perspectives d’investissement
La résilience budgétaire de la Suisse offre des opportunités à son économie
Lombard Odier Private Bank
Points clés
- Nous prévoyons cette année une croissance de l'économie suisse de 4,2% avec un taux de chômage inférieur à 3%
- La nature défensive des actions helvétiques signifie que les investisseurs doivent se montrer hautement sélectifs pour profiter du rebond conjoncturel
- Le sort de la place financière suisse dépend en partie d’un futur accord d'accès au marché entre l'UE et le Royaume-Uni
- La résilience de l'économie suisse ouvre une fenêtre d’opportunité pour investir dans sa croissance future.
La solidité financière et la résilience de l'économie suisse la positionnent pour une reprise en 2021. La crise pandémique a créé de l’espace pour une politique budgétaire expansionniste. Toutefois, contrairement à ce qui se passe chez ses voisins, la reprise conjoncturelle suisse sera portée par les entreprises plutôt que par un plan de relance gouvernemental.
Le Covid-19 frappe durement le système de santé et la population suisse. Selon les données internationales publiées le 17 janvier dernier, la Suisse compte plus de cas pour 100 000 habitants que l'Espagne, la France, l'Allemagne ou l'Italie. Le pays a imposé des mesures supplémentaires à la mi-janvier, en fermant jusqu'à fin février les restaurants, les installations sportives et les magasins non essentiels. Pour l'instant, les vaccinations prennent du retard comparativement au Royaume-Uni, à l'Italie et à l'Espagne, avec un taux avoisinant les 2% pour 100 personnes au 24 janvier, à égalité avec l'Allemagne. Néanmoins, une fois que la campagne fonctionnera à plein régime, les vaccins devraient être rapidement disponibles grâce aux 15,8 millions de doses commandées auprès de Moderna, Pfizer et AstraZeneca.
Parallèlement aux mesures sanitaires destinées à endiguer la pandémie, la Suisse a créé un crédit de 28 md CHF sur quatre ans pour la recherche et l'éducation et lancé un programme de soutien aux exportations et aux PME. Equivalant à 4,8% du produit intérieur brut, le plan suisse de relance pandémique a été modeste comparativement aux montants massifs injectés dans les économies de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, du Japon et des États-Unis (cf. graphique, page 2). Le budget du gouvernement suisse a été excédentaire pendant douze des quatorze années précédant 2020. L'année dernière, la dette brute de l’État a augmenté de presque cinq points de pourcentage par rapport au PIB, pour atteindre 30,4%. Un fardeau de la dette enviable, l'un des plus bas au sein des nations développées.
« Les économistes sont quasiment unanimes : un plan de relance ne ferait pas sens en ce moment, a déclaré Guy Parmelin, président de la Confédération, dans une interview récente. Je pense que le meilleur plan de relance est celui qui permet aux gens de travailler ».
La Suisse bénéficie d'un taux de chômage parmi les plus bas au monde. Sans doute amorti par les mesures de chômage partiel, ce taux a grimpé de 2,5% en février à 3,5% en décembre 2020. Nous nous attendons à ce qu’il repasse sous la barre des 3% d'ici fin 2021. Dans la plupart des économies, de tels niveaux de chômage seraient considérés comme du plein emploi.
La Suisse devrait renouer avec ses niveaux de production d'avant la crise au second semestre 2021 avec une croissance de 4,2%. L'inflation, qui a chuté à -0,7% en 2020 selon l'Office fédéral de la statistique, devrait remonter à un niveau encore modéré de 0,4% en 2021, ce qui n’avait plus été observé depuis 2019. Le taux directeur de la Banque nationale suisse (BNS) restera probablement inchangé à un bas niveau record de -0,75%.
Soutenue par la force du franc
Le mandat de la BNS est d’assurer la stabilité des prix ; parmi les instruments utilisés, la valeur du franc suisse joue un rôle décisif. Le statut de valeur refuge de la monnaie helvétique est à nouveau passé au premier plan durant la pandémie. Alors que les banques centrales qui défendent leur devise contre une dépréciation prennent le risque de se retrouver à court de réserves, la BNS peut, en théorie du moins, continuer à vendre des francs pour acheter des devises étrangères, car elle a les moyens de faire fonctionner la planche à billets. Les interventions sur le marché des changes, a déclaré le président de la BNS, Thomas Jordan, font partie de la boîte à outils dont dispose la banque centrale pour garantir la stabilité de la politique monétaire, en particulier pour contenir une monnaie surévaluée et ainsi soutenir les exportations.
