perspectives d’investissement
L’Art de la guerre commerciale
Lombard Odier Private Bank
Points clés
- La trêve commerciale conclue entre les Etats-Unis et la Chine met fin à la surenchère de tarifs douaniers et engage la Chine à acheter des produits américains. Cependant, la plupart des droits de douane existants sont maintenus et feront l’objet d’une « phase 2 ».
- Les Etats-Unis ne qualifient plus la Chine de « manipulateur de devise ».
- Les questions relatives aux subventions publiques et à la sécurité des télécommunications restent en suspens.
- Les devises émergentes demeurent en dessous de nos estimations de juste valeur.
- Si un nouveau différend éclatait au sujet des termes de l’accord qui vient d’être signé, l'économie mondiale en pâtirait et un retour à l’ère commerciale qui a précédé le multilatéralisme serait probable.
La semaine dernière, les Etats-Unis et la Chine ont signé un accord commercial de « phase 1 » qui a mis fin à la surenchère de tarifs douaniers. Les investisseurs ont salué ce compromis, qui devrait contribuer à contenir l'incertitude économique qui perturbe les flux commerciaux mondiaux depuis le début de 2018. À plus long terme, cette trêve sera le symbole d'une nouvelle ère où la mondialisation a été remise en question.
Selon les termes de l'accord signé le 15 janvier, la Chine achètera aux Etats-Unis des machines industrielles, du pétrole, du gaz et du charbon, des produits agricoles et des services, y compris des services financiers et des assurances, pour un montant total de 200 Md USD sur deux ans, d’ici à 2021. Le texte prévoit que ces achats continueront à augmenter jusqu'en 2025. L'accord préconise également la protection mutuelle de la propriété intellectuelle, une ouverture accrue du marché aux entreprises étrangères et l’instauration d’une procédure de règlement des différends.
« Personne n'a jamais rien vu de tel », a déclaré le président Donald Trump lors de la réunion de signature, ajoutant que « c'est de loin l’accord le plus considérable qui existe dans le monde ». Une opinion qui sous-estime pourtant l'importance, entre autres, du marché unique de l'Union européenne (UE), de l'accord commercial signé par l’UE avec le Japon en 2018 et de la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995. Après l'adhésion de la Chine et de la Russie, les 151 membres de l'OMC représentent aujourd’hui plus de 96,7% du produit intérieur brut (PIB) mondial.
La Chine s'est également engagée à s'abstenir de toute dévaluation compétitive de sa devise et à accroître la transparence de son système de change. En contrepartie, les Etats-Unis ont abandonné la dénomination largement symbolique de « manipulateur de devise » qu’ils avaient attribuée à la Chine. Depuis le début du conflit, le taux de change dollar/yuan (USDCNY) a fortement grimpé, compensant pour partie l’effet négatif des nouveaux droits de douane. La balance commerciale de la Chine avec les Etats-Unis et son compte courant sont tombés en dessous des niveaux qui pourraient justifier l'étiquette accolée par les Américains.
La Banque populaire de Chine a maintenu un taux de change du yuan de 2% à 4% inférieur à ce taux effectif, permettant à l’USDCNY de se situer environ 2% en dessous du cours effectif actuel qui compense la hausse des tarifs. La semaine dernière, la Chine a annoncé une croissance de son PIB de 6,1% en 2019, soit son plus bas niveau depuis 1990. Cependant, les données mensuelles relatives à la confiance et à l'activité ont semblé indiquer récemment un plus bas cyclique. Le moindre signe d’une amélioration de l'économie chinoise entraînerait alors une baisse de l'USDCNY, ce qui situerait le yuan en phase avec l’indice du dollar américain (voir graphique).
Des difficultés à l’horizon
Le conflit sino-américain, qui a éclaté il y a deux ans, est cependant bien plus sérieux. Certains des enjeux les plus épineux, notamment les subventions versées par l'Etat chinois ou la sécurité des télécommunications, ne sont pas traités par cet accord de « phase 1 ».
Le texte maintient également deux tiers des droits de douane récemment appliqués par les Etats-Unis aux importations chinoises et plus de la moitié des taxes imposées par la Chine aux importations de produits américains. Un accord de « phase 2 » n'est pas prévu avant les élections présidentielles américaines de novembre. Dans l'intervalle, les taxes perçues sur les exportations chinoises à destination des Etats-Unis resteront supérieures à 19% en moyenne, soit six fois plus élevées qu'avant le début des tensions commerciales, tandis que les exportations américaines entrant en Chine se verront infliger des droits de douane de 20,9% en moyenne, soit 2,5 fois plus importants qu'en 2017.
Une OMC affaiblie
Sur le plan stratégique, l'accord passé la semaine dernière signe un refus majeur du multilatéralisme ; plus généralement, la mondialisation a fonctionné à l'envers pendant une grande partie de la dernière décennie.
L’accord de « phase 1 » qu’ont conclu les Etats-Unis et la Chine prévoit une « coopération accrue » au niveau de l'OMC et rappelle les droits et les obligations mutuels des deux pays au sein de l'organe mondial du commerce. Malheureusement, l'OMC, qui repose sur un principe de consensus, voit son pouvoir d'arbitrage s’amenuiser peu à peu. Son propre mécanisme de règlement des différends est en train de péricliter car les Etats-Unis bloquent systématiquement la nomination de nouveaux juges à l’instance d’appel de l’organisation. La capacité de l'OMC à contrôler les règles du commerce mondial s’en trouve menacée.
Alors que l'économie mondiale continue de supporter les coûts induits par le différend sino-américain, nous ne devons pas oublier que l'histoire récente des négociations commerciales internationales témoigne des efforts de facilitation de l’activité économique et de concrétisation des promesses de développement de la mondialisation. Les vagues de représailles douanières ont nui aux flux commerciaux car les marchés ont cherché de nouveaux fournisseurs et de nouveaux itinéraires. La trêve entre les Etats-Unis et la Chine aura un effet « plutôt faible », a déclaré la Banque mondiale, qui a réduit ses prévisions relatives au commerce international ce mois-ci. Une reprise lente des échanges commerciaux, ainsi que d'autres tensions géopolitiques, limiteront la croissance du commerce à 1,9% cette année, contre 1,4% en 2019, son rythme le plus faible depuis la crise financière de 2008-2009.
Potentiel haussier des stratégies de portage et des devises émergentes
Dans ce contexte d'incertitude persistante et de recherche de rendement, nous continuons à privilégier les stratégies de portage avec des expositions au crédit à haut rendement et à la dette émergente. Même après avoir pris en compte le déclin structurel des fondamentaux des économies émergentes, les devises de ces marchés restent en dessous de nos estimations de juste valeur, ce qui laisse présager qu’elles s’apprécieront plus fortement en 2020. Nous conservons une opinion plutôt optimiste du yuan et anticipons un taux de change USDCNY de 6,80 pour la fin de 2020, même si les perspectives d’une nouvelle réduction des droits de douane s'amenuisent. Une plus grande maîtrise de leur monnaie par les autorités chinoises, à la suite de l'accord passé, et une amélioration cyclique de la croissance s’avéreraient toutes deux propices.
Si les dispositions signées la semaine dernière n’étaient pas respectées, les Etats-Unis ou la Chine pourraient avoir recours à des mesures de règlement des différends, dont une nouvelle augmentation des taxes douanières. Une telle évolution nuirait à l'économie mondiale et au yuan. Elle compliquerait également la reprise des actifs émergents.
Face à un affaiblissement de l'OMC et dans un contexte multilatéral élargi, la géopolitique du commerce risque de nous ramener à une ère antérieure où la force primait le droit.
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