perspectives d’investissement
Monnaies refuges et COVID-19 : à la recherche des couvertures les plus efficaces
Points clés
- Sur la base des récentes données empiriques, nous identifions les devises capables de prémunir les portefeuilles contre un épisode de forte aversion pour le risque si la menace du virus se transformait en une pandémie mondiale, perturbant sérieusement l’activité économique, le commerce et les chaînes de valeur pendant plus longtemps que prévu.
- Nos estimations suggèrent qu’au sein du complexe monnaies et or, le métal jaune constitue la couverture la plus efficace contre une forte augmentation de l’aversion pour le risque. L’or est suivi par le yen, tandis que le franc suisse est à la traîne, bien qu’il offre toujours un certain degré de couverture. Aussi favorisons-nous les positions longues dans l’or et les bons du Trésor américain.
- Le dollar américain peut rester bien soutenu par rapport à un sous-ensemble de monnaies étroitement liées à l’activité économique chinoise et aux matières premières. Toutefois, comme le dollar est déjà fort, nous n’extrapolerions pas une vigueur durable à partir de ce niveau et restons vigilants en raison des valorisations élevées et des autres risques qui pourraient attirer l’attention des marchés.
Dans cette note, nous utilisons les récentes données empiriques pour identifier les monnaies, or compris, qui constituent la couverture la plus efficace contre un épisode de forte aversion pour le risque si la menace du virus se transformait en une pandémie mondiale (ce qui ne représente pas notre scénario central), perturbant sérieusement l’activité économique, le commerce et les chaînes de valeur pendant plus longtemps que prévu. Pour évaluer la propension pour le risque, nous utilisons les variations des rendements des actions et des rendements américains à 10 ans et estimons la relation du yen, du franc suisse et de l’or à ces indicateurs de risque. Sur la base de ces estimations, nous calculons les réactions du yen, du franc suisse et de l’or à une chute hypothétique de 10% des actions et de 50 points de base des rendements américains à 10 ans. Nos estimations reposent sur des données couvrant approximativement les deux dernières années et utilisent les mesures de rendements quotidiens.
Pour estimer le risque lié aux actions, nous utilisons l’indice MSCI World Equity (en monnaie locale) hors Etats-Unis. En raison des mesures de relance budgétaire, les actions américaines ont surperformé leurs homologues mondiales. Par conséquent, leur exclusion nous donnera une mesure plus précise de la propension pour le risque au niveau mondial.
Les résultats sont illustrés dans les graphiques 1 et 2, où nous avons estimé les relations sur trois périodes: depuis le début de l’année 2018, au cours de l’année passée et au cours des six derniers mois. Les estimations sont intuitives – une chute des actions mondiales (ou une chute des rendements américains) est associée à une hausse des prix des valeurs refuges.
Les résultats indiquent qu’il existe une tendance claire qui montre que l’or affiche le plus haut niveau de sensibilité. Pourtant, il constitue la couverture la plus efficace parmi les trois instruments que nous testons. Si l’on se base par exemple sur les six derniers mois, une chute de 10% des actions mondiales (hors Etats-Unis) entraînerait probablement une hausse de 4,6% du prix de l’or. De même, une baisse de 50 points de base des rendements américains à 10 ans (correspondant à une hausse d’environ 4,7% du prix des obligations) entraînerait une hausse de 5,6% du prix de l’or. Le yen s’avère également être une couverture efficace – bien que dans une moindre mesure que l’or – tandis que le franc suisse, qui offre toujours un certain degré de couverture, est clairement à la traîne.
Or : un bouclier solide contre les épisodes d’aversion au risque
Nos résultats empiriques montrent qu’au sein du complexe monnaies + or, l’or présente la plus forte corrélation négative avec les actifs à risque et les rendements américains. Cela explique sa performance de 8% depuis le début de l’année, qui vient s’ajouter à la hausse de 18% enregistrée en 2019. Le facteur qui a fait de l’or un atout si recherché cette fois-ci, c’est le fait que les taux d’intérêt négatifs en Europe et au Japon ont fondamentalement modifié les avantages relatifs des valeurs refuges. En résumé, les rendements négatifs impliquent un coût de détention des obligations souveraines européennes ou japonaises, ce qui a propulsé encore nettement la demande d’or, y compris à des fins de couverture.
Nous reconnaissons que le positionnement long est assez tendu et que le prix de l’or est à son plus haut niveau depuis 2013. Cependant, nous pensons qu’un épisode de pure aversion au risque associé à une pandémie mondiale pourrait voir l’or progresser davantage (le métal jaune se négociait à un prix plus élevé en 2011-2012, entre USD 1’700 et 1’800 l’once pendant la crise de la dette européenne), d’autant plus qu’une telle crise impliquerait une politique monétaire encore plus accommodante, principalement de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed).
