perspectives d’investissement
En attendant l’Allemagne
Lombard Odier Private Bank
Points clés
- L’Allemagne a besoin d'un nouveau leadership politique et d'une relance budgétaire pour stimuler son économie vacillante.
- De par sa taille, l'économie allemande est essentielle à la bonne santé de l'Union européenne dans son ensemble.
- L'Allemagne disposerait de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire si elle décidait d’accroître sa dépense publique.
- Dans le contexte actuel, nous favorisons l'immobilier européen et privilégions les actions européennes par rapport aux actions américaines. Après la forte chute des marchés actions, les titres européens devraient bénéficier d’un meilleur potentiel de rattrapage.
Après une décennie de forte croissance économique, où l'Allemagne avait joué le rôle de moteur de l'Union européenne (UE), le pays est aujourd’hui devenu un frein à la performance économique de la région. L’Allemagne a un besoin urgent de stimuler son économie ; il en va de son intérêt comme de celui de l’UE. La crise politique intérieure qui a secoué le pays ce mois-ci souligne également le manque de leadership au niveau européen.
L'économie allemande a ralenti en 2019, enregistrant une croissance annualisée de seulement 0,6% de son produit intérieur brut (PIB) – sa plus faible progression depuis 2013 – et évitant de justesse une récession technique. En comparaison, la zone euro dans son ensemble a connu une croissance de 1,2% l'année dernière. Le PIB allemand devrait croître de 1,1% « ou plus » cette année selon Eurostat, soit un peu plus que notre prévision de croissance annualisée de 0,9% pour la zone euro.
L'Allemagne est le premier partenaire commercial de nombreuses économies du bloc européen. Si son économie gagnait en vigueur, c’est l'ensemble de la région qui en bénéficierait, sachant qu'elle représentait 28% du PIB de la zone euro en 2017.
En parallèle, le pays s'efforce de mettre fin à sa dépendance aux sources d'énergie traditionnelles –le nucléaire d'ici 2023 et le charbon d'ici 2038 – et ce au profit des énergies renouvelables. Les fermetures anticipées des centrales nucléaires et à charbon coûteront à l'Allemagne au moins 41 Md EUR. Comme ces sources d'énergie traditionnelles sont situées dans le sud-ouest du pays, des investissements considérables seront nécessaires pour assurer la fourniture d’une énergie propre dans ces régions. En outre, l'Allemagne est en train de mettre en place une taxe carbone afin de réduire de moitié ses émissions d'ici 2030 et atteindre son objectif de neutralité carbone d'ici 2050, un projet dont le coût pourrait représenter jusqu'à 100 Md EUR.
Le secteur automobile allemand offre un bon exemple des défis économiques auxquels le pays est confronté. Il représente environ 5% du PIB, et plus des deux tiers de sa production sont destinés à l'exportation. Toutefois, depuis la mi-2018, les exportations allemandes de voitures particulières ont chuté de plus de 13%. L'année dernière, le secteur a produit le moins de véhicules depuis 1997 en raison du déclin des ventes en Europe, son plus grand marché, ainsi qu'en Chine. Le cycle économique mondial, le ralentissement économique chinois, le différend commercial entre les États-Unis et la Chine et le renforcement des réglementations européennes en matière d'émissions polluantes sont autant de facteurs qui ont rendu les prévisions plus difficiles pour les constructeurs automobiles et ajouté à leurs difficultés à répondre à la demande de véhicules électriques.
De plus, l'épidémie de coronavirus pourrait avoir des répercussions sur les économies de l'UE en général et sur celle de l'Allemagne en particulier. En effet, la Chine représente environ un sixième des ventes des entreprises allemandes.
Marge de manœuvre budgétaire
Si l'Allemagne est confrontée à des défis économiques, elle possède également les atouts qui lui permettraient de stimuler sa croissance. Elle affiche l’excédent courant le plus important au monde, qui atteint 9% de son PIB, et qui, conjugué à une dette publique qui continue de diminuer, lui donne une réelle marge de manœuvre pour investir dans des projets d'infrastructure et pour diminuer les impôts. Les dépenses budgétaires du pays ont augmenté régulièrement au cours des deux dernières décennies mais restent cependant en deçà des niveaux observés dans les années 1990, juste après la réunification. Associé à une hausse des salaires, l’accroissement de la dépense publique permettrait d'augmenter le pouvoir d'achat national et de compenser ainsi la dépendance de l'économie allemande à l’égard des exportations.
Bien que la règle d’or budgétaire inscrite en 2009 dans la constitution de l’Allemagne oblige cette dernière à maintenir un budget équilibré, l'aversion politique envers une hausse de la dépense publique pourrait se réduire à mesure que les inquiétudes relatives à une surchauffe de l’économie se dissipent. Les ministres des finances de la zone euro, dont l'Allemand Olaf Scholz, ont déclaré la semaine dernière qu'ils étaient prêts à accroître l’investissement public en cas de ralentissement économique.
Succession remise en question
L'Allemagne traverse une période d'instabilité politique, avec à sa tête un gouvernement de coalition en situation de faiblesse relative. En décembre 2018, la chancelière Angela Merkel a quitté la présidence du parti de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), laissant la place à sa protégée, Annegret Kramp-Karrenbauer – connue sous le nom d'AKK –, et faisant d'elle, de fait, sa successeure logique au poste de chancelière à la fin de 2021. Ce projet de transition a cependant avorté le 10 février 2020, lorsqu’AKK a démissionné de son poste de chef du parti en raison de sa gestion de la nomination d'un homme politique d'extrême droite.
