perspectives d’investissement

    Une COP équitable – Plongée dans cinq axes de progrès au service du climat

    Une COP équitable – Plongée dans cinq axes de progrès au service du climat
    Stéphane Monier - Chief Investment Officer<br/> Lombard Odier Private Bank

    Stéphane Monier

    Chief Investment Officer
    Lombard Odier Private Bank

    Points clés

    • Traduire les objectifs de neutralité carbone en actions concrètes est un exercice complexe. L'industrie du transport aérien illustre bien
      les défis à relever. La Suède a bien progressé en matière de réduction des émissions, et l'Islande en matière de capture de CO2
    • La crise énergétique actuelle montre à quel point la transition vers l’abandon des combustibles fossiles peut s’avérer déstabilisante
      et souligne la nécessité d'une gestion prudente
    • La COP26 offre l’occasion unique de faire progresser un prix
      du carbone équitable et mondial
    • Nous accueillerions avec satisfaction l'adoption des recommandations de la TCFD au niveau mondial. La déclaration obligatoire des risques liés au climat – à l’instar des grands fonds de pension britanniques – et les mesures prises par les banques centrales pour inclure les risques climatiques dans leur cadre de politique monétaire, devraient être étendues
    • L'établissement d'un prix équitable pour l’exploitation des ressources naturelles et le développement du rôle de la nature dans la capture des émissions de carbone sont des domaines sous-explorés dans la transition vers une économie à zéro émission nette.

    Durant les derniers jours précédant la COP26, nous explorons cinq domaines où des progrès peuvent être réalisés lors des négociations sur le climat : passer de la promesse « zéro émission nette » à la mise en œuvre effective, se détourner de l’utilisation du pétrole et du gaz, fixer un prix équitable pour le carbone, convenir de cadres d'investissement communs et utiliser la nature en tant qu’alliée vers la neutralité carbone.


    1. Passer des objectifs zéro émission nette aux actions concrètes

    Ce mois, les compagnies aériennes mondiales se sont engagées à atteindre la neutralité carbone d'ici 20501, une étape importante pour l'un des secteurs les plus difficiles à décarboniser au monde. Pourtant, le passage de l’intention à un plan d'action concret reste vague. La feuille de route de l’Association du transport aérien international (IATA) repose sur l'utilisation de technologies naissantes, comme les avions électriques ou à hydrogène, avec 65% des réductions d'émissions provenant de l'utilisation de carburants durables (où la demande annuelle dépasserait l'offre selon un facteur de 4'500 environ), le reste étant issu de systèmes de compensation carbone. Pourtant, loin d'être un cas unique, les compagnies aériennes sont confrontées au même défi que nombre d'autres secteurs dans le monde : la difficulté de traduire leurs engagements en mesures crédibles en faveur de l’objectif « zéro émission nette ». Pour les investisseurs, des avancées réelles dans ce domaine sont essentielles.

    …quelque 80 % de l'économie mondiale est désormais couverte par des objectifs de neutralité carbone

    Selon nos estimations, quelque 80 % de l'économie mondiale est désormais couverte par des objectifs de neutralité carbone, ce qui suggère un certain optimisme quant à la réalisation des objectifs de l'Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique futur à 1,5°C. Pourtant, la stratégie et les plans d'action pour y parvenir, y compris les directives politiques et les stratégies détaillées des entreprises, manquent de clarté. Dans son dernier rapport2, publié en août 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que nous pourrions déjà atteindre ce 1,5°C en 2030. Selon nos calculs, l'augmentation implicite de température due à l’activité des entreprises composant l'indice MSCI World est de 2,9°C. Il est donc difficile pour les investisseurs de déployer des capitaux à grande échelle dans une optique de « zéro émission nette ».