Par conséquent, nous croyons toujours aux propriétés de couverture de l’or.
Yen : une couverture toujours efficace
La paire USD/JPY a augmenté de 2% cette année, une performance quelque peu contre-intuitive compte tenu des risques qui pèsent sur les marchés. Toutefois, le yen se tenait beaucoup mieux jusqu’à la semaine dernière, où la paire USD/JPY grimpait de 1,7%, pour atteindre 1,12. Certains commentateurs ont attribué la récente faiblesse du yen aux craintes d’une éventuelle récession japonaise à la suite de la faiblesse des données du PIB pour le quatrième trimestre, ainsi qu’à la propagation des infections virales au Japon. Nous ne souscrivons pas à ces spéculations. Historiquement, il n’existe pas de corrélation entre la croissance négative du PIB japonais et la paire USD/JPY, alors que les catastrophes naturelles ont vu les investisseurs japonais rapatrier de l’argent dans le pays, ce qui a exercé une pression à la hausse sur le yen, le Japon étant un créancier net du reste du monde.
Nous pensons que la récente faiblesse du yen tient principalement à l’augmentation des flux sortants obligataires. Depuis le début de l’année, les investisseurs japonais ont acheté un montant net de JPY 4’700 milliards (USD 42 milliards), contre un achat net moyen de JPY 0,7 mille milliards sur la même période depuis 2015. Certains de ces flux peuvent être liés au fonds de pension du gouvernement japonais GPIF, qui devrait bientôt publier son nouveau modèle d’allocation de portefeuille montrant une augmentation de l’objectif de détention d’obligations étrangères. Les taux à l’étranger demeurant beaucoup plus élevés, en particulier aux Etats-Unis, une grande partie des flux sortants liés à la dette est probablement assortie de ratios de couverture plus faibles, ce qui a un effet modérateur sur le yen.
Si certains de ces flux sortants ne sont pas terminés, il semble que la plus grande partie ait déjà été allouée, ce qui signifie que les achats d’obligations étrangères vont probablement ralentir. En outre, historiquement, les flux d’actions ont été plus importants pour le yen que les flux obligataires. Dans un contexte d’aversion au risque, la liquidation des expositions actuelles aux actions étrangères pourrait se traduire par un raffermissement du yen. Dès lors, nous ne pouvons désormais pas extrapoler une faiblesse continue du yen. Au cours des derniers jours, la paire USD/JPY est d’ailleurs repassée sous la barre des 111.
En rassemblant tous ces éléments, les données empiriques historiques suggèrent que le yen resterait une monnaie de couverture efficace contre une intensification de l’épidémie.
CHF : offre toujours un certain degré de couverture, mais d’une ampleur modeste
Nous avons discuté à de nombreuses reprises du fait que, depuis 2015, le franc suisse offre une couverture nettement moindre contre les chutes des marchés boursiers par rapport aux années et décennies précédentes. Cette situation tient probablement aux taux d’intérêt suisses négatifs qui rendent la détention de francs suisses très coûteuse. Cela dit, la paire EUR/CHF a connu un déclin assez notable depuis octobre de l’année dernière, passant de plus de 1,10 à près de 1,06 actuellement. Si la récente épidémie de virus a certainement joué un rôle dans la force du franc suisse, deux forces supplémentaires sont également à l’œuvre : l’étroite corrélation entre l’EUR/CHF et l’EUR/USD, qui s’est dépréciée de 3% depuis le début de l’année, et l’amélioration de la balance commerciale suisse, qui a coïncidé avec la réticence des investisseurs locaux à recycler une partie de ce surplus à l’étranger au moyen de flux sortants de portefeuille (comme nous l’avons évoqué dans notre récent G10 FX Monthly). Face à ces facteurs favorables au franc suisse, la Banque nationale suisse (BNS) est intervenue sur le marché des changes, en vendant des francs suisses pour tenter d’arrêter ou de freiner l’appréciation de la devise helvétique.
En combinant tous ces éléments, y compris nos conclusions empiriques évoquées dans la section précédente, nous pensons que si l’épidémie s’intensifie davantage, la baisse de l’EUR/CHF pourrait s’accentuer, mais il est peu probable qu’elle soit trop prononcée. La BNS, qui semble déterminée à ne pas laisser la paire descendre significativement en dessous de 1,07, augmenterait les interventions sur le marché des changes et réduirait potentiellement encore les taux d’intérêt. Certes, la marge de manœuvre pour abaisser les taux d’intérêt n’est pas très grande (le taux directeur est à -0,75%), mais la BNS devrait faire preuve de créativité avec une combinaison de mesures monétaires accommodantes, étant donné que l’inflation avoisine 0% en glissement annuel et que l'impact de l’EUR/CHF sur l’indice des prix à la consommation est assez fort. Le résultat est que si le franc suisse peut offrir un certain degré de couverture, il est peu probable qu’il constitue l’instrument de choix en cas d’escalade de l’épidémie de coronavirus.
