséquences juridiques complexes, non seulement au niveau du droit des successions, mais aussi au niveau des assurances sociales, de la prévoyance, de la fiscalité, du droit matrimonial et des sociétés. Les instruments juridiques à disposition de la planification successorale sont, par exemple :
- En droit des successions : le testament, le pacte successoral et l’avance d’hoirie (ou donations rapportables).
- En droit matrimonial : le contrat de mariage permettant de modifier le régime matrimonial (communauté de biens, séparation des biens et participation aux acquêts).
- En droit des sociétés : les « holdings » de famille ou les conventions d’actionnaires.
Avec le testament, forme la plus courante, le testateur prend des dispositions de manière unilatérale, mais il pourra les modifier en tout temps. Avec un pacte successoral, le disposant définit avec ses héritiers (ou certains d’entre eux), des arrangements fermes concernant sa succession. Le pacte successoral est contraignant pour toutes les personnes qui le signent.
Certains aspects de la planification peuvent également découler d’un contrat de mariage. En effet, en fonction du choix du régime matrimonial, cela peut influencer la répartition de certains actifs.
Quant aux conventions d’actionnaires, elles règlent les rapports entre les détenteurs de parts et peuvent se révéler très utiles pour les familles entrepreneuriales. Elles définissent notamment les droits d’achat et de préemption, les droits de reprise, l’entrée et la sortie d’actionnaires, les droits de vote et les types de représentation, ainsi que l’évaluation de l’entreprise en cas de sortie.
Quel est le calendrier de planification et de mise en œuvre successorale pour une entreprise familiale ?
Dans une entreprise familiale, la génération dirigeante (idéalement autour de la cinquantaine) doit d’abord prendre les décisions de principe, en ligne avec les objectifs définis : garder ou vendre l’entreprise/les actions dans la famille, faire gérer l’entreprise par des tierces personnes ou des membres de la famille, veiller à la sécurité financière des membres de la famille.
Ensuite, vient la mise en application des décisions concernant la succession de la direction et de la propriété de l’entreprise, qui se poursuit tout au long du processus de transmission de la direction au(x) membre(s) de la famille dirigeante de la génération suivante. Cette phase dure en principe entre 3 et 5 ans. Les points clés suivants devraient être traités : le successeur doit définir en toute franchise s’il souhaite endosser ce rôle et s’il en est capable. Lorsqu’un successeur a été désigné, il convient de définir la date de son entrée en fonction, son plan de carrière, l’évaluation de sa performance et la date définitive pour la transmission du flambeau. Le changement de rôle doit être organisé concrètement et les règles du jeu doivent être claires. Par exemple, il peut être utile de prévoir que le prédécesseur s’engage à se retirer définitivement des affaires courantes. Les équipes de direction et la structure de direction doivent être adaptées. Les conventions particulières doivent être juridiquement finalisées et optimisées d’un point de vue fiscal.
Enfin, la phase de la transmission concrète de la propriété et de la direction dans une entreprise gérée par la famille est celle de la réorientation de l’entreprise. Dans l’idéal, l’ancienne direction a lâché prise et n’est plus impliquée. Les nouveaux membres de la famille à la direction doivent trouver leur propre style de gestion et adapter l’entreprise aux nouveaux défis. Certains seniors et/ou juniors se font coacher durant le processus de transmission, mais cela n’est pas toujours nécessaire.
Si le processus de succession doit être mûrement réfléchi et soigneusement planifié, il faut également prévoir suffisamment de temps pour pouvoir adapter en conséquence la planification successorale.
Quels sont les instruments et organes de la gouvernance familiale dont il conviendrait de tenir compte dans le cadre d’une planification successorale ?
Le « changement de système » que représente la succession se déroule sur trois niveaux : i) au niveau des propriétaires, c’est-à-dire sur le plan juridique, ii) au niveau de l’entreprise, c’est-à-dire sur le plan économique, iii) au niveau familial, c’est-à-dire sur le plan émotionnel.
L’Assemblée générale vote la nomination et la révocation des membres du Conseil d’administration, externes ou issus de la famille. Elle peut donc exercer son influence sur la succession des membres de la famille au sein du Conseil d’administration de l’entreprise.
