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Les populations et la planète d’abord : la pression monte pour réformer les systèmes alimentaires
Notre système alimentaire mondial relève tant du miracle que de la catastrophe. Chaque année, la production est plus que suffisante pour nourrir une population de plus de 8 milliards d’habitants, et pourtant, les famines augmentent. Malnutrition et surconsommation coexistent et les problèmes de santé liés à la l’alimentation, tels que les maladies cardiaques et le diabète, sont désormais monnaie courante. L’agriculture industrielle décime la biodiversité et épuise les sols dont elle dépend.
Les soutiens au changement sont toutefois de plus en plus nombreux. En 2021, plus de 20’000 personnes ont participé au tout premier Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires. Surnommée le « Sommet des peuples », cette conférence a mis en lumière les quatre grands piliers pour une action urgente qui nous permettra de mettre en place des systèmes alimentaires bénéfiques pour les populations comme pour la planète.
Du 24 au 26 juillet, deux ans après le Sommet des peuples, les participants se sont réunis à Rome pour la première réunion d’évaluation des systèmes alimentaires des Nations Unies, une occasion de faire le point sur les progrès accomplis et de renforcer les efforts visant à transformer en profondeur notre alimentation et nos méthodes de production. L’impulsion de ces mesures, l’innovation des entreprises et la demande accrue des consommateurs pour des aliments plus sains et durables sous-tendent notre stratégie New Food Systems, lancée il y a un an. Nous examinons ici les quatre domaines d’amélioration clés.
1. Des aliments pour tous
Pas moins d’un tiers de la nourriture que nous produisons n’est pas consommée1. Malgré cela, plus de 2 milliards de personnes souffrent chaque année d’insécurité alimentaire – en matière de famine, le problème n’est pas la production, mais la distribution.
A l’occasion d’un sommet organisé conjointement par Lombard Odier et l’Université d’Oxford, le professeur Sir Charles Godfray, directeur de l’Oxford Martin School, a expliqué l’importance de la mondialisation dans la mise en place de systèmes alimentaires capables de nourrir l’ensemble de la population.
« Le changement climatique a de nombreux effets sur la production alimentaire », a-t-il souligné. « Rien que ces deux dernières années, nous avons connu des incendies en Australie, le dôme de chaleur du printemps dernier en Inde, où les températures extrêmement élevées ont empêché les agriculteurs d’aller travailler dans leurs champs, puis d’énormes inondations au Pakistan. Nous commençons à observer les effets directs du changement climatique sur la production alimentaire. »
« Nous devons donc mettre en place un système alimentaire mondial dans lequel un panier de provisions peut en remplacer un autre. Par exemple, si nous avons par exemple de très mauvaises récoltes en Amérique du Sud, qui produit beaucoup de céréales et de soja, et que nous avons de bonnes récoltes, disons, en Amérique du Nord et en Australie, alors une région se substitue à l’autre. Et cette substitution ne fonctionne que si nous disposons d’un système alimentaire mondialement connecté qui permet à la production d’une région d’en remplacer une autre. »
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2. La biodiversité est une force
Une autre façon de se protéger contre les mauvaises récoltes consiste à construire de zéro une agriculture résiliente. L’une des solutions, préconisée par le régime alimentaire planétaire de la Commission EAT-Lancet, passe par la diversification de la production et de la consommation de denrées alimentaires2. Aujourd’hui, sur plus de 50’000 espèces végétales comestibles, trois seulement – le riz, le maïs et le blé – représentent les deux tiers de notre apport énergétique alimentaire3. Cette concentration excessive est préjudiciable à la santé humaine et accroît la vulnérabilité de notre système alimentaire. Une production agricole plus diversifiée est en effet considérée comme le moyen le plus efficace d’assurer la résilience de la production alimentaire4.
L’agriculture de précision, qui fait appel à des technologies de pointe pour minimiser les besoins en intrants agricoles, tels que l’eau, les engrais et les pesticides, a également un rôle à jouer. Les prix mondiaux des engrais ont atteint des sommets historiques à la fin de 2021 et au début de 2022, laissant craindre une pénurie alimentaire généralisée. Face à cette situation, conformément au rapport intérimaire sur les systèmes alimentaires des Nations unies, un certain nombre de gouvernements s’efforcent de réduire leur dépendance à l’égard des marchés mondiaux des engrais en encourageant une utilisation plus efficiente, voire le passage à des solutions alternatives biologiques5.
3. Promouvoir les solutions fondées sur la nature
Près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine proviennent de nos systèmes alimentaires. La production alimentaire est également le principal facteur de perte de biodiversité6 et la première cause de déforestation. Elle consomme aussi plus d’eau douce que tout autre secteur d’activité.
L’agriculture régénératrice est une approche de l’agriculture axée sur la nature qui vise à restaurer la santé des sols afin d’améliorer l’absorption du carbone et de l’eau, réduisant ainsi les émissions de carbone et renforçant la résilience à la sécheresse. Grâce à l’agriculture régénératrice, les terres cultivées peuvent se transformer de source de carbone en puits de carbone7, inversant ainsi la courbe des émissions agricoles.
Depuis le sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires de 2021, l’intérêt pour l’agriculture régénératrice et l’agroforesterie (qui consiste à associer arbres et cultures) s’est accru. Plusieurs grands groupes agroalimentaires ont placé l’agriculture respectueuse de la nature au cœur de leurs efforts de réduction des émissions. Nestlé s’est fixé pour objectif d’obtenir 20% de ses produits de base grâce à l’agriculture régénératrice d’ici à 2025. En mars dernier, le brasseur Carlsberg a annoncé sa décision immédiate d’utiliser uniquement de l’orge issue de l’agriculture régénératrice8. Le rapport intérimaire de l’ONU, à la fin de 2021, révèle toutefois que moins de 10% des 350 plus grandes entreprises alimentaires mondiales s’étaient fixé des objectifs de réduction des émissions conformes à l’Accord de Paris.
