perspectives d’investissement
Défis constitutionnels de la zone euro et possible résurgence des tensions sino-américaines : implications et risques pour le marché des changes
Points clés
- La décision de la justice allemande sur le programme PSPP de la BCE constitue un développement imprévu et indésirable qui implique désormais une prime de risque plus élevée pour l’EURUSD.
- Le potentiel d’une appréciation marquée s’en trouve diminué : nous ramenons à neutre notre opinion sur la paire de devises et réduisons nos prévisions à 1,09 (2T 2020) et 1,11 (4T 2020). En outre, nous abaissons notre trajectoire pour l’EURCHF, anticipant désormais un niveau stable de 1,05 tout au long de 2020. Néanmoins, compte tenu de la fluidité de la situation, il convient d’établir plusieurs scénarios et d’analyser les risques.
- Dans le même temps, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine se sont accrues récemment. Elles vont probablement s’intensifier à l’approche des élections américaines de novembre, réduisant le potentiel d’appréciation du yuan. Nous ajustons nos prévisions de taux de change en conséquence et tablons désormais sur 7,08 et 7,03 respectivement pour le deuxième et le quatrième trimestre.
EURUSD : opinion abaissée à neutre
Rappel de notre point de vue sur l’EURUSD jusqu’ici : Jusqu’ici, nous avions une opinion positive à l’égard de l’EURUSD, en raison d’une sous-évaluation déjà importante qui a été accentuée par les mesures de la Réserve fédérale américaine (Fed), qui a ramené ses taux directeurs à un niveau proche de zéro et gonflé considérablement son bilan. La paire EURUSD est désormais sous-évaluée de 9% à un horizon de long terme selon nos estimations (voir graphique 1). Parallèlement, nous avons jugé que la hausse de l’euro serait progressive, le dollar étant susceptible de continuer à intégrer une prime de risque liée à la pandémie de Covid-19 et au ralentissement de la croissance mondiale, en particulier au premier semestre 2020.
Ce qui a changé
Nous avons souligné que l’un des risques susceptibles de remettre en cause cette opinion positive concernait la possibilité que l’UE ne parvienne pas à élaborer un plan de relance budgétaire coordonné convaincant pour endiguer la crise de Covid-19 (à savoir la conclusion d’un accord sur un fonds de relance et sa mise en œuvre en temps voulu). Bien que les progrès soient insuffisants sur ce front, un nouveau risque important est apparu. Le 5 mai, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a rendu une décision plutôt mitigée sur le programme d’assouplissement quantitatif (AQ) de la Banque centrale européenne (BCE) concernant le programme d’achat d’actifs du secteur public (PSPP) mais pas, ou pas encore, concernant le programme d’achat urgence pandémique (PEPP) récemment créé. La Cour a reconnu que le programme d’AQ de la BCE ne violait pas l’interdiction du financement monétaire des Etats membres, conformément à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Elle a toutefois décidé que la banque centrale allemande (Bundesbank) ne peut plus être autorisée à participer au PSPP, à moins que la BCE ne démontre que « les objectifs de la politique monétaire ne sont pas disproportionnés par rapport aux effets du programme sur la politique budgétaire et économique ». La Cour a donné trois mois à la BCE pour réagir afin de régler la situation.
Nous considérons que cette situation n’est pas favorable à l’euro pour les raisons suivantes :
- Ce jugement sape la confiance déjà fragile des investisseurs concernant le projet de la zone euro, sa cohésion et l’Etat de droit dans l’UE. La justice allemande a « franchi le Rubicon » en rejetant la décision de la CJUE, l’institution chargée d’interpréter la législation européenne. La BCE a déclaré qu’elle prenait note de la décision de la justice allemande tout en rappelant la décision de la CJUE de décembre 2018 qui avait conclu que la banque centrale agissait dans le cadre de son mandat de politique monétaire. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a réitéré l’indépendance de la banque, ajoutant que l’institution est directement subordonnée au Parlement européen. Une crise constitutionnelle en bonne et due forme n’est pas encore l’issue la plus probable (voir ci-dessous). Cependant, cette « attaque » juridique (par une institution par essence indépendante du fonctionnement des marchés financiers et n’ayant aucune compétence vis-à-vis de la BCE) risque de créer la confusion et de nuire au sentiment du marché envers la monnaie commune.
- En outre, l’éventualité que la Bundesbank ne participe pas au PSPP voire vende, bien que progressivement, ses titres de créance du secteur public (c’est-à-dire ceux de l’Allemagne) laisse entrevoir la possibilité que les spreads des pays périphériques de la zone euro, notamment ceux de l’Italie, restent élevés.
Cependant, cela ne signifie pas nécessairement que l’EURUSD est sur le point de s’effondrer. Premièrement, d’autres forces sont susceptibles de s’avérer favorables : bouleversement des spreads de rendement, excédent très élevé de la balance courante de la zone euro, réponse budgétaire individuelle de chaque Etat membre à la crise du Covid-19. Deuxièmement, bien que la BCE ne puisse pas répondre directement à la demande de la justice allemande pour éviter de créer un précédent, la Bundesbank devrait être en mesure de fournir une justification satisfaisante et d’éviter ainsi une crise constitutionnelle majeure. Néanmoins, des dommages à court terme ont été causés. En principe, nous ne doutons pas de la détermination de la BCE à accroître son programme PEPP compte tenu des risques liés au virus, mais il existe maintenant un risque plus élevé que la décision de la justice allemande puisse affecter les décisions futures quant à la taille et la composition des achats d’actifs supplémentaires. De plus, cette décision a créé un précédent qui augmente le risque de batailles juridiques similaires entre les tribunaux nationaux et leurs banques centrales nationales. Enfin, il est possible que la décision ouvre la voie à un examen juridique similaire du PEPP.
Pour l’euro, cela engendre une prime de risque plus élevée et la possibilité d’une appréciation sensible a diminué. En conséquence, nous ramenons notre opinion à neutre et abandonnons pour l’instant notre projet de surpondérer l’EURUSD dans nos portefeuilles. Nous abaissons nos prévisions à 1,09 pour le premier semestre 2020 et 1,11 pour la fin de l’année. Nous envisageons la possibilité d’une très légère appréciation, principalement en raison de la baisse plus importante du dollar susceptible d’intervenir au second semestre 2020.
Qu’est-ce qui pourrait nous rendre plus optimistes à l’égard de l’EURUSD ? Nous surveillerons de près les évolutions liées à la décision de la justice allemande et si la Bundesbank, qui semble désormais jouer un rôle plus important sur le sujet, agit comme une soupape de sécurité. En outre, il convient de souligner que cette évolution pourrait obliger les dirigeants de l’UE à accélérer la mise sous toit de leur accord concernant un plan de soutien budgétaire substantiel et coordonné (fonds de relance). Dans un tel scénario, nous pensons que les obstacles diminueraient et nous adopterions un point de vue plus constructif sur l’EURUSD.
Qu’est qui pourrait nous inciter à tabler sur une nette baisse de l’EURUSD ? Toutes choses égales par ailleurs (c.-à-d. les politiques monétaires de la Fed et de la BCE), seule une crise constitutionnelle majeure au sein de l’UE et/ou une incapacité totale de l’UE à établir un fonds de relance lié à la pandémie impliqueraient une forte pression à la baisse pour l’EURUSD. Une inversion de la tendance à l’amélioration constatée sur le front de la pandémie serait également défavorable à l’EURUSD.
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