    La COP26 se concentrera sur les plans d'action des pays. Dans ce domaine, les progrès sont inégaux et dépendent entre autres du niveau de développement, de la dépendance aux combustibles fossiles et de l'exposition aux risques physiques du changement climatique. Les pays en développement font valoir qu'ils ne devraient pas être soumis aux mêmes pressions et délais que les pays développés. Nous pensons que les priorités de la COP26 seront de fixer des cibles intermédiaires crédibles en matière de réduction des émissions, d’élaborer des plans de relance verte et des projets d'infrastructures (comprenant des partenariats public-privé), de fournir des lignes directrices plus claires sur la politique choisie pour atteindre les objectifs « zéro émission nette » et de mettre à disposition le soutien réglementaire nécessaire pour renforcer ces ambitions.

    La trajectoire vers la neutralité carbone implique1 de combiner deux éléments : la réduction des émissions et la création de systèmes de compensation carbone de qualité. Nous pensons que l'accent doit être mis sur le premier, le second visant l'élimination du carbone à long terme. Les progrès de la Suède sur le premier point sont impressionnants, le pays s'étant engagé par la loi à atteindre l’objectif « zéro émission nette » d'ici 2045, après avoir dépassé avec huit ans d'avance ses objectifs d'énergie renouvelable pour 2020. De son côté, l'Islande a progressé sur le second objectif, notamment grâce à la plus grande installation au monde capable de retirer le CO2 de l’atmosphère pour le transformer en roche3.

    Nous pensons qu’une adaptation planifiée et une réévaluation des actifs dans le cadre d’une collaboration entre les secteurs public et privé, sont essentielles pour éviter des chocs soudains qui menaceraient les industries, les gouvernements et les investisseurs. En gardant à l'esprit les vastes opportunités commerciales, et les risques, de la transition climatique, de nombreuses entreprises se sont engagées à atteindre la neutralité carbone (voir graphique 1). En prenant la COP26 comme catalyseur, nous l’exhortons à fixer des objectifs scientifiquement fondés, afin d'aider les investisseurs à prendre des décisions éclairées sur les trajectoires des entreprises. L'action politique peut contribuer à augmenter la pression et à créer un cercle vertueux, comme ce fut le cas pour les véhicules électriques. Les forces du marché jouent un rôle prépondérant dans leur adoption : selon une étude de Bloomberg, grâce à la chute du prix des batteries, les coûts pourraient atteindre la parité avec les véhicules à essence ou diesel d’ici cinq ans. Mais les futures interdictions de vente de véhicules à essence, le financement public de la recherche et du développement et les subventions aux véhicules électriques représentent un vecteur important. Dans le secteur du charbon également, les forces du marché induisent des changements, avec l'énergie solaire désormais moins chère que le charbon. Une tendance accélérée par les restrictions imposées par les gouvernements aux émissions, à la vente de charbon et à la construction de centrales à charbon.


    2. Se détourner du pétrole et du gaz

    L'évolution des prix du gaz et du pétrole a ébranlé les marchés, mettant en lumière les défis qui attendent l'économie mondiale pour mettre fin à sa dépendance à l'égard des combustibles fossiles, ainsi que le caractère potentiellement déstabilisant de cette transition. La résolution de ce problème est une priorité absolue pour la COP26.

    La récente flambée des prix de l'énergie a été provoquée par des difficultés d’approvisionnement et une forte reprise de la demande après la pandémie. Mais une évolution structurelle est également à l'œuvre, à mesure que les pays délaissent le charbon et le pétrole au profit du gaz naturel, qui constitue une solution « de transition » plus propre vers les énergies renouvelables. Cependant, un renforcement de la dépendance au gaz dans la combinaison des sources énergétiques signifie probablement une plus grande volatilité des prix à l’avenir. Contrairement au pétrole, le marché du gaz n’est pas régi par un cartel mondial contrôlant l'offre et lissant les prix, et la mise à disposition de nouvelles réserves de gaz peut prendre des années. Ce casse-tête n'est qu'un exemple de l’ampleur du défi consistant à gérer l'évolution tectonique de la dépendance aux combustibles fossiles sans déstabiliser l'économie mondiale.