Le 22 janvier, le franc a atteint son plus haut niveau en six ans, à 0,88 franc contre le dollar américain. En 2020, la BNS a enregistré ses interventions les plus importantes depuis 2012, année où elle a maintenu un taux plancher contre l'euro. En nous basant sur les données sur les dépôts à vue, nous estimons que la BNS a dépensé 119 md CHF pour affaiblir la monnaie, contre 10,4 md CHF en 2019. Une grande partie des interventions de l'année dernière ont eu lieu au cours du premier semestre, lorsque la pandémie s’est emparée des économies mondiales.
Une intervention qui n'est pas passée inaperçue. Début décembre 2020, se fondant sur la balance courante, l’excédent commercial et les achats nets de devises supérieurs à 2% du PIB, le Trésor américain a qualifié la BNS de « manipulatrice de devises ». Cependant, il convient de noter que la BNS n’est plus intervenue sur le marché des changes au cours des derniers mois sur fond de reprise du commerce international et de l’activité économique.
S’ajoutant à la solidité financière du pays, la BNS a déclaré un bénéfice de 13 md CHF sur ses positions en devises étrangères pour 2020. En phase avec l'année 2019, elle distribuera un bénéfice de 4 md CHF au gouvernement et aux cantons suisses.
Des actions défensives
Avec 60% de l’indice Swiss Market Index (SMI) composé d'entreprises défensives parmi lesquelles les fabricants de produits de consommation courante et les firmes pharmaceutiques, le marché suisse est défensif par nature. Grâce à quoi, les marchés boursiers y ont mieux résisté à la crise pandémique. Le SMI a affiché une hausse de 4,3 % en 2020, tandis que le SPI Extra a inscrit un gain de 8,1 % sur 12 mois.
Toutefois, alors que les investisseurs se tournent vers les vaccins et que les marchés se concentrent sur la reprise, ce biais défensif offre moins d'opportunités pour capitaliser sur le rebond conjoncturel. En francs suisses, la progression des actions helvétiques est déjà à la traîne par rapport au reste du monde et le ratio cours/bénéfice prévisionnel se négocie à un niveau de 19x.
Concernant la croissance des bénéfices, le consensus table sur une hausse de 17% du SMI cette année et sur une nouvelle progression de 11% en 2022. Toutefois, cela ne représente que la moitié des prévisions pour les autres marchés européens.
Néanmoins, les leaders du marché qui ont créé des positions de niche, notamment de nombreuses petites et moyennes capitalisations, devraient bénéficier de l'amélioration de la demande post-pandémique. Dans ce contexte, nous maintenons une exposition sélective et neutre aux entreprises suisses.
La concurrence internationale
Le secteur financier suisse, qui représente un emploi sur dix dans le pays, est confronté à un nouveau défi. Depuis le 1er janvier, le Brexit positionne le Royaume-Uni comme une place financière rivale. Les deux pays ont publié en avril 2020 une prise de position commune appelant à un « nouvel approfondissement de l’accès mutuel au marché ». Puis, en juin, les deux gouvernements ont signé une déclaration d'intention.
Les deux pays devront négocier avec la Commission européenne l'accès au marché financier de l'UE. Dès lors, l’accès de la place financière suisse à l’UE dépendra en partie de la relation que le Royaume-Uni finira par établir avec le bloc européen au cours des prochains mois ou des prochaines années.
En vertu des plus de 120 accords bilatéraux signés durant les quatre dernières décennies, la Suisse a déjà une certaine expérience des défis posés par une négociation avec la Commission européenne. En juin 2019, l'UE a décidé de ne pas reconduire son équivalence boursière, empêchant ainsi les courtiers basés dans l'UE de négocier des actions sur les marchés suisses et redirigeant sur les plateformes européennes les ordres portant sur les titres européens.
Une fenêtre d'opportunité
L'infrastructure politique de la Suisse, qui délègue de nombreuses décisions à ses 26 cantons, en fait un pays mal équipé pour amorcer un boom économique national équivalent à celui que les États-Unis tentent de provoquer et que l'Union européenne a approuvé l'année dernière. Toutefois, historiquement, cette inertie politique l'a protégée des récessions.
La Suisse peut désormais renforcer sa puissance économique en encourageant ses secteurs privé et public à joindre leurs forces dans le cadre de partenariats public-privé.
La résilience économique à court terme devrait créer une fenêtre d’opportunité pour investir dans l'avenir de la Suisse. Les niveaux relativement bas de la dette publique ainsi que l'excédent de la balance courante, le retour à la croissance économique et le faible taux de chômage sont autant d'éléments qui ouvrent la voie à une reprise durable.
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