perspectives d’investissement
Les banques centrales face à la poussée de l’inflation
Lombard Odier Private Bank
Points clés
- Les marchés remettent en cause le caractère transitoire de l’inflation et tablent sur des hausses de taux en 2022 aux États-Unis et en Europe
- Certaines mesures de l'inflation atteignent un pic et nous pensons que les cycles de hausse commenceront plus tard que ne le prévoient les marchés, avec plus d'augmentations de taux cumulées aux États-Unis
- Les banques centrales font face à un délicat exercice d'équilibre et le risque de faux pas s'est accru
- Nous privilégions une duration défensive dans nos expositions obligataires et maintenons notre surpondération des actions, avec une préférence pour les actifs plus cycliques et les titres de type « valeur ». Nous adoptons une vue plus constructive sur le dollar américain et anticipons davantage de catalyseurs sur le marché des changes.
Les marchés financiers s’attendent à une inflation durablement élevée. Face à cette nouvelle réalité, les taux à court terme ont augmenté, anticipant une première hausse des taux directeurs plus tôt que prévu. Pourtant, aux États-Unis comme en Europe, les annonces des banques centrales sont allées à l’encontre de ces attentes – pour le moment. Les mois à venir mettront les nerfs des marchés et des banques centrales à l’épreuve, tandis que le risque de faux pas en matière de politique monétaire augmente.
Ces dernières semaines, les attentes des marchés en matière de taux ont pris l’ascenseur (voir graphique 1, page 2). Cette remontée des taux à court terme signifie que les marchés anticipent une hausse prochaine des taux directeurs dans de nombreuses économies développées. Pendant des mois, les banques centrales ont minimisé l’importance de la flambée des prix en les qualifiant de « transitoires »1 : une situation où un fort rebond de la demande s'est heurté aux goulets d'étranglement liés à l’offre et à l’épuisement des stocks, qui se résorberont avec le temps. La politique monétaire peut difficilement endiguer l'inflation induite par l'offre. En effet, des taux plus élevés ne résoudront pas les files d'attente dans les ports, pas plus qu’ils n'aideront à construire de nouveaux gazoducs. Entre-temps, l'inflation globale a grimpé à 5,4% aux États-Unis et à 3,4% en Europe, dépassant les objectifs de 2%.
Folie temporaire
Le discours sur le caractère transitoire de l’inflation est désormais mis en cause2. L'inflation des coûts et les futures hausses de prix ont été incontournables lors des annonces de résultats du troisième trimestre. Aux États-Unis, les coûts de l'emploi ont atteint un niveau record durant cette période, les entreprises confrontées à des pénuries de main-d'œuvre ayant augmenté les salaires. Une enquête menée en octobre par Bank of America a indiqué que 38% des gestionnaires de fonds estimaient désormais que l'inflation était permanente, contre 28% un mois plus tôt. Dans les pays développés, les consommateurs s’attendent à une hausse de l'inflation et s’inquiètent de son impact sur l’état de leurs finances.
De nombreuses banques centrales partagent cet avis. Dans les pays émergents, les autorités monétaires ont relevé leurs taux directeurs cette année3. Parmi les pays développés aussi, le Canada a surpris les marchés en mettant fin à son programme d'assouplissement quantitatif fin octobre. Les nouvelles projections présentées lors de la réunion de novembre de la Réserve fédérale australienne ont fait état d’un relèvement des taux en 2023 et non plus en 2024. En octobre, le gouverneur de la Banque d'Angleterre (BoE), Andrew Bailey, a déclaré que la banque « devrait agir »4 face aux poussées de l’inflation, tout en maintenant ses taux inchangés lors de la réunion de novembre.
Un tableau complexe
Cette décision de la BoE a pris les marchés par surprise, faisant apparaître une réalité plus complexe. Tandis que les investisseurs craignent un enracinement de l'inflation, certaines statistiques pointent vers la direction contraire. Les contrats à terme sur le gaz européen et le charbon chinois sont à la baisse. Aux États-Unis, l’inflation des prix à la consommation semble atteindre un pic (voir graphique 2). Malgré une solide croissance de l'emploi américain en octobre, celui-ci reste nettement inférieur aux niveaux d’avant la pandémie, suggérant qu’il reste encore des capacités excédentaires sur le marché du travail. Alors que les pays développés se trouvent au seuil de l’hiver, le risque de disruptions liées au Covid – et donc d'affaiblissement de la demande – n'a pas disparu. À quoi s’ajoute le retrait progressif des mesures de relance d'urgence, y compris les dispositifs d’aide aux travailleurs. Nous pensons que les pressions inflationnistes devraient commencer à faiblir en 2022, ce qui soulagerait les banques centrales.
Parallèlement, les attentes des marchés anticipant une hausse des taux directeurs en 2022 aux États-Unis et en Europe nous semblent prématurées. Si la Réserve fédérale (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) reconnaissent que la hausse de l’inflation pourrait durer plus longtemps5, la BCE s’est opposée au calendrier des hausses anticipé par le marché. Pour sa part, la Fed a souligné à plusieurs reprises qu’elle plaçait la barre beaucoup plus haut pour la hausse des taux que pour la réduction des achats d'actifs. Le plein-emploi est loin d’être atteint. Relever les taux directeurs pour conjurer les attentes croissantes en matière d'inflation semble être davantage un impératif pour les marchés émergents que pour les pays ayant un historique de stabilité des prix (en Europe, l’inflation est restée historiquement bien en deçà de l’objectif de la banque centrale). Nous pensons que les premières hausses de taux de la Fed et de la BCE interviendront en 2023.