    …les énergies renouvelables devraient couvrir 90% de nos besoins énergétiques

    D'ici à 2050, les énergies renouvelables devraient couvrir 90% de nos besoins énergétiques, estime l'Agence internationale de l'énergie4 (voir graphique 2). Aujourd'hui, ce sont les combustibles fossiles qui atteignent cette proportion. La suppression des subventions en faveur des combustibles fossiles est une priorité urgente pour les responsables politiques du monde entier. Selon le FMI, aucun pays ne fixe des prix de combustibles reflétant l'intégralité des coûts d'approvisionnement et environnementaux5. Dans de nombreux pays, la suppression des subventions peut signifier une réorganisation de leur filet de sécurité sociale, en taxant les combustibles fossiles et en redistribuant les bénéfices aux plus vulnérables, par exemple. En Europe, les propositions visant à étendre les taxes sur le carbone se sont heurtées à l'opposition des partis préoccupés par l'aggravation de la précarité énergétique6. Il est vital que la COP26 soit honnête quant à l'ampleur des changements nécessaires. Nous risquons une vive réaction environnementale si les consommateurs ont l'impression qu'on leur fait payer la transition par des moyens dérobés.

     

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    Offrir des incitations tarifaires pour les nouvelles technologies constitue une autre priorité. Elle permettrait ainsi d’inciter le secteur privé à élaborer des solutions inédites. La COP26 offre l’opportunité de partager les meilleures pratiques et de conclure de nouveaux accords sur les partenariats public-privé (PPP) afin de réduire les risques pour les investisseurs et de financer la transition. Les PPP sont à même de mobiliser d’importants investissements dans les infrastructures, notamment l'hydrogène propre et le stockage de l'énergie. Les PPP sont déjà utilisés avec une certaine efficacité. En Europe du Sud-Est, le fonds « Green for Growth »7 accorde des prêts et des refinancements pour l'amélioration de l'efficacité énergétique des entreprises et des immeubles d’habitation.  

    La répartition des risques entre les banques, les donateurs internationaux et les investisseurs privés permet à ces derniers d’offrir un financement relativement peu risqué qui a permis une réduction des émissions de CO2 d’un million de tonnes à ce jour. En intégrant des critères écologiques dans les marchés publics, les gouvernements peuvent également faire office de « premiers clients » afin de soutenir l'innovation, notamment auprès des petites entreprises commercialisant des solutions d'énergie verte. La politique du Canada en matière d'approvisionnement écologique8 couvre désormais des dépenses équivalant à quelque 13% du PIB du pays9.

    Il est crucial qu’en plus des fournisseurs de solutions vertes, les investisseurs financent également les entreprises énergétiques en transition – un autre message clé que nous accueillerions favorablement de la part de la COP26. Chez Lombard Odier, nous répartissons l'univers d'investissement en quatre catégories : les fournisseurs de solutions « vertes », les entreprises relativement à l'abri de la transition vers la neutralité carbone, les « bûches en feu » qui ne disposent pas de stratégies pour s'attaquer à leurs émissions élevées, et enfin les « glaçons », c'est-à-dire les gros émetteurs avec un plan de décarbonisation crédible. Nous pensons qu'il faut investir dans les fournisseurs de solutions vertes. De plus, les « glaçons » joueront un rôle important dans la réalisation des objectifs de l'accord de Paris et pour refroidir les portefeuilles de nos clients. Ces entreprises seront la clé pour transformer le secteur énergétique mondial et générer de futures performances pour les investisseurs.


    3. Les marchés du carbone

    L'envolée des prix du carbone10 commence enfin à refléter les dommages dus aux émissions mondiales. Pourtant, alors même que les prix se rapprochent lentement des niveaux nécessaires pour stimuler la transition énergétique, la pression augmente pour les abaisser. La COP26 représente une opportunité unique pour promouvoir un prix du carbone équitable et mondial, dans le cadre d'une solution à un problème complexe et qui soit favorable au marché. Les responsables politiques doivent la saisir.

