perspectives d’investissement

    Reportage – Comment s’est déroulée la COP26 ?

    Reportage – Comment s’est déroulée la COP26 ?
    Stéphane Monier - Chief Investment Officer<br/> Lombard Odier Private Bank

    Stéphane Monier

    Chief Investment Officer
    Lombard Odier Private Bank

    Le 1,5 °C est toujours à l’ordre du jour. D’un cheveu. Si les accords sur le méthane, la déforestation et les véhicules électriques se sont distingués lors de la COP26, les mesures cruciales visant à réduire la dépendance aux combustibles fossiles et à fixer le prix du carbone avec précision ont déçu. Cette « dernière chance » de sauver le climat laisse encore beaucoup à faire l’année prochaine et au-delà.


    1. Passer de l’objectif « net zéro » à la réalité

    Le plus dur reste à faire

    La COP26 avait été présentée comme la dernière chance de maintenir l’objectif de limitation du réchauffement de la planète bien au-dessous de 2 °C. Les pays et les entreprises devaient faire preuve d’une plus grande ambition pour parvenir à zéro émission nette d’ici 2050, et d’une plus grande clarté sur les moyens d’y parvenir d’ici 2030. Depuis les habitants des îles basses du Pacifique jusqu’aux entreprises et aux investisseurs, tout le monde a besoin d’une trajectoire détaillée pour les 5 à 10 années à venir, afin d’évaluer et d’atténuer les risques climatiques physiques, d’élaborer des plans d’investissement et d’évaluer les actifs.

    La direction prise par la COP26 a été encourageante. De nombreux pays se sont fixé de nouveaux objectifs, notamment l’Inde et l’Arabie saoudite. Dans une rare déclaration commune, la Chine et les Etats-Unis ont convenu de renforcer leur coopération en matière de climat au cours de la prochaine décennie. Si tous les nouveaux engagements sont mis en œuvre et réalisés dans les délais, l’Agence internationale de l’énergie calcule que limiter le réchauffement à 1,8 °C est désormais possible. Si l’on considère uniquement les objectifs pour 2030, sans tenir compte des promesses faites jusqu’en 2050, le chiffre est plus proche de 2,4 °C, ce qui indique que les efforts à court terme sont loin d’être suffisants. Les participants se sont entendus sur des cadres communs de présentation des rapports ; dans le passé, les pays utilisaient leurs propres méthodes de comptabilisation. La participation du secteur privé à la COP26 a été sans précédent, et une nouvelle norme mondiale pour la fixation d’objectifs d’entreprise basés sur des approches scientifiques a été dévoilée. Alors que la transition s’accélère et que le point de basculement d’un changement climatique irréversible se rapproche, la pression s’accentue – tant sur le papier que dans le monde réel. Les pays ont été invités à soumettre de nouveaux objectifs plus ambitieux d’ici à la fin de 2022, au lieu des cinq années habituelles. Les délégués indiens sont rentrés dans une New Delhi confinée en raison d’une grave pollution atmosphérique.

    Si tous les nouveaux engagements sont mis en œuvre et réalisés dans les délais, l’Agence internationale de l’énergie calcule que limiter le réchauffement à 1,8 °C est désormais possible

