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Dans l’enfer du Brexit
Lombard Odier Private Bank
Trente-trois mois après avoir voté en faveur d’une sortie de l'Union européenne (UE), le Royaume-Uni demeure profondément divisé sur la manière dont il prévoit de quitter, à terme, la plus grande zone de libre-échange du monde. Le plus probable aujourd’hui, c’est que le Brexit se fera dans le cadre d’un accord et qu’il sera reporté jusqu’en 2021. Une autre possibilité, plus aléatoire, existe cependant : une sortie chaotique du Royaume-Uni de l’UE, dans les mois, voire dans les semaines à venir.
La semaine dernière, le Parlement britannique a rejeté pour la deuxième fois l’accord de retrait, légèrement modifié, présenté par la Première ministre Theresa May. Le lendemain, il a voté contre une sortie de l'UE sans accord et, un jour plus tard, il s’est exprimé en faveur d’un report de l’échéance du Brexit au moins jusqu'au 30 juin. Dans quelques jours, le Parlement sera à nouveau invité, pour la troisième fois, à soutenir l'accord de retrait proposé1.
Si la Chambre devait réitérer son rejet, comme cela semble probable, un report supplémentaire de l’échéance de sortie de l’UE, ou un Brexit sans accord, de fait « accidentel », deviendraient alors des options possibles. La Première ministre tentera probablement d’agiter l’épouvantail d’une extension de la prolongation afin de convaincre les partisans du Brexit de soutenir son accord de retrait : ils pourraient sinon devoir patienter 21 mois de plus, voire risquer l’ensemble du projet si un second référendum ou des élections législatives devaient survenir.
Les marchés anticipent que le Royaume-Uni finira par négocier une sortie de l'UE « en douceur », permettant ainsi une période de transition au cours de laquelle les deux parties pourront négocier les droits de douane, les quotas de partage des ressources ou l'accès aux services. Or, à l’heure actuelle, le seul moyen de garantir une période de transition consiste à cautionner l’accord de Mme May. La semaine dernière, la livre sterling (GBP) a progressé face à l'euro et au dollar américain, les investisseurs ayant interprété les votes du Royaume-Uni comme réduisant la probabilité d'un Brexit chaotique, aux graves conséquences économiques.
« Il n'y a que deux façons de quitter l'UE, avec ou sans un accord », a déclaré un porte-parole de l'UE la semaine dernière. « L'UE est prête à faire face aux deux options. Pour s’assurer que la sortie ne se fasse pas sans accord, il ne suffit pas de voter contre une telle éventualité, il faut aussi s’entendre sur un texte. » D'autres ont été moins diplomates dans leurs propos. Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, aurait déclaré en privé que voter pour exclure un Brexit sans accord, « c’est comme si le Titanic votait pour que l'iceberg ne se mette pas en travers de sa route ».
Le Brexit va-t-il jouer les prolongations ?
Une prolongation de trois mois de l’échéance du 29 mars, si le Royaume-Uni la demandait, nécessiterait l’appui unanime des 27 autres membres de l’UE et ferait probablement l’objet d’un débat lors de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars prochains. Point essentiel par ailleurs, le processus d’extension exige que le Royaume-Uni fasse une « demande motivée » de prolongation. En d’autres termes, le Royaume-Uni doit donner des arguments convaincants justifiant la demande d’un délai supplémentaire. Le plus logique, ce serait qu’il le fasse pour permettre à son Parlement d’adopter la législation relative à l’accord de retrait.
À moins, donc, que le Parlement ne soutienne l'accord de retrait, « il semble peu plausible qu'une demande » de prolongation de deux à trois mois « obtienne l'unanimité nécessaire de la part de l'UE à 27 », a tweeté Eleanor Sharpston, l'avocate générale du Royaume-Uni à la Cour de justice de l’Union européenne.
D’un point de vue légal, le seul moyen unilatéral qui permettrait au Royaume-Uni d'empêcher le Brexit de se produire le 29 mars serait alors de révoquer l'article 50.
Pour que l’accord de Mme May ait une chance d’être adopté, à l’occasion de sa troisième présentation devant la Chambre, il faudrait qu’un revirement s’opère à la fois au niveau du Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord, de plusieurs députés conservateurs pro Brexit et de quelques députés travaillistes. Arithmétiquement, cela semble très improbable, étant donné le peu d’efforts entrepris par le gouvernement pour convaincre les différentes formations siégeant au Parlement - et les membres du Parti travailliste en particulier.
Pis encore, dans le contexte parlementaire actuel, la discipline du Parti conservateur, celui-là même de la Première ministre, semble ne plus s’imposer, et des ministres votent ainsi contre leur propre gouvernement. Lors du vote du 14 mars sur l’extension de l'article 50, le ministre du Brexit, Stephen Barclay, a pris la parole en faveur d'une prorogation avant, quelques minutes plus tard, de voter contre. Non sans ironie, c’est à M. Barclay qu’il reviendra de présenter au Conseil européen la demande de report du Royaume-Uni (voir le calendrier).
« Pourquoi devrions-nous prolonger la négociation ? », s’est interrogé la semaine dernière le négociateur en chef de l'UE, Michel Barnier. « La discussion au titre de l'article 50 est terminée. Nous avons un accord de retrait, il est là. » Donald Tusk, le président du Conseil européen, a déclaré qu'un délai beaucoup plus long, peut-être jusqu'en 2020, pourrait être envisageable si «le Royaume-Uni juge[ait] nécessaire de repenser sa stratégie sur le Brexit et de construire un consensus autour d’elle. »
« Grince-Bretagne »
Ceci étant, le reste de l'UE a d’autres priorités. La chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron font tous deux face à des oppositions populistes alors que les élections européennes approchent. Par ailleurs, les économies de leurs pays ralentissent et les tensions s’accroissent avec les États-Unis et la Russie.
À un moment donné, la patience de l’UE à 27 face au chaos dans lequel le Royaume-Uni s’est plongé risque, à bon droit, d’atteindre ses limites. En même temps, si les parlementaires britanniques continuent de rejeter l’accord de retrait sans trouver de consensus autour d’une autre alternative, ils pourraient finir par remettre l’avenir immédiat de leur pays entre les mains des dirigeants européens.
Que le Brexit ait lieu fin mars ou en juin, le vrai risque c’est que le Royaume-Uni quitte l'UE sans accord de transition et qu’il ne soit donc pas préparé aux retombées économiques de son départ - un aspect que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer plus en détail (voir nos articles précédents, ici et ici). Entériner une période de transition créerait à tout le moins l’espace nécessaire pour préparer une sortie plus disciplinée.
Compte tenu de la dégradation possible de la GBP en cas de Brexit sans accord, que ce soit par accident ou par décision parlementaire, notre rôle, en tant que gérants de patrimoine, est de protéger les portefeuilles de la volatilité. Pour cette raison, nous préférons ne pas exposer les portefeuilles à des risques inutiles et, même si une partie des gains résultant d’un éventuel rebond pourraient nous échapper au tout début, nous estimons qu’il est plus prudent de couvrir une partie de l’exposition à la GBP.
1Article rédigé le 15 mars 2019
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