    En 2021, la tarification du carbone s'est étendue et son prix a augmenté. En septembre, sous l'effet de la flambée des prix du gaz, le coût d’émission d’une tonne de CO2 en Europe a atteint un niveau record de 64 euros, soit le double du niveau de janvier. Principal émetteur souverain au monde, la Chine a commencé à échanger des droits d'émission de CO2 cet été11, lorsque les nations du G20 ont, pour la première fois, entériné timidement le recours à des mécanismes de tarification du carbone12. La Banque centrale européenne commence à inclure dans ses prévisions macroéconomiques des hypothèses concernant les cours du carbone. Le directeur d'Enel, la plus grande entreprise européenne de services publics, a demandé que davantage de pays fixent un prix pour leurs émissions13 : ils sont désormais 46 à le faire dans le monde.

    …le coût d’émission d’une tonne de CO2 en Europe a atteint un niveau record de 64 euros

    Mais ceci n'est que la partie émergée de l'iceberg. Car 80% des émissions mondiales ne sont toujours pas tarifées. Selon le FMI14, le prix moyen des émissions mondiales n'est que de
    3 USD par tonne, alors que la Banque mondiale15 estime que ce prix devrait avoisiner les 100 euros pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris. Même dans les pays qui fixent un prix pour les émissions de CO2, de nombreux secteurs bénéficient d'exemptions généreuses, comme l'aviation en Europe ou l'agriculture en Nouvelle-Zélande. Les gouvernements peuvent intervenir sur les marchés du carbone pour faire baisser les prix s'ils sont jugés trop élevés : le Royaume-Uni s’apprête à le faire en décembre16. L'obstacle le plus difficile à surmonter est l'opposition du lobby des combustibles fossiles et des consommateurs préoccupés par la hausse de leurs factures. En 2014, suite à des protestations, l'Australie a abrogé une taxe sur le carbone et le mouvement des gilets jaunes en France a illustré à quel point les taxes sur les carburants divisent.

    Imposer des prix suffisamment élevés pour stimuler la transition vers une économie à zéro émission nette, sans pousser les principaux émetteurs vers des pays moins réglementés (un phénomène baptisé « fuites de carbone »), ni aggraver les inégalités sociales, constitue un sérieux défi. Les responsables politiques présents à la COP26 subissent des pressions pour réaliser des progrès. Cela signifie recourir à la fois à la tarification du carbone et à des investissements dans des solutions de remplacement à faible intensité de carbone (de l'énergie aux véhicules électriques), ce qui contribuerait à faire de l'option « verte » l'option par défaut, bon marché. Là où c’est impossible, cela signifie redistribuer les profits issus des taxes sur le carbone afin de protéger les plus vulnérables.

    À cet égard, l'approche de l'Union européenne est encourageante. En effet, elle prévoit d'étendre le Système d'échange européen17 à des secteurs tels que le transport maritime et la construction, et d'utiliser l'argent issu de la mise aux enchères des quotas d'émission pour financer des technologies à faible intensité de carbone et des bâtiments à haut rendement énergétique, ainsi que pour soulager les ménages à faibles revenus. L'UE propose également un « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières » ou une taxe effective sur les importations en provenance de pays qui ne fixent pas de prix pour le carbone : cette mesure, critiquée par les États-Unis, est logique dans un monde en voie de décarbonisation. Si un prix du carbone équitable et mondial est l'objectif ultime, ce type de mécanisme peut s'avérer nécessaire pendant la phase de transition.

    C’est pourquoi la récente proposition du FMI en faveur d'un prix minimum mondial du carbone mérite plus ample réflexion. Il s'agirait de fixer un prix plancher pour un certain nombre de grands émetteurs, avec des taux variables pour les pays « avancés », « à revenu élevé » et « à faible revenu » – l’intégralité de la proposition peut être consultée ici. Cette année, des pays du monde entier ont réalisé des avancées considérables vers la fixation d'un taux minimum d'imposition des sociétés. Nous espérons que lors de la COP26, ce succès suscitera une ambition similaire pour la tarification du carbone.


    4. Mesurer la soutenabilité, combattre le greenwashing

    Ce qui peut être mesuré peut être géré : en matière d'investissement soutenable, cet adage a une résonance particulière. Plus de 3 500 institutions financières du monde entier, représentant 120 000 milliards USD de capitaux, ont signé les Principes des Nations unies pour l'investissement responsable (PRI)18. Pourtant, il n'existe pas de définition unique et globalement acceptée des investissements ou produits durables. La COP26 pourrait faire de grands progrès dans ce domaine.