    Mais les défis à relever sont considérables. La Chine et l’Inde ne visent pas le « net zéro » avant 2060 et 2070 ; 10% des émissions ne sont toujours pas couvertes par cet objectif. Les plans intérimaires des pays manquaient de détails : la stratégie « net zéro » du pays hôte parlait d’« ambitions » plutôt que d’« engagements », et le ministre des Finances britannique a été critiqué pour avoir réduit la taxe passager sur les vols intérieurs la même semaine. Alors même que les nouvelles promesses semblent insuffisantes pour atteindre 1,5 °C, peu de pays sont en passe de respecter leurs engagements actuels. Il n’existe aucun mécanisme coercitif, si ce n’est la pression des pairs et le risque que les pays non alignés soient exclus des principaux marchés d’exportation. Alors que les risques et les opportunités climatiques commencent à se cristalliser, les investisseurs alignent de plus en plus leurs portefeuilles sur le principe du « net zéro ». Etant donné que même des niveaux modérés de réchauffement planétaire peuvent causer des dommages climatiques importants, ils devraient également inclure des stratégies visant à atténuer le risque climatique et à renforcer la résilience. Jamais l’écart entre les intentions et les actes n’a été aussi manifeste que dans le soutien apporté aux pays en développement pour les aider à s’adapter au changement climatique. Pour les pays déjà victimes d’inondations, de sécheresses ou d’incendies, une augmentation de la température mondiale supérieure à 1,5 °C pourrait s’avérer catastrophique. Les nations industrielles ont convenu de doubler leurs contributions au financement de cette atténuation du changement climatique pour atteindre 40 milliards de dollars américains par an d’ici 2025. Mais cela semble insuffisant. L’Inde a demandé 1 000 milliards de dollars américains d’ici 2025 ; et l’Afrique pas moins de 1 300 milliards de dollars américains par an d’ici 2030. Il est honteux que les pays en développement attendent toujours que soient concrétisées les promesses de financement faites en 2015. La majeure partie du financement climatique du secteur privé est toujours orientée vers les pays développés et les technologies éprouvées. Une répartition plus équitable et une accélération des efforts de décarbonation s’imposent de toute urgence.

    2. Abandon de la dépendance aux combustibles fossiles

    Décevant

    La suppression progressive de l’utilisation des combustibles fossiles et la fin des subventions constituent peut-être le plus grand défi à relever en matière de changement climatique. Dans ce que certains ont considéré comme un tournant symbolique, les combustibles fossiles ont pour la première fois été mentionnés dans le « Pacte de Glasgow » de la COP26. Le Pacte a accepté de « réduire progressivement » (et non de « supprimer progressivement ») le charbon et les « subventions inefficaces aux combustibles fossiles » d’ici à 2030 : une formulation pour le moins vague. Un engagement séparé vise à supprimer progressivement le charbon dans les années 2030 pour les grandes économies et dans les années 2040 pour les nations plus pauvres « ou dès que possible par la suite » et à mettre fin aux investissements dans les nouvelles centrales électriques au charbon. Ce texte a été signé par 40 pays, mais pas par les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et l’Australie. Plus d’une centaine de pays se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de 30% d’ici à 2030. Dans le cadre d’un accord inédit, l’Afrique du Sud recevra 8,5 milliards de dollars américains pour cesser d’utiliser du charbon, un prix élevé, mais qui pourrait servir de modèle pour de futurs accords. Ces actions devraient à leur tour stimuler les investissements dans les énergies renouvelables.

    Mais ils sont loin d’être des engagements juridiquement contraignants, et de grands pollueurs étaient absents. Les combustibles fossiles restent ancrés dans les économies du monde entier. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que près de 6 millions de personnes sont directement employées par l’industrie pétrolière et que celle-ci crée dix fois plus d’emplois indirects. L’abandon récent du charbon par la Chine a exacerbé la crise mondiale des prix de l’énergie et stimulé la demande de gaz naturel. Le président Biden a parlé de « montrer l’exemple » en matière de climat alors même qu’il demandait aux principaux pays producteurs de pétrole d’augmenter leur production, soulignant ainsi la tension existant entre les ambitions à long terme et les besoins énergétiques à court terme. Quelques jours seulement après la COP26, une conférence sur le pétrole à Abou Dhabi a promis 600 milliards de dollars américains d’investissements annuels jusqu’en 2030, juste pour répondre à la demande de consommation. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas se battent pour conserver la cotation de Shell.

    Le président Biden a parlé de « montrer l’exemple » en matière de climat alors même qu’il demandait aux principaux pays producteurs de pétrole d’augmenter leur production, soulignant ainsi la tension existant entre les ambitions à long terme et les besoins énergétiques à court terme

