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Le nouveau visage de la banque - comment la soutenabilité et l'inclusion repensent le secteur
Interview publiée dans NZZ le 22 janvier 2022
Monsieur Odier, nous sommes à la veille du procès Raiffeisen et au lendemain de la démission forcée de la présidente du Conseil d’administration de Credit Suisse. Qu’est-ce que ces événements vous évoquent ?
De telles affaires sont regrettables. Mais elles ne sont pas représentatives. Les dernières en date avaient trait aux valeurs et à la gouvernance, pas au secteur bancaire en lui-même, ni à la philosophie de la direction d’entreprise.
Mais dans l’opinion publique, toutes les banques sont éclaboussées. « Encore ces banques ». Cela vous ennuie-t-il ?
Oui, évidemment. Mais cela vaut pour les dirigeants de tous les secteurs, pas uniquement pour ceux des banques : Il faut être un modèle et le rester en toutes circonstances. Si on perd le sens commun, cela expose à de grands dangers. Mais je le répète : il s’agit de cas exceptionnels qui ne sont pas représentatifs de la qualité de la direction des entreprises en Suisse.
Pourtant, les secteurs pharmaceutiques et des assurances sont au moins aussi importants pour la Suisse mais les scandales y sont moins fréquents. Pourquoi les banques sont-elles toujours dans la ligne de mire ?
Il y aura toujours de mauvais exemples, dans tous les secteurs. Je ne crois pas que cela soit lié au secteur bancaire. Du fait des deux dernières crises, il s’est adapté aux nouvelles réglementations, plus rigoureuses. Mais on s’intéresse par définition toujours plus aux mauvais exemples qu’aux bons. C’est en partie pour cette raison que les banques ont tout fait pour devenir plus soutenables. Cela aura un effet très positif sur la réputation du secteur. C’est un retour au cœur de métier : protéger l’épargne et accorder des crédits afin de permettre à l’économie de se développer.
En 2020, les banques ont suscité un élan de sympathie et de reconnaissance, parce qu’elles ont su très rapidement mettre en place les crédits COVID-19, aux côtés du Département des finances et de la Banque nationale.
Les banques se sont rapidement organisées pour se rendre utiles en ces temps de crise. Les relations avec nos autorités fédérales étaient bonnes. Les banques doivent désormais financer et accompagner l’évolution du modèle d’affaires au vu du changement climatique. Cela les intéresse d’ailleurs fortement : de nouveaux domaines d’activités s’ouvrent et les banques organisent le capital nécessaire. La possibilité de jouer à nouveau un rôle positif n’a jamais été aussi grande.
Vraiment ? Avez-vous des échos positifs du rôle des banques dans la lutte contre le changement climatique ?
Oui. Vous avez sûrement suivi la COP-26 à Glasgow et ce que nous avons fait en Suisse, avec notre conférence exceptionnelle intitulée « Building Bridges ». L’engagement de chaque banque et du secteur dans son ensemble pourrait avoir des répercussions énormes. Pour les acteurs du secteur financier, il est sans cesse plus difficile de ne pas s’engager dans cette direction. Les banques assument une responsabilité fiduciaire ; il ne peut pas être juste question de bonne conscience. Les meilleures possibilités d’investissement, mais aussi les risques les plus importants, concernent le domaine de la soutenabilité et de la transition.
Nous avons besoin d’un cadre politique pour remplacer le chauffage au fuel et rendre le transport aérien et automobile plus efficace. Le rôle du secteur financier dans la lutte contre le changement climatique n’est-il pas surestimé ?
Non, je ne pense pas. 150 000 milliards de francs d’investissements sont nécessaires pour atteindre la neutralité carbone. Les financements publics seront largement insuffisants. D’où la grande importance des banques comme intermédiaires. Elles convainquent les investisseurs que les meilleures opportunités se trouvent dans ce domaine.
Y a-t-il un moment précis où vous avez envisagé les choses autrement et où votre intérêt pour la soutenabilité s’est éveillé ?
En 1997, nous nous demandions si nos analystes pouvaient collecter plus que des données purement quantitatives sur les entreprises que nous souhaitions recommander aux clients. Et nous avons constaté que les investisseurs institutionnels se posaient les mêmes questions. Nous avons ainsi décidé de soumettre toutes nos décisions d’investissement à des conclusions tant quantitatives que qualitatives (les valeurs et l’impact en quelque sorte).
La soutenabilité mise à part, les dirigeants des banques suisses font-ils suffisamment pour s’investir politiquement en tant que citoyen – notamment au sujet de nos relations avec l’Europe ? La voix du monde économique n’est pas très audible.
Il faudrait évidemment faire bien plus – et je m’agace que ce ne soit pas le cas. Mais la donne est la même partout : il faut que quelqu’un ouvre la voie. Le courage manque.
Tout le monde se rejette la responsabilité.