    Les approches traditionnelles, comme celles englobant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), tendent à s’appuyer sur des données historiques. Par ailleurs, elles se concentrent sur les pratiques commerciales des entreprises, plutôt que sur leurs modèles d’affaires. Chez Lombard Odier, nous voulons aller plus loin : évaluer l’alignement futur des modèles d’affaires des entreprises sur la transition vers une économie à zéro émission nette, ainsi que l'exposition des portefeuilles de nos clients aux risques climatiques. Cela inclut les risques physiques auxquels leurs investissements peuvent être confrontés en raison de la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, les risques de responsabilité en raison des litiges liés aux combustibles fossiles et les risques de transition, les consommateurs portant leur attention vers des produits plus durables. Pour ce faire, nous utilisons des mesures telles que la hausse implicite future de la température des investissements, évaluée selon les normes de l’industrie et les objectifs mondiaux comme ceux de l'Accord de Paris. Nos clients peuvent s'en servir pour estimer les risques climatiques de leurs portefeuilles et réduire leur exposition.

    Notre approche s'appuie sur les recommandations du Groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD Portfolio Alignment Team)19. Ces recommandations mettent en avant les mesures telles que les hausses de température implicites. Les grands fonds de pension basés au Royaume-Uni ont déjà l’obligation de rendre compte de ces mesures. Des progrès dans leur adoption au niveau mondial seraient un résultat important de la COP26. Plus de 50% des entreprises, encouragées par les recommandations de la TCFD20, divulguent désormais les opportunités et risques relatifs au climat avec une nette augmentation de l’adhésion cette année21. Cette évolution a été accélérée par l'annonce de normes nationales d’information financière et par les initiatives des banques centrales. La Banque centrale européenne a ainsi discuté des possibilités de révision de son cadre de garanties et de ses opérations de politique monétaire pour s’aligner sur les objectifs climatiques. La Banque de France a effectué des tests de résistance climatique sur les banques et les assureurs début 2021, et a renforcé sa charte d'investissement responsable, notamment par des mesures d'exclusion des combustibles fossiles.

    Plus de 50% des entreprises…divulguent désormais les opportunités et risques relatifs au climat avec une nette augmentation de l’adhésion cette année

    Une fois que les entreprises auront divulgué des informations claires et cohérentes sur leurs risques climatiques, les investisseurs pourront prendre des décisions en connaissance de cause. De manière contre-intuitive, nous pourrions voir des opportunités plus attrayantes dans les secteurs actuellement fortement dépendants du carbone, tels que l'acier, le ciment et l'agriculture, où le besoin de transition est primordial, mais où les solutions sont plus difficiles à trouver. En août, l'entreprise suédoise SSAB a produit le premier acier sans combustible fossile au monde22 en utilisant une technologie basée sur l'hydrogène, bien avant que cela soit considéré comme possible.

    L'adoption de mesures standardisées permettrait également de répondre aux accusations de « green washing » adressées aux sociétés d'investissement. Une entreprise peut avoir d'excellentes pratiques commerciales tout en restant sur la voie d'un réchauffement climatique de 3°C – un point que nombre de mesures ESG négligent. Les critères ESG obligent certains gestionnaires de fonds à catégoriser, voire à exclure des investissements sans proposer de solutions. Alors que durant le premier semestre 2021, 50% de l'ensemble des flux vers les fonds européens négociés en bourse (ETF) ont été investis dans des produits ESG23, le manque de transparence et l’absence de normes communes laissent la porte grande ouverte aux critiques. La COP26 est l’occasion pour l’industrie de l’investissement d’avoir un réel impact dans ce domaine.