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4. Renforcer l’autonomie des communautés
Les systèmes alimentaires représentent environ 40% des emplois dans le monde9, ce qui inclut environ 500 millions de petits exploitants, dont beaucoup vivent dans des communautés pauvres10. Etant donné qu’un tiers de la population mondiale dépend des petits exploitants pour se nourrir, ces communautés ne doivent pas être négligées si nous voulons que l’évolution des systèmes alimentaires soit durable.
Pourtant, selon le rapport intérimaire de l’ONU, leur inclusion est aujourd’hui à la traîne : « donner suffisamment d’espace aux femmes, aux jeunes et aux populations autochtones pour qu’ils participent à l’apport de solutions aux systèmes alimentaires locaux reste dans une large mesure un problème, qui laisse de vastes segments de la population mondiale marginalisés et insuffisamment reconnus. »
Plusieurs mouvements et solutions technologiques s’efforcent de combler cette lacune. Le mouvement Social Gastronomy s’est par exemple donné comme objectif de renforcer la visibilité des acteurs locaux et de petite taille dans nos systèmes alimentaires, notamment les petits exploitants agricoles et les distributeurs alimentaires locaux, afin qu’ils bénéficient d’une place centrale dans nos « New Food Systems ». Au Kenya, des applications pour smartphone telles que Hello Tractor permettent aux petits exploitants de louer un tracteur pour de courtes périodes. Dans toute l’Afrique, un nombre croissant de technologies digitales – dont quatre applications gratuites de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) 11 – permettent aux agriculteurs de consulter les bulletins météorologiques, d’obtenir des conseils concernant la santé de leur bétail et l’utilisation d’engrais, ainsi que d’entrer directement en contact avec des acheteurs potentiels.
Dans certaines régions du monde, les communautés les plus pauvres sont toutefois exclues de cette révolution. En Afrique subsaharienne, par exemple, seuls 26% des agriculteurs ont accès à internet, et les femmes sont 13% moins susceptibles de posséder un smartphone12.
Une urgence grandissante
Le rapport intérimaire des Nations unies sur les systèmes alimentaires dresse un tableau contrasté. Depuis 2021, 122 pays ont établi des feuilles de route pour passer à une production et une consommation alimentaires durables. Pourtant, la famine est en pleine recrudescence dans le monde13, de nombreux pays à revenu faible manquent « d’infrastructures de transport, de stockage et de transformation, ce qui entraîne des pertes après récolte, un accès limité aux marchés et une augmentation du gaspillage alimentaire ».
Selon ce rapport, le coût des systèmes alimentaires non durables actuels, en termes de dommages environnementaux et de détérioration de la santé humaine, « s’élève à un montant vertigineux de USD 12’000 milliards, ce qui compromet des décennies de développement collectif ». Toutefois, poursuit le rapport, si nous y parvenons, « la transformation des systèmes alimentaires offre une occasion exceptionnelle d’atteindre les objectifs planétaires communs ».
Cette dynamique de croissance crée une source de rendement annuel équivalant, selon nos estimations, à USD 1’500 milliards par an d’ici à 2030. En effet, les subventions publiques sont progressivement réorientées vers une production durable, les politiques et réglementations encouragent l’agriculture à faibles émissions et les consommateurs votent de plus en plus souvent « avec leur assiette ». Les investisseurs ont un rôle central à jouer dans ce changement et peuvent contribuer à accélérer les innovations dans des domaines tels que les engrais « verts », les solutions digitales pour l’agriculture de précision et la distribution alimentaire, ainsi que dans le secteur en plein essor des protéines de substitution.
Toutefois, le temps ne joue pas en notre faveur. Une étude récemment publiée dans la revue scientifique Nature signale que le changement climatique augmente considérablement les risques de mauvaises récoltes simultanées dans plusieurs régions et que les gouvernements sous-estiment la gravité de cette menace14. Selon la Commission EAT-Lancet, « l’alimentation est le levier le plus puissant pour optimiser la santé humaine et la stabilité environnementale sur Terre. » Face à la menace croissante du changement climatique, c’est un levier que nous ferions bien d’actionner dès maintenant.
1 5 facts about food waste and hunger | Programme alimentaire mondial (wfp.org)
2 Commission EAT-Lancet, Brief for Everyone - EAT (eatforum.org)
3 Dimensions of need - Staple foods: What do people eat? (fao.org)
4 Diversification for enhanced food systems resilience | Nature Food
5 unfss-sg-report_advanced-unedited-version.pdf (unfoodsystemshub.org)
6 Our global food system is the primary driver of biodiversity loss (unep.org)
7 How carbon-smart farming can feed us and fight climate change | World Economic Forum (weforum.org)
8 Carlsberg expands use of regenerative barley (beveragedaily.com)
9 unfss-sg-report_advanced-unedited-version.pdf (unfoodsystemshub.org)
10 Une année dans la vie quotidienne de petits exploitants agricoles (banquemondiale.org)
11 FAO launches four new agricultural service apps in Africa | E-Agriculture
12 How technology can help farmers in Africa | World Economic Forum (weforum.org)
13 2.1 Indicateurs de la sécurité alimentaire : dernières données en date et progrès vers l’élimination de la faim et la sécurité alimentaire (fao.org)
14 Risks of synchronized low yields are underestimated in climate and crop model projections | Nature Communications
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