perspectives d’investissement
Mandat de lutte contre le changement climatique pour les banques centrales ?
Lombard Odier Private Bank
Points clés
- Les menaces liées au changement climatique incitent les banques centrales à revoir leur rôle dans la lutte contre ce dernier.
- Plusieurs d’entre elles affirment qu’elles peuvent agir dans le cadre de leur mission d’assurer la stabilité des prix.
- Le changement climatique est devenue une priorité pour les nouveaux dirigeants du FMI et de la BCE.
- Les responsables monétaires ont reconnu qu'ils ne pouvaient pas rester les bras croisés jusqu’au moment où il deviendrait impossible d’évaluer les actifs.
Les ouragans, les typhons, les feux de forêt, la sécheresse, les inondations et les vagues de chaleur qui se sont abattus sur la planète, de l'Arctique à l’Australie, devraient faire de 2019 la pire année en termes de catastrophes climatiques depuis vingt ans. De plus, les cinq dernières années ont été les plus chaudes que l’on n’ait jamais connues. C'est également en 2019 que les nouveaux dirigeants du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE) ont fait du changement climatique une de leurs priorités. Le sujet, que l’on considérait auparavant comme un problème assez lointain, se conjugue maintenant au présent.
La question de savoir si les banques centrales doivent s’attaquer au changement climatique devient pressante et leurs dirigeants sont aujourd’hui nombreux à penser qu’ils ont un rôle à jouer dans la gestion de cette crise.
La mission des banques centrales est plutôt liée aux perspectives d’inflation à moyen terme. Cependant, ces institutions prennent aussi généralement en compte les implications monétaires d'événements à plus longue échéance – tels que les changements démographiques et technologiques de long terme et leurs conséquences sur la main-d'œuvre – dans leur analyse des tendances macroéconomiques dans leur ensemble. Dans ce cadre, le changement climatique constitue un défi pour leurs responsables en termes de gestion de ses répercussions sur la politique monétaire et de l’incertitude associée.
Le changement climatique peut affecter toutes les activités économiques et les prix de tous les actifs, en particulier le coût des aliments et de l'énergie, entraînant de fait des effets inflationnistes. Autrement dit, le dérèglement climatique représente un risque pour la stabilité financière ; il semble donc bien qu’il constitue un enjeu pour les banques centrales.
Le débat sur le rôle que les banques centrales auraient à jouer dans la lutte contre le changement climatique s’est ouvert à l’occasion d’un discours prononcé en 2015 par le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney. Selon M. Carney, les banquiers centraux n’ont pas pour mission d’imposer des choix de politique monétaire spécifiques, mais ils ont « un intérêt évident à ce que le système financier se montre résistant face à une transition, quelle qu’elle soit ». La transition, courte ou longue, vers un environnement neutre en carbone bouleversera la valeur de tous les actifs. Plus l’ajustement de l’économie réelle tardera à se faire, « plus le risque d’un ajustement brutal sera grand ».
BCE, Riksbank et BEI
Plusieurs banques centrales sont en train de revoir leurs investissements. Cette année, la BCE a officiellement retenu le changement climatique parmi les menaces majeures affectant le secteur bancaire. Christine Lagarde, la nouvelle présidente de l’institution, a suggéré que les missions de l’institut monétaire européen soient modifiées afin d’intégrer de nouveaux enjeux, notamment la technologie, les crypto-monnaies, les prêts non financiers et le changement climatique. Le mois dernier, Mme Lagarde a également déclaré devant le Parlement européen qu'elle souhaitait faire du changement climatique une priorité, car il posait des « risques macro-critiques ». En ce qui concerne son mandat, la présidente de la BCE pourrait effectivement affirmer de manière plausible qu’il ne découle plus des statuts de la BCE à Francfort mais bien plutôt de l’Accord de Paris de 2015 qui engage l'Union européenne à contenir le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».
La semaine dernière, la Riksbank a annoncé qu'elle avait vendu sa dette quasi-souveraine des régions productrices de charbon du Queensland et de l'Australie occidentale, ainsi que de la région canadienne de l'Alberta, qui investit dans l'extraction des sables bitumineux. « Nous n'investirons plus dans des actifs émis par des entités ayant une empreinte climatique élevée », a déclaré Martin Flodén, le sous-gouverneur de la banque centrale suédoise. La plupart des investissements de la banque se composant de titres de dette publique, a-t-il ajouté, les obligations vertes, qui permettent généralement d’investir dans des projets environnementaux spécifiques, ne sont pas une option que l’institution prendra en compte.
