perspectives d’investissement
Croissance et renminbi à l’épreuve de la stratégie « zéro Covid » de la Chine
Lombard Odier Private Bank
Points clés
- Les mesures sanitaires destinées à endiguer les foyers épidémiques ralentissent l'économie chinoise au moment où le pays se prépare au congrès du Parti communiste
- Nous prévoyons une croissance du PIB de 4,3 % en 2022, nettement inférieure à l'objectif officiel de 5,5 %
- La Banque populaire de Chine (BPC) va probablement réduire encore les réserves obligatoires des banques, tandis les autorités souhaitent augmenter les dépenses budgétaires, notamment les investissements dans les infrastructures
- Nous conservons une certaine exposition à la dette chinoise à des fins de diversification, tout en restant neutres sur les actions chinoises. La paire dollar-renminbi évoluera entre 6,7 et 6,9 ces trois prochains mois.
La monnaie chinoise s'est affaiblie de manière spectaculaire. Depuis mi-avril, le renminbi a chuté à son niveau le plus bas par rapport au dollar américain en dix-huit mois. Les vents contraires qui freinent l'économie du pays jettent le doute sur la capacité des politiques macroéconomique et de santé publique à réaliser l’objectif de croissance du gouvernement chinois au cours d’une année politique cruciale.
En ce début de deuxième trimestre, on assiste à un ralentissement significatif de l’économie chinoise en raison des mesures « zéro Covid » mises en œuvre pour endiguer le variant Omicron. Les enquêtes PMI du mois d’avril des secteurs manufacturier et des services chinois indiquent une contraction pour le deuxième mois consécutif, l’activité des services s’établissant à 42, son plus bas niveau depuis février 2020. Le taux de chômage urbain a bondi à 5,8% en mars et devrait augmenter encore. Même si la Chine prévoit d’assouplir ses restrictions sanitaires dès mi-mai, son économie est sur le point de décélérer pour atteindre un rythme de croissance annuel inférieur à 2% au deuxième trimestre. Il s'agirait du deuxième taux de croissance le plus faible enregistré depuis les années 1990.
La plupart des régions du monde coexistent avec le Covid à différents niveaux. La Chine, de son côté, entend éradiquer les contaminations, et la forte transmissibilité des nouveaux variants a contraint les autorités à recourir à des mesures impopulaires telles que le recours au confinement des habitants dans leur logement. Ce qui a commencé fin mars par un confinement de neuf jours en deux phases pour contenir la transmission du virus dans certaines mégapoles, dont Shanghai, Pékin et Shenzhen, s’est mué en bataille de deux mois nécessitant l'isolement de 370 millions de personnes dans 45 régions.
Jusqu'à récemment, la stratégie chinoise paraissait efficace. Durant deux ans, le pays n'a pas enregistré plus de quelques centaines de contaminations au Covid par jour, protégeant ainsi son économie d’éventuelles perturbations. En conséquence, l'économie chinoise s'est rapidement remise du choc initial de la pandémie et le nombre total de décès par rapport à sa population a été inférieur à celui des autres grandes économies. Cette approche a semblé fonctionner jusqu'en février, les nouveaux foyers ayant été rapidement contenus sans impact significatif sur l'activité économique.
Puis, entre mars et avril, le nombre de nouveaux cas signalés en Chine a bondi pour atteindre une moyenne de 30 000 par jour avec toutes les mesures de confinement qui s’en sont suivies. Il est peu probable que le variant omicron, plus contagieux, puisse être totalement éliminé, même dans le cadre des mesures de confinement décrétées par la Chine. Alors qu’à Shangai, le nombre de cas a reculé, la ville de Pékin se trouve désormais en alerte en raison d’un important pic épidémique. À moins que le pays ne modifie sensiblement sa stratégie de santé publique, les grandes villes devront continuer à imposer des fermetures, créant de nouveaux chocs négatifs sur la croissance à court terme.
Nous nous attendons à ce que l'approche « zéro Covid » soit maintenue pendant plusieurs mois encore, malgré son coût économique. La population chinoise âgée a besoin d'une protection supplémentaire contre le virus en raison de l’insuffisance des rappels et de l'inefficacité des vaccins nationaux. Le 20e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) se tiendra à la fin de l'année. Le mandat du président Xi Jinping sera alors prolongé et les élites du Parti promues, ce qui rend politiquement inacceptable un déconfinement des villes alors que le nombre de décès dus au Covid ne cesse de croître. Alors que la situation semble se stabiliser à Shanghai, les autorités préféreront supprimer le virus avant d’assouplir les restrictions à la mobilité les plus strictes, pour permettre à la consommation et aux activités industrielles de rebondir.