Les négociations entre la Commission européenne et notre Conseil fédéral ont commencé en 2014. Sept ans après, la Suisse a pris la lourde décision d’interrompre ce processus. Pas de solution, pas de plan B : c’est inacceptable. Nous avons absolument besoin de nouveaux plans pour assurer nos relations avec l’Europe. A qui cette tâche incombe-t-elle ? D’une part au Conseil fédéral, de l’autre au Parlement et, plus important encore, à la population, qui comprend aussi l’économie.
L’absence de pression vient aussi de l’absence de figures d’identification dans le monde économique qui s’imposent et affirment que c’est important. Il y a 30 ans, Robert Studer, le chef de la Bankgesellschaft, s’opposait à Christoph Blocher. Aujourd’hui Rolf Dörig affirme que ça n’est pas si important.
Je n’ai pas la puissance de voix des personnes que vous avez citées, mais j’affirme avec tout autant de conviction qu’il est essentiel que nous menions ces débats avant les prochaines élections. Selon le Conseiller fédéral Ignazio Cassis, l’Europe est l’une des quatre priorités du Conseil fédéral. Je l’espère. Nous aurions déjà dû nouer un contact sur le plan politique à Davos – j’ignore ce qui se passe actuellement. Une partie de la population est très mécontente de la situation actuelle. Pas de ses effets très négatifs à court terme. J’entends cet argument à longueur de temps. Mais sur le long terme, cette absence de décision aurait des conséquences dramatiques. Ce manque de courage – prétendre qu’il n’y aurait actuellement aucune solution réunissant une majorité – est incompréhensible.
Aimeriez-vous rendre cette situation plus visible, comme M. Studer il y a 30 ans ? Moi, Patrick Odier, je m’engage.
Oui. Mais qui suis-je pour dire cela ? Je me prononce donc, en tant que citoyen convaincu, en faveur de la nécessité d’une bonne solution avec l’Europe. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre encore deux ans du fait des prochaines élections.
Vous n’êtes pas n’importe qui, vous êtes Patrick Odier.
Mais je ne suis ni un politicien, ni un Conseiller fédéral. J’appelle les responsables à prendre cette responsabilité. Mais je ne vois rien venir.
Vous sentez-vous parfois seul dans cette position ? Si le monde économique s’engageait à l’unisson, avec les associations et des figures fortes, cela aurait plus d’écho. La pression augmenterait.
C’est pourquoi je l’affirme haut et fort. Je sais que les obstacles sont bien plus importants en Suisse alémanique, les voix qui s’opposent aux solutions qui ont été négociées sont plus nombreuses qu’en Suisse romande ou qu’au Tessin. Peut-être que ces solutions n’étaient pas les bonnes, d’accord – Mais alors dites-moi où les trouver. Ne me dites pas que nous devrions encore attendre deux ans, que nous avons un accord commercial qui suffit. Ce n’est pas le cas. Nous sommes dépendants de l’Europe, et inversement. Pensez, par exemple, à notre exceptionnel pôle de recherche. Des voix s’élèvent en Allemagne pour demander de ne pas se contenter d’attendre.
L’association industrielle allemande sait se faire entendre – contrairement à Economiesuisse ou à Swissmem.
Il est étonnant que nous devions l’entendre de l’extérieur – mais c’est très utile. Je le répète : notre bonne situation actuelle découle des bonnes décisions prises par le passé. Mais rien ne s’est passé en termes de politique européenne ces sept dernières années.
L’année dernière, ni le monde politique ni le grand public n’ont réellement réagi aux milliards de pertes de Credit Suisse. Est-ce le signe que les banques se sont éloignées de la population ?
Non. D’une part, beaucoup de petites et moyennes entreprises se sont rendu compte, justement lors de la pandémie, que les banques peuvent avoir un effet positif. Derrière ces PME, il y a des personnes, et donc la population. D’autre part, notre économie suisse s’est plutôt bien développée durant la crise financière et la pandémie. Cela tient à la bonne relation de travail entre la place financière et l’économie réelle. Chacun comprend que le pays compte autant d’emplois grâce à l’équilibre entre les financements et la production.
Vous ne percevez donc aucune distance ?
Je suis d’accord sur un point : il est de plus en plus difficile d’expliquer précisément ce que les banques font. Cela tient aussi à la technicité croissante du secteur financier. Et aussi aux échecs que vous citez. Il y en a dans d’autres secteurs, mais avec les banques on parle toujours de sommes importantes. L’argent est un sujet très sensible. En particulier lorsque des hauts dirigeants bien rémunérés n’ont pas un comportement exemplaire. Mais ce sont des exceptions.
On peut voir les choses ainsi : les gens se sont habitués à ce que les banques provoquent régulièrement des débâcles financières ou paient des amendes de plusieurs millions. Cela ne les révolte plus.