À bien des égards, la balance des risques pourrait même pencher dans l'autre sens – si la Fed et la BCE retardent trop la hausse de leurs taux directeurs. Durant les 18 derniers mois, les deux banques centrales ont apporté des modifications à leur cadre de ciblage de l'inflation, impliquant désormais un niveau d’inflation inférieur - ou supérieur - à l'objectif pendant plus longtemps. Toutes deux ont, dans un passé pas si lointain, subi des critiques pour avoir relevé prématurément leurs taux (la BCE en 2008 et 2011, la Fed en 2015). Nous tablons sur un « décollage » des taux plus tardif pour la Fed, avec plus de hausses cumulées dans le temps que prévu par le consensus, et un cycle des taux américains culminant à 2,75% dans la seconde moitié de la décennie.
Une épreuve pour les nerfs
Durant les mois à venir, les banques centrales feront face à un délicat exercice d’équilibre pendant qu’elles observeront l’évolution des prix et de l'emploi. Il n'existe aucun manuel pour la reprise post-pandémie. Les responsables de la politique monétaire vont faire la douloureuse expérience des prix élevés des actifs et de la nécessité de sevrer les économies de l'argent gratuit. Au fur et à mesure que la reprise avancera, les mesures d'urgence sous forme d'achats d'actifs seront lentement retirées, la politique budgétaire apportant une aide plus ciblée à ceux qui en ont besoin. L'année prochaine en Chine, la politique budgétaire, et non monétaire, devrait être le principal soutien de l'économie, note un ancien conseiller en politique monétaire6. Nous reviendrons sur la question de la politique budgétaire dans un prochain point de vue du CIO.
Les enjeux sont importants pour les banques centrales – les indications selon lesquelles l'Australie était sur le point d’abandonner sa politique de contrôle de la courbe des taux se sont traduites, en deux jours, par une variation de 50 points de base (pb) des taux à trois ans. Une réévaluation brusque des attentes du marché peut provoquer d’importants dégâts, comme l'a démontré le « taper tantrum »7 de 2013. Les banquiers centraux doivent accorder plus d'attention que jamais à la clarté de leur communication et de leurs messages8. Il s'agit d’un environnement difficile pour les banques centrales, mais le lancement par la Fed de son programme de réduction des achats d’actifs en novembre – suscitant à peine un murmure des marchés – est un signe encourageant.
Comment investir?
Nous préférons rester pleinement investis et adoptons une posture constructive sur les actifs risqués. La volatilité pouvant potentiellement augmenter, les stratégies de couverture de portefeuille semblent pertinentes. S’agissant des expositions obligataires, un contexte de pressions inflationnistes persistantes et d’accélération des anticipations de hausse des taux favorise une duration défensive. Nous préférons prendre un risque de crédit dans la dette des pays émergents en devises fortes et dans le segment du crédit à haut rendement.
Les marchés boursiers n’ont pas été perturbés par la hausse des taux à court terme ; les marchés actions américains ont inscrit de nouveaux records après la réunion de la Fed en novembre. La hausse de l’inflation est historiquement meilleure pour les portefeuilles d'investissement qu’une situation de stagflation, qui a dernièrement suscité des craintes de marché. L’analyse des rendements totaux du S&P500 ne suggère pas non plus qu'un environnement de hausse des taux soit nécessairement mauvais pour les actions : de 1961 à 1966, les taux ont augmenté de 325 pb et l'indice a réalisé un rendement de 37% ; de 2003 à 2006, ils ont augmenté de 500 pb, avec un rendement total de 39 %. Tant que les taux augmentent pour les « bonnes » raisons, à savoir qu'ils reflètent une amélioration conjoncturelle, les actions continuent à bien performer. Nous conservons notre surpondération des actions, en privilégiant les régions et les secteurs où les actifs plus cycliques et de style « valeur » présentent un potentiel de rattrapage, comme le Royaume-Uni et les petites capitalisations.
L'impact le plus considérable des récents développements se fera vraisemblablement sentir sur le marché des changes, où la volatilité reste inférieure aux moyennes historiques, en partie en raison de l'impact des interventions coordonnées des banques centrales. Alors que la croissance mondiale ralentit progressivement et que les chiffres mensuels sur l’inflation pourraient inciter les marchés à continuer d’anticiper une hausse des taux de la Fed en 2022, nous avons adopté une posture plus constructive sur les perspectives du dollar américain. Une plus grande divergence dans la politique monétaire mondiale – parmi les marchés développés, et entre les pays développés et les pays émergents – pourrait générer des catalyseurs plus clairs pour de nombreuses paires de devises. La marée de liquidité des banques centrales reculant progressivement et la croissance ralentissant, une gestion active des expositions des portefeuilles gagne encore plus en importance.
1 https://www.reuters.com/business/with-bond-buying-taper-bag-fed-turns-wary-eye-inflation-2021-11-03/
2 https://www.ft.com/content/5e11b9b8-bfe6-4077-84ff-cf882ad74aec
3 https://www.lombardodier.com/contents/corporate-news/investment-insights/2021/october/emerging-markets-rising-rates-an.html
4 https://www.bbc.co.uk/news/business-58951983
5 https://www.federalreserve.gov/mediacenter/files/FOMCpresconf20211103.pdf
6 https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3154527/chinas-economic-growth-next-year-be-supported-fiscal-policy
7 https://www.investopedia.com/terms/t/taper-tantrum.asp
8 https://www.bbc.co.uk/news/business-27994179
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