À plus long terme, nous pensons que la Chine prévoit d’abandonner les restrictions après le Congrès du PCC. Cette étape combinera probablement des dépistages de masse et des vaccins américains et européens plus efficaces, ou une utilisation généralisée de pilules antivirales orales. Toutefois, le passage de la Chine à la stratégie endémique devra sans doute attendre la fin de l’année.
Le dilemme de la croissance
Compte tenu de l'impact de l’épidémie sur la consommation et la production industrielle au premier semestre 2022, nous prévoyons pour 2022 une croissance du PIB proche de 4,3%, en supposant que l'économie commence à se rétablir avant juin, pour rebondir ensuite. Cette estimation prend en compte les récentes allusions des dirigeants chinois concernant des mesures d’assouplissement supplémentaires. Si l'économie continue à subir des chocs successifs dus au confinement des principales zones urbaines, la croissance sur l'ensemble de l'année chuterait certainement en dessous de 4%.
Avec une croissance qui risque de manquer l'objectif officiel, les dirigeants chinois incitent les responsables à décréter davantage de mesures de soutien. Le président Xi leur aurait déclaré que la croissance de la Chine devait surpasser celle des États-Unis et qu’il fallait renforcer les infrastructures. Le 29 avril, le Politburo du PCC a déclaré qu'ils « ne devaient pas perdre de temps et prévoir davantage d'outils politiques » et qu’il leur fallait « maintenir l'économie dans une fourchette raisonnable ».
Alors que les politiques monétaires américaine et européenne deviennent plus restrictives pour lutter contre l'inflation, la banque centrale chinoise fait depuis près d'un an le cheminement inverse pour stimuler la croissance. Dès juillet 2021, la Banque populaire de Chine (BPC) a ainsi recommencé à réduire le taux de réserve obligatoire (RRR) du pays – la proportion des dépôts que les banques commerciales doivent accumuler. Une réduction du RRR libère davantage de liquidités dans le système bancaire, et la BPC pourrait baisser ce ratio de 25 points de base additionnels ces prochaines semaines.
Le gouvernement pourrait également augmenter les dépenses fiscales au-delà des montants annoncés en mars dans le budget officiel du Congrès du Peuple. Ce qui offrira probablement aux ménages et aux petites et moyennes entreprises un soutien direct pour contrebalancer les effets des confinements. Le gouvernement envisagera aussi une augmentation des émissions obligataires au niveau des autorités locales, ainsi que des dépenses d'investissement plus agressives pour les projets d'infrastructure. Nous nous attendions initialement à une expansion de la politique budgétaire équivalente à 1% du PIB. Ce chiffre devrait désormais passer à 2 %, voire plus. Ces nouveaux plans de relance devraient soutenir les infrastructures et les industries technologiques stratégiques.
Parallèlement, la BPC prévoit de faciliter les prêts à des secteurs et des emprunteurs ciblés. Pour prendre de nouvelles mesures budgétaires, les dirigeants chinois devraient utiliser des plateformes de financement des autorités locales qui ont créé de l'instabilité après la crise de 2008. Ce qui semble, pour le moment, improbable.
Évolution de la politique réglementaire ?
Le gouvernement a également évoqué des changements en matière de politique réglementaire. Le secteur de l'immobilier, qui représente environ un quart du PIB, assiste déjà à une évolution progressive. Les restrictions imposées en août 2021 pour plafonner la spéculation et maîtriser l’endettement ont ralenti la demande de logements et de prêts hypothécaires. Pour contenir les risques liés à l’immobilier, les autorités locales ont assoupli les conditions d'emprunt pour les acquéreurs. Les contrôles stricts concernant le financement des promoteurs se relâchent également, du fait que ces derniers font directement appel aux marchés des capitaux nationaux ou utilisent des lettres de crédit des banques. Le marché reste toutefois volatil, car les inquiétudes concernant les défauts de paiement et la restructuration de la dette des promoteurs chinois persistent.
Les autorités chinoises semblent également vouloir désamorcer les tensions liées aux conditions de cotation imposées aux entreprises chinoises par les marchés boursiers américains. Depuis mars 2022, la SEC (Securities and Exchange Commission) pointe du doigt les actions chinoises cotées aux États-Unis qui ne respectent pas ses règles d'audit et de comptabilité datant de 2020. Si les entreprises chinoises ainsi citées ne sont pas en mesure de fournir les documents financiers requis à l'organisme d'audit américain, la loi américaine sur la responsabilité des sociétés étrangères (HFCAA) permet de les radier des Bourses.