    5. S’appuyer sur la nature – notre meilleure alliée vers la neutralité carbone

    Les abeilles ne facturent pas leurs prestations. Peut-être le devraient-elles. La nature est la branche d’activité la plus précieuse au monde. En effet, selon le Forum économique mondial24, les processus naturels sous-tendent plus de 50% du PIB mondial, de l'agriculture à l'industrie lourde en passant par la santé et le tourisme. Pourtant, l'exploitation des ressources naturelles est actuellement gratuite, et la capacité de la nature à capturer les émissions de carbone est nettement moins développée que les mesures pour les réduire. La COP26 pourrait faire des progrès importants sur ces deux fronts.

     

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    Le changement climatique ne constitue que l'une des neuf « limites planétaires »25, que les scientifiques utilisent pour définir « un environnement opérationnel sûr » pour l'humanité, c’est-à-dire les seuils que notre espèce peut tolérer (voir graphique 5). Le climat est le domaine dans lequel nous disposons des données les plus complètes à analyser. Les autres domaines – notamment la dégradation des forêts, la surexploitation de l'eau douce et l'acidification des océans – sont tout aussi importants, mais nous ne disposons pas d’objectifs comparables à ceux de l’Accord de Paris pour y remédier. La déforestation est à elle seule responsable de 11% des émissions mondiales, soit une proportion équivalant à celle générée par l'ensemble des véhicules de tourisme de la planète26. La COP26 est une occasion unique de définir des feuilles de route et des stratégies d'investissement plus claires pour s'attaquer aux huit autres, et de progresser vers l'établissement d'un prix équitable pour l'exploitation des ressources naturelles. Les avantages d'une telle démarche dépassent de loin les coûts qu’elle génère. Selon le WWF, la protection des forêts de mangroves pourrait, à elle seule, apporter à l'échelle mondiale des bénéfices nets estimés à 1 000 milliards USD27 - protection contre les inondations, séquestration du carbone et habitat pour les poissons - soit dix fois plus que son coût. La réalisation d'un objectif visant à protéger 30% de ces forêts d'ici à 2030 serait un début. Les discussions de la COP26 devraient également s'appuyer sur les progrès accomplis lors de la réunion de la COP1528 consacrée à la biodiversité, qui s’est tenue du 11 au 24 octobre.

    À mesure que le soutien aux politiques soucieuses de l'environnement se renforce et que le coût des technologies diminue, les opportunités d'investissement augmentent. Les investisseurs devraient se concentrer sur les entreprises qui s’appuient sur le pouvoir de la nature, par exemple en recourant à des matériaux biologiques et naturels ou en pratiquant une agriculture et une sylviculture régénératrices, ainsi que les entreprises qui contribuent à la préserver grâce à une économie circulaire et moins axée sur le gaspillage. Le « Deal Vert » de l'UE adopte des mesures importantes pour lutter contre la dégradation de l'environnement et le changement climatique. La COP26 est le forum idéal pour permettre aux investisseurs et aux climatologues d’apprendre les uns des autres, et aux entreprises de mettre en lumière leurs avancées récentes à l’occasion de manifestations parallèles.

    …la gestion durable des ressources naturelles pourrait contribuer pour plus de 30% à l'effort mondial de lutte contre le réchauffement climatique

    La COP26 pourrait également prendre des mesures pour accroître le rôle de la nature dans la transition vers une économie à zéro émission nette. Les solutions basées sur la nature constituent le moyen le plus efficace de séquestrer le CO2 : un élément vital de la transition, du fait que même les modèles climatiques les plus optimistes ne prévoient pas de réduction des émissions à zéro d'ici 2050. Les solutions naturelles pour le climat (Natural Climate Solutions) consistent à investir et à monétiser les outils dont dispose la nature pour absorber le CO2. Elles sont indispensables pour atteindre les objectifs ambitieux de décarbonisation formulés par l'accord de Paris. Aujourd'hui, des solutions de grande ampleur sont en cours d'élaboration. Pour y parvenir, la COP26 réunit des acteurs incontournables comme les gouvernements, les organisations de protection de la nature et le secteur financier. Des projets prometteurs à plus petite échelle concernent la reconstitution des récifs coralliens, la préservation des forêts et des tourbières, la culture du varech et la séquestration du carbone dans le sol en plantant, après la récolte principale, des cultures vivaces ou protectrices comme le trèfle, les haricots et les pois. Outre l'élimination du carbone à grande échelle, les solutions climatiques naturelles permettent également d'empêcher les émissions liées à l’utilisation des terres et de préserver la biodiversité.

