perspectives d’investissement

    Les États-Unis menacent de briser le plafond de la dette

    Les États-Unis menacent de briser le plafond de la dette
    Samy Chaar - Chef économiste et CIO Suisse

    Samy Chaar

    Chef économiste et CIO Suisse
    Homin Lee - Stratège macro senior

    Homin Lee

    Stratège macro senior
    Christian Abuide - Responsable d’allocation d’actifs

    Christian Abuide

    Responsable d’allocation d’actifs

    Points clés

    • L’impasse dans laquelle se trouve le Congrès américain face à l’émission de nouveaux emprunts pourrait entraîner un défaut de paiement technique, à moins qu’un compromis ne soit trouvé dans les semaines à venir
    • La dette du Trésor américain fournit au monde financier un taux « sans risque » de référence. Toute menace pesant sur ce statut entraînerait une réévaluation de tous les actifs financiers
    • Nous estimons que l’issue la plus probable sera un accord de dernière minute visant à relever le plafond de la dette, étant donné les graves conséquences d’un défaut de paiement technique
    • L'accord de 2011 s’est accompagné d’un regain de volatilité des marchés : les cours des actions et les rendements obligataires ont chuté, les spreads de crédit se sont creusés, le cours de l’or a augmenté et le dollar s’est renforcé. Toutefois, si un accord est trouvé, le sujet quittera discrètement le devant de la scène. Nous conservons notre surpondération des bons du Trésor américain.

    Le Trésor américain ne pouvait pas être plus clair. Les atermoiements politiques concernant la dette américaine « peuvent nuire gravement » à l’économie du pays. Dès le 1er juin déjà, le Trésor pourrait devoir hiérarchiser les créanciers à honorer et les paiements à ajourner, soit des mois plus tôt qu’anticipé au début 2023. Nous examinons trois scénarios et les enjeux d’un défaut de paiement technique du gouvernement américain.

    Les États-Unis ont atteint leur limite d’endettement de 31 400 milliards USD en janvier. Le pays doit désormais plus de 31 700 milliards USD tandis que le compteur de la dette continue à tourner. Le 27 avril, les législateurs républicains de la Chambre des représentants ont utilisé leur majorité pour tenter d’imposer des limites à un budget pourtant déjà adopté. À une majorité de deux voix, ils ont voté une loi destinée à relever le plafond de la dette de 1 500 milliards USD, à condition que l’administration Biden abandonne les subventions industrielles et les crédits d’impôt destinés à soutenir la transition des États-Unis vers des énergies et des infrastructures propres. Le plan des républicains, rejeté par les démocrates, prévoit aussi des critères plus stricts pour l’accès des plus démunis aux soins de santé et aux bons d’alimentation.

    Le 1er mai, Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain, a pris le Congrès de court en déclarant que la date dite « X » – le jour où le Trésor américain n’aura plus de liquidités pour honorer ses obligations – pourrait tomber le 1er juin déjà. La date exacte est incertaine, car elle dépend du montant de l’impôt sur le revenu perçu par le gouvernement ; depuis le début de l’année, le Trésor indique que les revenus sont moins élevés en 2023 qu’il y a un an (voir graphique 1). Entre-temps, le Trésor a déjà commencé à prendre des « mesures extraordinaires » notamment en cessant d’émettre des titres qui aident les États et les municipalités à gérer leur budget, puisqu’ils comptent pour le plafond de la dette. Une fois ces mesures épuisées, le Trésor peut décider de fermer certains services gouvernementaux et de différer le paiement des salaires des fonctionnaires.

    …le Trésor a déjà commencé à prendre des « mesures extraordinaires »…

    Cette situation est problématique, car les bons du Trésor américain représentent le taux de référence sans risque pour les actifs financiers du monde entier. Ils sont considérés comme les actifs les plus sûrs au monde. Il s’ensuit que tous les autres actifs monétaires dépendent de ce taux de référence. Toute remise en cause de son statut entraînerait une réévaluation de l’ensemble des actifs financiers, des emprunts souverains au crédit d’entreprise en passant par l’immobilier. Sans compter que la crédibilité de l’économie américaine serait mise à mal. « C’est au Congrès d’agir, a déclaré Mme Yellen le 7 mai. S’il ne le fait pas, cela entraînera une catastrophe économique et financière que nous aurons nous-mêmes provoquée. »

    La semaine dernière, la Maison Blanche a présenté ses propres estimations de l’impact économique d’un défaut de paiement des États-Unis au troisième trimestre 2023. Ces estimations vont d’un scénario de type « impasse politique » qui coûterait 200 000 emplois et amputerait le PIB national de 0,3% en termes réels en base annuelle, à un scénario de type « défaut prolongé » qui pourrait entraîner la perte de 8,3 millions d’emplois et coûterait plus de 6 % du PIB.

