rethink sustainability
Peut-on concilier écologie et croissance?
Exagérer les défis de la décarbonisation conduit à une politique inadéquate
Au cours de la dernière décennie, le monde a investi davantage dans les énergies renouvelables que dans la production d’électricité à partir de combustibles fossiles. Dans le même temps, le marché des véhicules électriques arrive à un tournant. Que l’on se soucie des émissions ou non, le monde devrait bénéficier d’une électricité et d’automobiles moins chères qu’avec les carburants traditionnels. Pourtant, aucun économiste n’avait prédit ces développements importants car les approches économiques conventionnelles surestiment les coûts d’adoption des technologies propres.
Dans son discours de réception du prix Nobel, William Nordhaus, l’un des modélisateurs économiques les plus influents dans ce domaine, a qualifié d’« optimales » des températures mondiales de 3 ou 4 degrés au-dessus des niveaux préindustriels au siècle prochain. De nombreux scientifiques considèrent que les niveaux suggérés par William Nordhaus sont probablement catastrophiques. Le coût élevé des technologies propres dans son modèle rend les réductions d’émissions plus ambitieuses excessivement chères.
L’important c’est la dématérialisation et non la décroissance
La surestimation des coûts d’ajustement a conduit certains responsables politiques à se demander si une décarbonisation ambitieuse permettrait d’optimiser les ressources. Cependant, un autre camp tire la conclusion contraire. Si le coût du découplage absolu de la consommation et des émissions est prohibitif, disent ses partisans, le seul moyen d’éviter une urgence planétaire est de réduire la consommation. Ces économistes prônent ce que l’on désigne souvent par le terme de « décroissance ».
Disons-le, la prospérité et le bien-être ne se résument pas à la croissance du PIB. Mais il est important de ne pas confondre la croissance de la production avec celle des intrants matériels tels que les combustibles, les minéraux, les services écosystémiques et les biens d’équipement. C’est intuitivement séduisant, mais c’est faux.
Les améliorations d’efficacité stimulent la croissance. Si nous pouvons tirer davantage des ressources dont nous disposons en découplant le PIB des matériaux, nous pouvons devenir plus productifs. Ce qui importe pour le développement durable, ce n’est pas la consommation finale de biens et services, mais la consommation intermédiaire de ressources primaires.
Comment découpler le PIB ?
À ce stade, les partisans de la décroissance répondront que nous n’avons jamais réussi à atteindre un taux de découplage assez rapide pour garantir la durabilité des ressources de la planète et éviter le changement climatique. C’est vrai, mais le fait est que nous n’avons jamais essayé.
Ne vous y trompez pas, la tâche est énorme. Vers le dernier quart de ce siècle, la taille de l’économie mondiale aura plus que triplé. Pourtant, pour prévenir un changement climatique dangereux, les émissions nettes doivent être proches de zéro. Sans découplage, le PIB devrait faire de même, provoquant une famine massive.
Donc, quelle que soit l’approche retenue, nous comptons sur l’innovation pour tirer le meilleur parti des ressources dont nous disposons. La question est de savoir comment y parvenir assez rapidement.
La théorie de la croissance endogène a montré comment le fait d’investir dans la science, la créativité et l’innovation nous permet d’obtenir davantage à partir des ressources dont nous disposons. De cette façon, l’augmentation du rendement des idées compense la diminution du rendement de la main-d’œuvre et du capital physique et génère des ressources pour d’autres investissements.
Contrairement aux ressources matérielles, le savoir engendre le savoir et ne s’épuise pas lorsqu’il est utilisé. La connaissance n’est pas exactement « du vent », puisqu’elle est créée et diffusée par une infrastructure numérique gourmande en énergie (qui représente 8% de la production mondiale d’électricité), mais en général cette innovation réduit le besoin en matériel pour chaque unité de valeur de PIB créée.
La connaissance et l’innovation sont essentielles
Tout cela n’est pas nouveau. John Stuart Mill soutenait que même si l’économie matérielle atteignait un état stationnaire, notre développement intellectuel augmenterait indéfiniment. Martin Weitzman a montré comment le regroupement d’idées existantes génère une quantité potentiellement illimitée de nouvelles idées.
Cela se traduit par l’importance croissante dans le revenu national des produits immatériels liés au savoir, aux logiciels, nouveaux médias, bases de données et bibliothèques, à la rédaction créative et aux services en ligne. Les biens immatériels représentent également une part croissante du capital de base nécessaire à la production. L’évaluation des plus grandes entreprises du monde est maintenant fondée principalement sur leur capital incorporel et non plus sur la valeur de leur personnel, de leurs bâtiments ou de leurs biens d’équipement. En 1975, environ 20% de la valeur des sociétés cotées en Bourse était immatérielle, c'est à dire constituée des idées, des processus et des réseaux que l’entreprise a développés. En 2015, ce niveau était passé à environ 80%.
Pour assurer le développement durable, il faudra réduire notre appétit vorace pour les biens matériels et la viande, mais les goûts et les préférences évoluent au même rythme que les possibilités de production. 75% des Millenials déclarent aujourd’hui préférer consacrer leur argent à l’expérience plutôt qu’à l’achat de biens matériels. Dans le même temps, l’innovation dans la production et l’utilisation efficaces des matériaux, ainsi que la location, le partage, le recyclage et la réutilisation nous permettent de tirer le meilleur parti des ressources dont nous disposons. Plus de prospérité ne signifie pas forcément plus de matériaux.