Vous avez raison, les débâcles restent bien trop nombreuses, année après année. Mais il faut dire que les banques ont aujourd’hui des règles et des systèmes qui offrent des garanties de la qualité du travail.
Dans le rapport de Credit Suisse sur le cas du hedge fund Archegos, on peut lire que des avertissements de collègues ou de systèmes ont sciemment été ignorés. La perspective de gagner beaucoup d’argent attire-t-elle des personnes qui ne sont, au fond, pas des « bons banquiers » ?
En tant qu’ancien président de l’Association suisse des banquiers, je peux vous l’assurer : les banques font tout ce qui est en leur pouvoir et investissent beaucoup d’argent pour que ces cas restent exceptionnels. La situation n’est plus du tout comparable à ce qu’elle était auparavant. Cela complique parfois l’entrée sur de nouveaux marchés, notamment parce que les conditions en matière de documentation client sont drastiques. Est-ce une mauvaise chose ? Non, c’est même bien. Cela évite d’agir trop rapidement et de manière superficielle, puis de prendre les mauvais risques.
Ce n’est donc pas simplement la perspective de gagner beaucoup d’argent qui attire les mauvais banquiers ?
Je ne le crois pas. Cela dépend bien plus du modèle d’affaires. Chez Lombard Odier, par exemple, nous sommes propriétaires et entrepreneurs. Nous devons investir pour assurer notre rentabilité. Et pour ce faire, nous devons éviter les mauvais risques. Cela fait partie de notre responsabilité. Si nous agissions tous ainsi, on pourrait conclure que la rémunération devrait être plus élevée que dans d’autres secteurs. Nous devons aussi être exemplaires dans la répartition des bénéfices de l’entreprise, dans le sens où nous devons gérer le risque comportemental. Tout est lié.
Les salaires élevés ne constituent-ils donc pas un problème ?
Quand un banquier gagne bien sa vie parce qu’il est un entrepreneur prospère, tout va bien. A condition que la société soit exploitée au profit des clients, qu’il n’existe pas de conflits d’intérêts et que les activités reposent sur des valeurs telles que l’intégrité, la qualité et l’excellence. Comme je l’ai déjà dit, il est important que notre banque soit rentable, y compris afin que nous puissions effectuer des investissements au profit de nos clients. Comme des investissements dans la mise en place d’une technologie bancaire conviviale ou dans l’expertise en investissement dans le domaine de la soutenabilité.
Vous êtes propriétaires et entrepreneurs, mais ce n’est pas le cas de la majorité de vos collaborateurs. Comment faites-vous pour qu’ils agissent dans votre intérêt ?
Tout d’abord, nous devons incarner nos valeurs au plus haut niveau de l’entreprise. Je ne dois pas me contenter de parler de l’orientation client, je dois moi aussi la mettre en pratique. C’est pourquoi je rencontre chaque jour des clients, comme tous les autres associés-gérants. Nous savons ce que les clients veulent et ce que signifie les servir. Ensuite, l’intégrité et la transparence. Nos actes sont en accord avec notre discours, et inversement. Enfin, notre société doit être stimulante et intéressante pour nos collaborateurs. Ils doivent se sentir impliqués dans un projet. Nous y sommes parvenus grâce à notre philosophie de la soutenabilité.
Vous avez ainsi donné une raison d’être à Lombard Odier, un « purpose » pour employer un terme à la mode.
Oui. Nous n’avons jamais attiré autant de talents intéressants qu’aujourd’hui. Notre banque compte 25 chercheurs qui appliquent une démarche purement scientifique. Ils réfléchissent uniquement à ce que la soutenabilité signifie pour chaque secteur. Quelles conclusions pouvons-nous en tirer en tant que banque et comment les exploiter sur le plan professionnel ? Lombard Odier a été certifiée « société durable » par B Lab. Là aussi, nous faisons ce que nous disons. C’est une formidable source de motivation pour nos collaborateurs.
Vous avez commencé votre carrière dans la banque il y a près de 45 ans. L’univers bancaire s’est-il amélioré ou dégradé depuis lors ?
Je regrette beaucoup de ne plus être un jeune banquier. Jamais au cours de ma carrière, il n’y a eu autant d’occasions intéressantes qu’aujourd’hui. Les possibilités que les nouvelles technologies nous ouvrent sont extraordinaires. Nous pouvons contribuer à cette transformation de l’univers bancaire, en tirer de la valeur pour l’économie et pour la société ! En tant que banquiers, nous réfléchissons désormais à la soutenabilité, au changement climatique, à la biodiversité, à l’inclusion sociale, à l’économie circulaire. Auparavant, nos fonctions avaient essentiellement un caractère financier. Les diplômés universitaires intégraient les banques parce que les salaires y étaient bons. Aujourd’hui, ils rejoignent nos rangs parce que le travail est intéressant et a un véritable impact.
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