     

    Maintien de la note AA+

    Historiquement, les marchés ont ignoré les remous politiques qui entourent le plafond de la dette américaine, et ce pour de bonnes raisons. Le Congrès a accepté de relever cette limite 78 fois depuis 1960, dont les trois cinquièmes sous des présidents républicains (voir graphique 2). Le relèvement le plus récent a eu lieu en décembre 2021, pour un montant de 2 500 milliards USD. En 2011, cependant, un accord n’a été trouvé qu’au dernier moment. Il a été suivi d’une première dégradation de la note de crédit des États-Unis, que Standard & Poor’s a abaissé d’un cran, de « AAA » ou « exceptionnel » à « AA+ » ou « excellent ». Le pays n’a pas retrouvé sa notation antérieure. En 2011, le plafond américain représentait un peu plus de la moitié de son niveau actuel, soit 16 400 milliards USD, et le pays affichait des taux d’intérêt réels négatifs et un ratio dette/PIB de 90%.

    Le resserrement de la politique monétaire en cours depuis mars 2022 a accru les enjeux pour le service de la dette nationale. Depuis son dernier relèvement, le taux directeur de la Fed se situe entre 5% et 5,25%, alors que les encours de la dette équivalent à 120% du PIB. Toutefois, il est peu probable que les taux soient réduits en 2023, à moins que de nouvelles tensions dans le système bancaire ou une récession sévère ne contraignent la banque centrale à abaisser les coûts d’emprunt plus tôt.

    La polarisation actuelle de la politique américaine ne permet pas d’exclure l’éventualité d’un défaut technique de paiement

    La polarisation actuelle de la politique américaine ne permet pas d’exclure l’éventualité d’un défaut technique de paiement. Toute solution devra commencer par une rencontre entre le président de la Chambre des représentants, le député républicain Kevin McCarthy et le président Joe Biden. Une première réunion est prévue le 9 mai. M. McCarthy a été nommé par les républicains en janvier 2023, à l’issue d’un long processus de négociation qui a donné lieu à quinze tours de scrutin. Le maintien à son poste au sein de son propre parti dépend de sa capacité à faire preuve d’économie budgétaire auprès d’une minorité de républicains appartenant à la « ligne dure » de la Chambre des représentants.

     

    Scénarios alternatifs

    Les solutions alternatives abondent, mais leur faisabilité politique et les incertitudes juridiques et financières qui y sont associées suscitent des doutes. Une solution consiste à ignorer purement et simplement la limite de la dette en invoquant la section 4 du 14ème amendement de la Constitution, stipulant que « la validité de la dette publique des États-Unis... ne sera pas remise en question ». Cette disposition date de la guerre de Sécession et visait à dispenser les États de l’Union du Nord d’honorer la dette des États du Sud.

    Une autre possibilité de dernier recours consiste à frapper une pièce de platine d’une valeur de 1 000 milliards USD en vertu d’une loi de 1997 conférant au secrétaire du Trésor américain le pouvoir discrétionnaire de créer des pièces quelle que soit leur dénomination. Dans ce scénario, le gouvernement américain poursuivrait ses activités de financement en déposant une ou plusieurs pièces de 1 000 milliards USD nouvellement créées auprès de la Fed, en échange de montants équivalents de liquidités à utiliser pour les paiements d’intérêts ou autres obligations. Afin de prévenir le financement monétaire pur et simple du déficit, la Fed devrait alors « stériliser » ces pièces par le biais de mesures de resserrement quantitatif, telles que la vente d’obligations détenues dans son bilan.

    Une troisième solution consisterait à émettre des bons du Trésor à des taux nominaux supérieurs aux rendements du marché. Cela permettrait au gouvernement américain d’émettre des obligations à des prix dépassant leur valeur nominale, créant ainsi un écart entre les liquidités reçues et la valeur comptable utilisée pour le calcul du plafond.