    Les entreprises paient de plus en plus cher pour compenser leurs émissions sur les marchés volontaires du carbone et ces derniers peuvent déployer des capitaux pour des solutions climatiques naturelles. À mesure que celles-ci se développent et se consolident, une surveillance sera nécessaire pour garantir qu'elles se fondent sur des données scientifiques et qu’elles sont soumises à des normes et à des réglementations crédibles et transparentes. La COP26 pourrait créer une dynamique dans ce domaine, notamment par l'intermédiaire d'organisations telles que le groupe de travail Taskforce on Scaling Voluntary Carbon Markets29. Selon le Centre pour la recherche forestière internationale30, la gestion durable des ressources naturelles pourrait contribuer pour plus de 30% à l'effort mondial de lutte contre le réchauffement climatique. La nature est notre actif le plus efficace ; dans un monde à bilan carbone neutre, elle restera notre meilleure alliée.

    1 https://www.aef.org.uk/2021/10/13/iata-announces-net-zero-emissions-by-2050-target-for-global-air-transport-industry/
    2 https://www.ipcc.ch/assessment-report/ar6
    3 https://www.carbfix.com/the-worlds-largest-direct-air-capture-and-co2-storage-plant-is-on
    4 Net Zero by 2050, IEA report May 2021
    5 Still Not Getting Energy Prices Right: A Global Country Update of Fossil Fuel Subsidies, IMF, September 2021
    6 https://www.ft.com/content/76451443-d196-4b60-ae1f-95385a915e71
    7 https://www.ggf.lu/
    8 https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-eng.aspx?id=32573
    9 The Power of Procurement, Cutting the federal government’s carbon emissions, Clean Energy Canada, 2018
    10 https://www.ft.com/content/c1595f64-5a31-4e7b-bf98-9f5fcbb4e970
    11 https://www.china-briefing.com/news/china-launches-carbon-trading-market-as-urgency-to-cut-emissions-grows/
    12 G20 Third Finance Ministers and Central Bank Governors Meeting, 9-10 July 2021
    13 https://www.reuters.com/business/energy/reuters-impact-please-put-price-carbon-says-europes-biggest-utility-2021-10-05/
    14 Launch of IMF Staff Climate Note: A Proposal for an International Carbon Price Floor Among Large Emitters
    15 Carbon Pricing Dashboard, World Bank
    16 https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-10-11/u-k-set-to-intervene-in-carbon-market-if-prices-stay-elevated#:~:text=The%20U.K.%20government%20said%20it%27s,that%20would%20trigger%20government%20action.
    17 https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/revision-eu-ets_with-annex_en_0.pdf
    18 https://www.unpri.org/
    19 https://www.tcfdhub.org/wp-content/uploads/2021/10/20211005-PAT-Summary-of-Responses.pdf
    20 TCFD: Measuring Portfolio Alignment: Assessing the position of companies and portfolios on the path to Net Zero
    21 Financial Stability Board, 2021 Status Report, TCFD
    22 https://www.ssab.co.uk/news/2021/08/the-worlds-first-fossilfree-steel-ready-for-delivery
    23 https://www.investmentweek.co.uk/news/4035832/european-etfs-turn-green-esg-captures-flows-date
    24 Nature Risk Rising: Why the Crisis Engulfing Nature Matters for Business and the Economy, WEF, January 2020
    25 https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries/the-nine-planetary-boundaries.html
    26 Source: Conservation.org
    27 https://www.worldwildlife.org/stories/in-climate-crisis-mangroves-bring-massive-benefits
    28 https://www.unep.org/events/conference/un-biodiversity-conference-cop-15
    29 https://iif.com/tsvcm
    30 The Circular Bioeconomy, Knowledge Guide, Center for International Forestry Research, 2020

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