Bien que cette question ne soit pas clairement résolue, la Chine a indiqué qu'elle n’entendait pas la laisser déclencher un nouveau choc sur les marchés financiers, laissant entrevoir l’espoir que la question ne s'aggravera pas. Néanmoins, même ajoutées à la liste des sociétés jugées non conformes par la SEC, les entreprises chinoises disposent d'une fenêtre de deux ans pour se conformer aux exigences, ou pour transférer leur cotation à Hong Kong. Le gouvernement chinois signale également un assouplissement potentiel du durcissement de la réglementation des sociétés technologiques, source importante de volatilité sur le marché boursier chinois en 2021. Il organise cette semaine un symposium avec les principales entreprises technologiques pour parler de leur rôle au sein de l'économie ; des rapports laissent entendre que le gouvernement pourrait rassurer les entreprises en leur assurant que les régulateurs s'abstiendraient de procéder à de nouvelles « rectifications » ou d'imposer de nouvelles amendes. Cela a conduit à un rallye exceptionnel des valeurs technologiques chinoises la semaine dernière.
Expositions neutres
Afin de capitaliser sur la croissance de la deuxième plus grande économie du monde, nous avons inclus pour la première fois des obligations gouvernementales chinoises dans nos portefeuilles en juillet 2020. Nous avons ensuite renforcé cette exposition car la dette souveraine chinoise offrait un rendement attrayant par rapport aux bons du Trésor américain à 10 ans. En outre, le pays avait bénéficié d'une reprise post-pandémie plus rapide ainsi que d'une amélioration de l'accès des investisseurs étrangers et d’une faible corrélation avec les autres marchés.
Cette année, ces facteurs ont significativement changé, nous conduisant à adopter un positionnement neutre. En particulier, l'écart de rendement entre les taux chinois et américains a été éliminé compte tenu de la divergence des politiques monétaires. Néanmoins, si la dette chinoise libellée en renminbis n'offre plus d'avantage de portage comparativement aux bons du Trésor américain, nous pensons que les portefeuilles peuvent encore bénéficier de l'effet de diversification, les obligations gouvernementales chinoises étant décorrélées de la plupart des grandes classes d'actifs.
Nous restons neutres sur les actions chinoises. Les valorisations demeurent attrayantes comparativement aux marchés développés et émergents, mais les risques liés au ralentissement de la croissance, à l'effondrement de l'immobilier, à la réglementation sévère des plateformes technologiques et aux ramifications géopolitiques potentielles nous incitent à la prudence. Pour rétablir la confiance et déclencher un rebond durable, les investisseurs ont besoin de signaux politiques plus positifs. Les secteurs défensifs, tels que la santé et l’alimentation de base, peuvent être relativement isolés des faiblesses macroéconomiques et monétaires. Les dépenses d'infrastructure devraient soutenir certains titres des secteurs de l’industrie, des services publics et de la technologie. Une fois les risques réglementaires dissipés, les valeurs Internet qui détiennent des niveaux élevés de liquidités et qui peuvent continuer à effectuer des rachats d’actions pourraient également être soutenues.
Nous avons également adopté un point de vue plus neutre sur la devise chinoise. La guerre en Ukraine, où la Chine tente de trouver un équilibre entre des intérêts géopolitiques et économiques contradictoires, et le ralentissement de la croissance mondiale ont stimulé la demande pour le dollar américain depuis le début de l'année. Jusqu'à la mi-avril, le renminbi était resté stable par rapport à la devise américaine. Cela a changé soudainement lorsque la monnaie chinoise a chuté à un niveau jamais vu depuis novembre 2020. Ce mouvement reflète la déception des investisseurs quant aux dommages infligés à l’économie par les longs confinements successifs, ainsi que le soutien accru des politiques monétaires et budgétaires.
Cela dit, nous ne pensons pas que la monnaie chinoise subira le type de dévaluation qu'elle a enregistré en 2015-2016 lorsque l'inflation annualisée a chuté rapidement. Nous estimons que le taux de change dollar-renminbi évoluera entre 6,7 et 6,9 durant les trois prochains mois, avec un potentiel haussier si le dollar s’apprécie par rapport aux autres devises majeures. Cela implique une dépréciation supplémentaire du renminbi par rapport au taux de change actuel de 6,60.
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