USD : toujours utile en cas d’aversion au risque, mais gare aux vents contraires
Le dollar américain a clairement bénéficié de la perturbation du commerce mondial en 2018 et 2019 et a commencé cette année sur des bases solides car les inquiétudes liées aux virus ont influencé la propension pour le risque des investisseurs (+2,5% en cumul annuel sur une base pondérée des échanges). En termes simples, le dollar américain représente la devise de réserve mondiale, ce qui implique que tout événement présentant un risque élevé de ralentissement de la croissance mondiale entraîne une augmentation de la demande pour le billet vert. Cette situation est aggravée par les paris des spéculateurs qui, conscients de la contra-cyclicité du dollar américain, tentent d’anticiper la réaction du marché et de faire monter le billet vert en cas d’actualité négative dans le monde. Cette fois-ci, le dollar américain a bénéficié de deux avantages supplémentaires. 1) Il offre les taux d’intérêt les plus élevés parmi les pays du G10. 2) Ces deux dernières années, l’économie américaine a surperformé le reste du monde, en grande partie grâce aux mesures de relance budgétaire prises en 2018.
Par conséquent, le billet vert serait probablement davantage soutenu si les inquiétudes liées au virus entraînaient un recul prononcé des marchés. Dans ce cas, qui ne constitue pas notre scénario central, nous nous attendons à ce que la force du dollar se manifeste principalement par rapport : 1) aux monnaies cycliques et à celles dont les banques centrales disposent d’une certaine marge de manœuvre pour assouplir leur politique monétaire, à savoir le dollar australien, le dollar néo-zélandais et, dans une moindre mesure, les couronnes suédoise et norvégienne ; et 2) aux monnaies exposées à la croissance chinoise et aux chaînes de valeur chinoises telles que le baht thaïlandais, le dollar de Singapour et le won sud-coréen en Asie, et le réal brésilien et le peso chilien en Amérique latine.
Cela étant, nous restons conscients que les valorisations extrêmes et les risques politiques liés au dollar américain ne sont pas suffisamment pris en compte et pourraient revenir hanter la monnaie. Premièrement, elle est surévaluée de 8 à 12% selon nos estimations, et conformément aux estimations du Fonds monétaire international (FMI). Si les considérations de valorisation sont généralement reléguées au second plan en période de baisse des marchés, le décalage est trop important pour être complètement ignoré. Deuxièmement, la Fed étant l’une des rares grandes banques centrales à disposer encore de munitions pour abaisser les taux d’intérêt, un pivot accommodant du Federal Open Market Committee (pour contrer l’impact du virus et/ou pour faire face à la sous-performance persistante de l’inflation par rapport à sa cible) pourrait provoquer une chute du dollar américain. Troisièmement, les impulsions budgétaires ont commencé à s’estomper aux Etats-Unis, réduisant l’avantage du pays par rapport au reste du monde. Quatrièmement, nous pensons que le marché sous-estime actuellement la possibilité que Bernie Sanders se présente et remporte la prochaine course à la présidence des Etats-Unis – un résultat qui serait selon nous négatif pour le billet vert étant donné que le programme de M. Sanders est peu favorable aux entreprises. Enfin, la communauté des spéculateurs a renforcé assez rapidement les positions longues dans le dollar américain ces dernières semaines, rendant la monnaie sujette à de brusques revirements.
Conclusion
Notre scénario central prévoit que les perturbations liées au virus seront significatives, mais transitoires. Cette opinion est corroborée par les données agrégées qui montrent une baisse continue des nouveaux cas d’infection en Chine. Nous prévoyons donc un rebond de l’activité économique vers le deuxième trimestre, également soutenu par une importante relance budgétaire chinoise. Il serait alors possible de voir la force du dollar américain s’inverser, la paire USD/JPY revenir en dessous du niveau de 110, principalement en raison de la faiblesse du billet vert, et l’EUR/CHF n’augmenter que modestement vers 1,10 d’ici la fin de l’année, à mesure que la production manufacturière mondiale accélère son redémarrage.
Toutefois, la récente augmentation des cas d’infection en dehors de la Chine (notamment en Italie) signifie qu’un épisode grave et prolongé d’aversion pour le risque reste possible. Dans un tel cas, le dollar américain résisterait, tandis que l’or s’avérerait probablement la couverture la plus efficace dans le complexe monnaies + or. Le yen représente également une bonne couverture alternative contre la forte baisse de la propension pour le risque, tandis que le franc suisse serait probablement à la traîne, en grande partie en raison de l’intervention de la BNS sur le marché des changes. En dehors des devises, l’exposition aux bons du Trésor américain devrait également permettre de gérer la volatilité.
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