    Les coûts pourraient constituer une incitation parallèle – et potentiellement plus importante. En Chine, les énergies renouvelables devraient devenir compétitives par rapport aux centrales au charbon d’ici le milieu de la décennie. Dans de nombreux pays, le solaire est déjà moins cher que le charbon. L’innovation des entreprises sera un moteur essentiel. Le coût des batteries diminue rapidement ; les économies d’échelle augmentent. Les engagements du secteur public peuvent stimuler les avancées du secteur privé dans un cercle vertueux. L’un des succès de la COP26 a été l’augmentation des investissements de 40 pays dans les technologies propres, des véhicules électriques à l’acier propre, en passant par l’hydrogène vert abordable et l’agriculture durable. Une autre « coalition de volontaires » s’efforcera de vendre des véhicules à émissions zéro d’ici 2040. Les marchés financiers réalignent peu à peu les évaluations sur le principe du « net zéro », en sanctionnant les « bûches brûlantes » (entreprises qui émettent beaucoup de carbone et n’ont pas l’intention de se décarboner) et en récompensant les fournisseurs de solutions vertes. Si Saudi Aramco reste l’une des cinq entreprises les plus fortement valorisées au monde, Tesla n’est pas loin derrière.


    3. Meilleure tarification du carbone

    Nouvelles règles plus efficaces

    Autre mesure timidement encourageante, le Pacte de Glasgow a fixé de nouvelles règles pour l’échange de crédits carbone. Celles-ci permettent aux gouvernements d’atteindre leurs objectifs en matière d’émissions en finançant des réductions dans d’autres pays.  Un nouvel ensemble complet de règles comptables élaborées à partir de celles de l’Accord de Paris : les pays qui vendent des réductions ajustent leur niveau d’émission à la hausse, les acheteurs ajustent le leur à la baisse, ce qui permet d’éviter le double comptage. Cinq pour cent des crédits seront transférés à un fonds d’adaptation, pour aider à améliorer la résilience. L’accord pourrait favoriser la croissance des marchés volontaires du carbone, où les entreprises achètent des crédits carbone. Ceux-ci seraient régis par les systèmes nationaux d’échange de droits d’émission des pays. Les marchés du carbone ont réagi positivement : Le prix du carbone dans l’UE a atteint un niveau record de 66 euros la tonne après la conférence.

    Les marchés du carbone ont réagi positivement : Le prix du carbone dans l’UE a atteint un niveau record de 66 euros la tonne après la conférence

    L’espoir est que les nouvelles règles puissent accélérer la création d’un marché mondial du carbone. Mais les entreprises – par l’intermédiaire de la Chambre de commerce internationale – leur ont reproché de manquer de mordant. Car aucune annonce n’a été faite concernant un prix mondial du carbone, et encore moins un prix suffisamment élevé pour susciter des changements significatifs. Ce thème a été l’un des plus litigieux lors des négociations. Reste que des marchés du carbone nationaux et régionaux fragmentés se développent progressivement. Le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » de l’Union européenne, qui vise à fixer le prix du contenu en carbone des produits importés au même niveau que celui des produits fabriqués dans l’Union, fournira bientôt un prix effectif du carbone à tous ses partenaires commerciaux.


    4. Cadres communs d’investissement

    Progrès accomplis

    La COP26 a été présentée comme la « COP de la finance ». L’envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique, Mark Carney, a été fortement sollicité. Dans le cadre de la nouvelle alliance financière de Glasgow pour des émissions nettes zéro (Glasgow Financial Alliance for Net Zero [GFANZ]), 450 institutions financières, représentant 130 000 milliards de dollars américains d’actifs, se sont engagées à passer à un niveau net zéro : non pas par un nouveau flux de capitaux vers des solutions vertes, mais par un engagement à décarboner les actifs existants. Le défi est considérable. Premièrement, les engagements des entreprises ne sont pas tous égaux. Une nouvelle « norme net zéro » des Nations Unies sera utile à cet égard, par la mesure et l’analyse des engagements du secteur privé en la matière. Les normes de divulgation en matière de durabilité établies par le Conseil international des normes de durabilité (ISSB), récemment créé, devraient aider les investisseurs à prendre des décisions plus éclairées sur les performances climatiques des entreprises.  Le deuxième défi est encore plus considérable : Lombard Odier estime qu’aujourd’hui seul un quart des entreprises de grande capitalisation sont alignées sur l’objectif de 2 °C, et 6% seulement sur celui de 1,5 °C. Cela rend difficile l’allocation de capital à grande échelle dans un état d’esprit net zéro.