Plusieurs candidats potentiels sont maintenant à la manœuvre pour remplacer AKK d'ici l'été, dont Jens Spahn, l'actuel ministre de la santé, et Armin Laschet, le Premier ministre de l’État de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Une troisième possibilité serait Friedrich Merz, un ancien leader de la CDU au Parlement, qui apparaît comme un rival de Mme Merkel. Sa nomination éventuelle serait considérée comme une remise en cause directe de la politique de cette dernière, et pourrait provoquer l'effondrement de la coalition gouvernementale déjà instable que la CDU forme avec le Parti social-démocrate (SPD).
L'UE manque également de leadership politique. La période de faiblesse politique de la plus grande économie de l'UE coïncide avec la sortie de l’Union du Royaume-Uni. Parmi les conséquences du Brexit, il y a les interrogations qui se posent aux 27 États membres restants relativement au budget 2021-2027, pour lequel ils vont devoir trouver un nouvel équilibre entre contributeurs nets et bénéficiaires nets.
Outre le ‘‘marchandage’’ que l’UE va devoir mener sur ses finances futures, la région a également besoin que son alliance franco-allemande originelle repense ses ambitions stratégiques. Le président français Emmanuel Macron a appelé à une plus grande coordination européenne sur tout un ensemble de sujets, notamment la technologie, la défense et l’environnement. « La France et l’Allemagne ont une histoire commune d’attente de réponses face aux propositions formulées », a-t-il ainsi déclaré le 15 février 2020.
Quelles perspectives pour les actifs européens?
Que doivent faire les investisseurs en actifs européens face à ces incertitudes ? La première réunion des responsables de la Banque centrale européenne (BCE), sous l'égide de sa nouvelle présidente Christine Lagarde, a confirmé le maintien des taux directeurs à leur niveau actuel. La BCE se concentre désormais sur un examen du cadre stratégique qui devrait être achevé d'ici la fin de l'année 2020. D'ici là, l'approche accommodante de l’institution ne devrait pas être remise en cause.
Dans ce contexte, depuis le début de l'année, l'aversion au risque des investisseurs a soutenu les obligations. Plus précisément, l'épidémie de coronavirus a créé une demande pour les emprunts d'État allemands. Les Bunds à 10 ans se négocient ainsi à -0,50%, soit 21 points de base au-dessus de leur plus bas niveau, et le spread entre les emprunts d'État allemands de référence et les bons du Trésor américain s'est resserré à des niveaux que l’on n’avait plus vus depuis le début de 20181.
Les villes allemandes enregistrent une forte croissance en termes de valeur
Dans cet environnement de rendements faibles à négatifs persistants, l'immobilier européen offre aux investisseurs des opportunités intéressantes. Nous avons progressivement augmenté notre exposition à cette classe d'actifs depuis juin 2019, y compris dans les portefeuilles des investisseurs suisses. Au sein de l'immobilier européen, les villes allemandes enregistrent une forte croissance en termes de valeur, avec des loyers en hausse en raison de la croissance démographique urbaine et de l’augmentation du nombre de biens rénovés. Cette évolution a cependant provoqué un débat politique quant à l’opportunité de légiférer contre de nouvelles hausses des loyers ; nous ne pensons pas que cela se produira. Nous privilégions ainsi des investissements indirects dans des sociétés résidentielles allemandes cotées dont les valorisations rattraperont leur retard une fois l'incertitude dissipée.
Les faibles rendements soutiennent également les valorisations des actions. Nous privilégions les actions européennes par rapport aux valeurs américaines : les titres européens se négocient à des niveaux de valorisation absolus et historiques plus attractifs selon les estimations 2020, à savoir 14,9 fois le bénéfice par action (BPA) contre 19,1 fois pour les actions américaines, et ce malgré des prévisions similaires du consensus quant à la croissance des BPA pour cette année. Après neutralisation du secteur technologique, ces écarts de valorisation ne paraissent que légèrement inférieurs, les marchés actions américains affichant un multiple de 18,8. À la suite de la récente chute des marchés actions, le potentiel de hausse des valeurs européennes devrait être plus important. D'un point de vue sectoriel, nous maintenons une exposition équilibrée entre secteurs défensifs et cycliques, et sommes surpondérés dans les secteurs de la santé, des biens de consommation de base, des technologies de l'information et des services de communication.
Les titres des sociétés allemandes s'échangent avec décote par rapport à leurs homologues européens, en raison de leur plus grande dépendance au commerce mondial, en particulier aux exportations vers la Chine. Sur la base de nos prévisions d’une reprise de l'économie chinoise, et en supposant que les conséquences du coronavirus ne soient que temporaires, nous estimons que les actions allemandes devraient rattraper leur retard vis-à-vis des autres marchés européens.
Du côté des devises, l’EUR/USD a réagi à la faiblesse des chiffres du secteur manufacturier allemand et de la production industrielle de la zone euro. La trajectoire de la devise européenne devrait cependant être plus soutenue si les répercussions du coronavirus restent transitoires et si la production industrielle mondiale se redresse, ce qui affaiblirait le dollar.
Les investisseurs se retrouvent plongés dans une incertitude inhabituelle engendrée par la plus grande économie de l'UE. La croissance balbutiante de l'Allemagne ainsi que sa difficile transition vers un nouveau leadership laissent le pays face à de nombreuses options, à un moment où l'UE se trouve à un carrefour de son histoire. Les choix allemands auront des conséquences profondes pour l'ensemble des actifs européens.
1 Données en date du 25 février 2020.
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