Le 14 novembre, la Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé pour sa part qu’elle cesserait de financer les projets liés aux énergies fossiles, y compris au gaz naturel, à partir de la fin de 2021. La BEI, la plus grande institution financière multilatérale au monde, a un encours de prêts de plus de 500 Md USD.
Actifs inexploitables
L’un des problèmes qui se posent aux banques centrales, c’est la gestion d’actifs qui risquent des pertes de valeur conséquentes lors de la transition vers une économie bas carbone, principalement les investissements liés aux combustibles fossiles. Ces derniers vont représenter une menace de 1000 Md USD au sein des portefeuilles des banques centrales, avec des risques pour les marchés financiers au sens large. Par exemple, la banque centrale norvégienne a reconnu que, durant une phase de transition, l’octroi de prêts au secteur pétrolier et gazier du pays représentait un risque.
Il n'y a pas de consensus sur l’importance que les banques centrales devraient accorder au changement climatique dans l’établissement de leurs perspectives. Cependant, nombre d’entre elles se sont attaquées au problème. La banque centrale de l’Inde, par exemple, demande aux banques commerciales du pays d'affecter une partie de leurs prêts à une liste de « secteurs prioritaires », qui incluent désormais les énergies renouvelables. La Banque populaire de Chine a intégré le financement vert dans son cadre macro-prudentiel. La Banco Central do Brasil a appelé les prêteurs commerciaux à inclure les facteurs de risque environnementaux dans leur gouvernance et à indiquer ensuite comment ces derniers affectent leurs besoins en fonds propres. Enfin, le programme de soutien aux prêts de la Banque du Japon permet aux institutions financières d’avoir accès à des prêts à des taux inférieurs à ceux du marché, dans le but de soutenir certains secteurs, tels que les activités axées sur l’environnement.
La banque centrale néerlandaise achète en propre des obligations vertes et recourt également à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, par exemple, tandis que la Banque nationale suisse applique des filtres éthiques à ses achats d'actifs étrangers.
Il n’existe pas encore de consensus sur la manière de gérer les actifs à empreinte carbone élevée d’une banque centrale; ces derniers, après tout, appartiennent d’abord aux États. La banque centrale allemande a une position différente dans ce débat. Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, reconnaît que les banques centrales ont un rôle à jouer, mais uniquement pour gérer la dévalorisation des actifs qui risquent des pertes de valeur. M. Weidmann ne partage en revanche pas l’avis selon lequel les responsables monétaires devraient favoriser officiellement les actifs verts ou bien établir une discrimination à l'égard des actifs dits « bruns ». Plutôt que de privilégier les obligations vertes, les banques centrales doivent continuer à acheter des obligations tout en évitant de discriminer certains secteurs, a-t-il soutenu.
Néanmoins, les banques centrales doivent faire face aux risques liés au changement climatique. « C’est une chose parfaitement claire », a récemment déclaré Sabine Mauderer, qui est membre du conseil exécutif de la Bundesbank. « Mais elles ne peuvent pas remplacer une politique climatique », a-t-elle expliqué, qui incombe aux États. Pour gérer efficacement le changement climatique en tant que source de risque financier, a-t-elle ajouté, les banques centrales ont besoin de données plus riches et de meilleure qualité sur le risque systémique, qui seront obtenues au moyen d’une communication transparente, cohérente et normalisée.
Une action coordonnée
Afin de répondre à l’enjeu que représentent ces données, le Réseau pour l'écologisation du système financier (« Network for Greening the Financial System », ou « NGFS »), créé en 2017, vise à partager les meilleures pratiques et analyses dans le but d'aider le secteur financier à répondre aux ambitions de l'Accord de Paris et à gérer les risques au moyen d'investissements durables. En avril de cette année, le NGFS a publié ses premières recommandations.
La Réserve fédérale américaine (Fed) est notablement absente du NGFS. Son président Jerome Powell, par exemple, a récemment déclaré que le changement climatique ne représentait pas une menace « à court terme ». Cependant, Lael Brainard, gouverneure de la Fed, a expliqué le 8 novembre que le rôle de l’institution consiste aussi à s’adapter aux nouveaux défis. « Cela n’est pas moins vrai pour le changement climatique que pour la mondialisation ou la révolution des technologies de l’information », a-t-elle déclaré.
Le NGFS s’appuie sur les travaux du groupe de travail sur les informations financières relatives au climat (Task Force on Climate-related Financial Disclosures), qui élabore des normes encadrant les données que les entreprises doivent communiquer aux marchés.
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