    Lombard Odier estime qu’aujourd’hui seul un quart des entreprises de grande capitalisation sont alignées sur l’objectif de 2 °C, et 6% seulement sur celui de 1,5 °C

    Mais comme nous le disons depuis longtemps, il faut prendre le taureau (Highlands) par les cornes. La finance se trouve finalement au centre des discussions, en tant que moteur pour éviter le changement climatique. Investir uniquement dans des entreprises à faibles émissions de carbone ne permettra pas de réduire les émissions dans l’économie réelle. Le plus grand défi – et le mieux à même de refroidir le climat – est de changer les pratiques des entreprises dont les émissions sont élevées aujourd’hui. Alors que les membres de la GFANZ cherchent à décarboner leurs portefeuilles, l’intérêt pour les évaluations prospectives des entreprises, telles que la hausse implicite de la température, augmentera, aidant à identifier les leaders de la lutte contre le changement climatique. D’ores et déjà, neuf juridictions ont soit déjà inclus dans leur cadre des réglementations en matière de reporting allant dans ce sens, soit proposent de le faire. Cela devrait susciter l’intérêt pour les entreprises « glaçons », c’est-à-dire celles qui sont actives dans des secteurs liés au climat et qui ont des plans de décarbonation crédibles. C’est là que se trouvent, selon nous, certaines des meilleures opportunités d’investissement.


    5. Le rôle de la nature

    Une prise de conscience accrue

    L’un des résultats les plus marquants de la COP26 a été la meilleure reconnaissance du rôle que doit jouer la nature pour enrayer le changement climatique. Les océans et les forêts constituent d’importants puits de carbone. Le Pacte de Glasgow reconnaît explicitement la nécessité de protéger, de conserver et de restaurer la nature, « notamment grâce aux forêts et autres écosystèmes terrestres et marins ». Le changement climatique n’est que l’une des neuf « limites planétaires », dont l’acidification des océans et la pollution atmosphérique, qui définissent les limites de fonctionnement sûr pour l’humanité. Or, beaucoup sont en danger. L’engagement à mettre fin à la déforestation, signé par des pays qui abritent plus de 85% des forêts de la planète, vise à stopper et à inverser la perte de forêts et la dégradation des terres d’ici 2030. Si l’on peut douter de l’engagement des pays signataires et de la possibilité de le faire respecter, cet engagement pourrait néanmoins contribuer à renforcer le marché de la compensation volontaire du carbone, en utilisant des arbres pour piéger le carbone. C’est l’un des moyens les moins coûteux d’accélérer la transition vers une économie net zéro et plus respectueuse de la nature. Un engagement séparé a été pris par 30 institutions financières, dont Lombard Odier, pour éliminer les risques de déforestation de leurs portefeuilles d’ici 2025 au plus tard. Parallèlement, quarante-cinq gouvernements se sont engagés à adopter des méthodes d’agriculture plus durables. Le Belize a déclaré avoir clôturé une « obligation bleue » de 364 millions de dollars américains, dont le produit sera utilisé pour protéger ses océans ; les Fidji prévoient d’émettre une obligation bleue souveraine en 2022.

    Le Belize a déclaré avoir clôturé une « obligation bleue » de 364 millions de dollars américains, dont le produit sera utilisé pour protéger ses océans ; les Fidji prévoient d’émettre une obligation bleue souveraine en 2022

    Conclusion

    Les progrès réalisés lors de la COP26 ont été à la fois encourageants et décevants dans une même mesure, ce qui peut se comprendre. Car une conférence ne peut résoudre à elle seule le problème le plus complexe du monde.

    Si de nouveaux engagements ont été pris, de nouveaux accords signés et de nouvelles normes fixées, le plus dur consistera à les mettre en œuvre. L’un des plus grands changements nécessaires est un changement d’état d’esprit. Trop souvent, les mesures requises pour atteindre le net zéro ont été catégorisées comme un coût. Pourtant, nous pensons que les investissements dans la décarbonation doivent être considérés comme un gain net, offrant un retour positif, en particulier lorsque l’on prend en compte les coûts de l’inaction.

    Enrayer le changement climatique est un impératif à la fois environnemental et économique. De telles transitions s’opèrent rarement de manière linéaire. L’idée de se réunir à nouveau lors de la COP27 en Égypte en 2022 avec de nouveaux engagements climatiques devrait faire monter la pression. Comme le monde voit de plus en plus l’impact du changement climatique, et que le coût du capital reflète de plus en plus cette réalité, la transition devrait s’accélérer.

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