    Certains investisseurs ne manqueraient pas d’interpréter ces manœuvres comme un défaut de paiement qui ne porte pas son nom

    Si ces scénarios devaient se concrétiser, l’administration Biden serait probablement confrontée à une contestation juridique immédiate qui ne pourrait être réglée que par la Cour suprême, où les conservateurs sont deux fois plus nombreux que les libéraux. La Cour serait ainsi mise au défi de provoquer un défaut technique catastrophique ou de mettre fin à la limite de la dette en créant un précédent juridique qui la neutraliserait de manière permanente. Même en cas de succès, les marchés seraient confrontés à une période d’incertitude liée aux instruments de la dette américaine, qui sous-tendent l’ensemble du système financier. Certains investisseurs ne manqueraient pas d’interpréter ces manœuvres comme un défaut de paiement qui ne porte pas son nom.

     

    Scénario central

    Le scénario le plus probable, auquel nous attribuons une probabilité de 60%, pourrait être un accord de dernière minute visant à relever le plafond de la dette et à éviter que le Trésor soit contraint de hiérarchiser ses paiements. Toutefois, la probabilité pour que les législateurs acceptent des solutions à court terme, prolongeant l’autorisation du Trésor d’émettre des emprunts jusqu’en juillet ou septembre, pourrait être de 30%. Enfin, nous ne pouvons pas exclure une probabilité d’un sur dix qu’il n’y ait pas d’accord du tout, ce qui obligerait le Trésor à donner la priorité aux paiements du capital ou aux intérêts sur les obligations américaines, par rapport aux autres créances.

    Le différend sur la dette comporte également un aspect géopolitique. Il est « pratiquement certain » que la Chine profiterait d’un défaut de paiement pour tourner en dérision le système politique américain en le qualifiant de dysfonctionnel, a déclaré Avril Haines, directrice du service de renseignement national américain, devant une commission sénatoriale le 4 mai. La menace chinoise est aujourd’hui l’un des rares sujets qui mettent d’accord les démocrates et les républicains.

    …dans un environnement aussi divisé du point de vue politique, nous ne pouvons éviter d’envisager le scénario le plus extrême…

    Afin de comprendre les implications possibles pour les actifs financiers, observons comment les marchés ont réagi à la crise du plafond de la dette de 2011. Contrairement aux autres marchandages politiques portant sur ce même sujet, ce fut la seule année où le pays s’est rapproché de la « date X ». Les marchés boursiers ont chuté et les spreads de crédit se sont creusés, les cours de l’or ont augmenté et le dollar s’est apprécié, tandis que les rendements obligataires ont reculé malgré l’abaissement de la note de crédit des États-Unis. Cela dit, il est difficile d’attribuer ces mouvements à la seule crise du plafond de la dette car, à l’époque, la zone euro faisait face à une crise de la dette souveraine. Lors d’autres épisodes liés à la limite de l’endettement, la réaction du marché a été beaucoup plus discrète. Dans tous les cas, aujourd’hui y compris, les investisseurs semblent prêts à payer une prime pour les emprunts du Trésor à court terme arrivant à échéance juste avant la date X, et exigent une décote pour ceux qui affichent une date de règlement peu de temps après.

    Le risque croissant d’un défaut de paiement pourrait également accentuer la pression sur le dollar, qui faiblit en raison du ralentissement de l’économie américaine. Nous nous attendons à une dépréciation du dollar par rapport à l’euro, au franc suisse et au yen japonais, et tablons sur un taux de change EUR/USD de 1,12, USD/CHF de 0,87 et USD/JPY de 120 à un horizon de douze mois. Néanmoins, la devise américaine devrait se montrer plus résiliente face aux monnaies des autres grandes économies comme les dollars canadien, australien ou néo-zélandais, et face aux devises d’Asie du Nord, dont le yuan chinois.

    La volatilité du marché autour de cette question devrait rester limitée aux emprunts du Trésor américain à court terme. Les arguments plaidant en faveur des obligations à plus long terme restent inchangés et nous conservons notre surpondération des bons du Trésor américain. Si, comme nous l’espérons, le différend est résolu sans obliger le Trésor à hiérarchiser ses paiements, le sujet quittera discrètement le devant de la scène. Néanmoins, dans un environnement aussi divisé du point de vue politique, nous ne pouvons éviter d’envisager le scénario le plus extrême, car sans un compromis, les actifs financiers seraient confrontés au minimum à un dilemme de fixation des prix à court terme.

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