Le Conseil d’administration peut avoir une influence sur la nomination et la révocation de la direction et donc sur la succession à la direction familiale. Il peut également participer à l’évaluation de membres de la famille en vue de l’exercice de fonctions au sein de l’entreprise.
En ce qui concerne l’entreprise, il est important d’avoir un plan de continuité, en cas d’urgence. Le plan de continuité prévoit ce qui doit se produire si un membre de la famille occupant une fonction-clé disparaît subitement et qu’il n’y a pas encore de successeur issu de la famille à la direction, dans un objectif de continuité de la direction de l’entreprise.
Pour la famille qui travaille dans l’entreprise, il existe le plan du personnel de la famille, qui précise quels contenus d’apprentissage sont requis pour les membres de la famille de la génération suivante. Il leur permet de se préparer à leur futur rôle au sein de l’entreprise. Il détermine également la gestion de carrière interne des membres de la famille. Outre l’expérience requise, les procédures d’évaluation de la performance des membres de la famille sont précisées dans ce document. En particulier pour la succession à la direction, il est très important de définir des critères précis et un processus de sélection transparent. On évite ainsi les conflits tout en garantissant une procédure de sélection équitable.
Au sein de la famille, il existe la constitution familiale déjà évoquée plus haut, laquelle définit la stratégie en matière de succession, le rôle de chacun et les domaines de responsabilité des actionnaires. L’organe du conseil de famille ou, dans les familles de taille plus restreinte, l’« intendant » de famille, prend le rôle d’accompagnateur pour les questions de succession et les processus en la matière.
En résumé : quelles étapes pour une planification successorale réussie ?
- Choisissez une stratégie : quel est votre objectif et comment peut-il être atteint au mieux ?
- Préparez votre succession à temps : adressez-vous à des spécialistes, préparez ensemble les solutions envisageables pour votre famille, votre patrimoine et votre entreprise.
- Concrétisez vos solutions à l’aide des instruments et des organes qui sont à votre disposition pour le faire.
- Communiquez avec les personnes concernées tout au long du processus de succession, soyez transparent.
- Certains obstacles peuvent entraver ce processus, qui peut souvent durer plus longtemps que prévu ou souhaité. C’est pourquoi il est primordial de réfléchir également à un plan de continuité en cas d’urgence.
1 Via une approche unique et novatrice, le Lombard Odier Family Programme a pour objectif d’accompagner les familles dans l’organisation, la protection et la transmission de leur patrimoine. Il est structuré en dix modules se répartissant en trois sections à articuler selon vos besoins : Gouvernance, Transmission, Conseil patrimonial. Grâce à des exemples basés sur des cas réels, les familles disposent des instruments nécessaires au développement de solutions pérennes.
2 Les organes familiaux peuvent être les suivants : Assemblée familiale (tous les membres de la famille), Conseil de famille (certains membres de la famille), divers comités de famille (certains membres de la famille) comme le comité de placement, le comité philanthropique, le comité de la nouvelle génération.
3 La Constitution familiale ou charte familiale est un document stratégique défini et partagé par tous les membres de la famille, véritable fil conducteur pour la gestion de l’entreprise et du patrimoine familial. Ce document représente l’élément clé d’une stratégie de prévention des conflits.
4 La gouvernance familiale établit des mécanismes de pilotage, de contrôle et de communication et définit un cadre pour la prise de décisions au sein de la famille. Garantissant transparence et stabilité, elle favorise la cohésion et garantit ainsi la continuité de l’héritage familial.
5 Le testateur est la personne qui rédige un testament afin de transmettre tout ou partie de sa succession à une ou plusieurs personnes ou d’attribuer à un héritier légal (enfant par exemple) une part d’héritage supérieure à la part qu’il aurait reçue en application de la loi.
Information Importante
Le présent document de marketing a été préparé par Banque Lombard Odier & Cie SA ou une entité du Groupe (ci-après « Lombard Odier »). Il n’est pas destiné à être distribué, publié ou utilisé dans une juridiction où une telle distribution, publication ou utilisation serait interdite, et ne s’adresse pas aux personnes ou entités auxquelles il serait illégal d’adresser un tel document.
partager.