Il convient de noter que ce capital immatériel est très vulnérable aux impacts du changement climatique, à l’évolution rapide des exigences technologiques et à la menace croissante de litiges alors que responsables politiques et dirigeants d’entreprise portent sciemment atteinte aux moyens de subsistance. Une étude récente a montré que 51% de la valeur des entreprises axées sur le consommateur est liée à la croissance future, laquelle est menacée par les enjeux liés au développement durable.
On peut concilier écologie et croissance
La dématérialisation offre des avantages non négligeables pour la santé grâce à une planification urbaine meilleure et plus efficace, à la réduction de la pollution urbaine et des embouteillages, ainsi qu’à une meilleure efficacité énergétique et des matériaux.
Il ne s’agit pas seulement d’énergies renouvelables avancées et de véhicules électriques « sexy ». Imaginez que vous vendez votre voiture et achetez un vélo. Certes, le secteur automobile en souffrira, mais les restaurants où vous allez à vélo avec l’argent que vous avez économisé sur l’essence et les accessoires prospéreront. Les usagers de la route passeront moins de temps dans les embouteillages et plus de temps au bureau ou avec leurs amis et leur famille, ce qui augmentera le PIB et le bien-être.
Des améliorations économiques dans la façon dont nous gérons l’eau, les sols et les aliments sont également possibles, même dans les secteurs de l’aviation, du transport maritime et de l’industrie. La Commission mondiale sur l’économie et le climat a constaté qu’au moins la moitié, voire jusqu’à 90%, des réductions d’émissions mondiales nécessaires pour atteindre un objectif climatique ambitieux pourraient générer des avantages nets pour l’économie. Le FMI recommande de fixer les prix des combustibles fossiles sur la base d’arguments économiques.
Il semble prématuré de préconiser le ralentissement ou l’arrêt de la croissance comme moyen d’atteindre le développement durable quand tant d’opportunités d’améliorer l’efficacité, la productivité et le bien-être demeurent inexploitées.
L’expérience de la décroissance n’est pas prometteuse
D’accord pour la théorie, mais qu’en est-il des preuves ? Premièrement, il est clair que les dépenses des pays riches consacrées au déploiement et à la recherche ont jusqu’à présent eu l’impact le plus important sur les émissions en révolutionnant l’approvisionnement mondial en électricité et les voitures.
De plus, l’histoire montre que les économies en déclin ne sont ni propres ni efficientes dans l’utilisation de leurs ressources. Deux des plus grands exemples récents de réduction délibérée de la consommation dictée par les politiques sont le rationnement dans les pays alliés pendant la Seconde Guerre mondiale et le rationnement dans ceux du bloc soviétique pendant la guerre froide. Ni l’un ni l’autre n’a induit une renaissance écologique. On peut littéralement constater l’échec de la préservation de la biodiversité des forêts à l’aune de la faible consommation en Haïti par rapport à la forte consommation en République Dominicaine.
En effet, la contraction économique serait l’une des solutions les plus coûteuses au problème climatique. En divisant la production mondiale par les émissions annuelles, chaque tonne de CO2 est associée à une production mondiale moyenne de USD 2’000. Une technologie de réduction des émissions qui coûte USD 2’000/tCO2 représenterait un très mauvais rapport coûts-bénéfice, alors que de nombreux économistes considèrent qu’un prix de USD 10 à 100/tCO2 correspondrait à une trajectoire de 2 degrés. Bien sûr, la décroissance allège d’autres pressions environnementales que le carbone, mais l’innovation ciblée est également efficace pour préserver un capital naturel plus large.
La décroissance est politiquement contre-productive
La décroissance freine l’innovation nécessaire à l’efficacité des ressources. D’un point de vue pratique, c’est une idée difficile à faire accepter. Dans les régions du monde en développement rapide, la croissance est (à juste titre) considérée comme un moyen essentiel d’éradiquer la pauvreté.
Il y a une contradiction inhérente à l’argument selon lequel, parce que nous ne sommes pas parvenus à réaliser le découplage suffisamment rapidement, la réduction de la croissance est la seule option. La principale raison pour laquelle ce découplage ne s'est pas fait est la résistance d’ordre politique basée sur le coût des technologies et des infrastructures. Cela étant, quelle est la probabilité politique que les gens acceptent des réductions importantes de leurs salaires, des interdictions de voyager immédiates et un véganisme forcé ?
Le problème que pose la définition du développement durable en termes de sacrifices et de privations va bien au-delà de mauvaises prévisions et d’une mauvaise politique. En prétendant que le développement durable fournit un mauvais rapport qualité-prix, on adopte une vision erronée de l’avenir, qui risque de le limiter. Dans la mesure où l’on croit à ces notions, elles deviennent auto-réalisatrices en générant des comportements qui retardent la transition durable. La société est alors piégée dans ce que les théoriciens du jeu appellent un équilibre de Nash de tragédie des biens communs inférieur, un état stable dans lequel aucun participant ne bénéficie d’un changement de stratégie à moins que d’autres participants ne changent également de stratégie.
Ni la croissance ni la décroissance ne peuvent à elles seules assurer le développement durable. Mais l’augmentation des rendements d’échelle dans la découverte et la production signifie qu’il n’y a aucune raison que l’avenir ne soit pas plus propre, plus calme, plus sûr, plus efficace, plus productif et plus prospère. Cela exige des efforts et une impulsion, et non le découragement.
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