perspectives d’investissement

    Le blues du Brexit et le pari de Johnson

    Le blues du Brexit et le pari de Johnson
    Stéphane Monier - Chief Investment Officer<br/> Lombard Odier Private Bank

    Stéphane Monier

    Chief Investment Officer
    Lombard Odier Private Bank

    Points clés

    • Le gouvernement de Boris Johnson envisage de suspendre les travaux du Parlement britannique alors que le Royaume-Uni s’apprête à quitter l'Union européenne le 31 octobre.
    • Cette décision accroît la probabilité d'un Brexit chaotique et d’élections législatives anticipées.
    • La livre sterling se négocie à son plus bas niveau en deux ans. Cependant, il faudrait certainement un nouvel catalyseur pour qu’elle continue à baisser.
    • Le Royaume-Uni ne dispose toujours pas d’une vision réaliste pour son économie post-Brexit.

    Lorsque les électeurs du Royaume-Uni ont voté en juin 2016 en faveur de la sortie de leur pays de l'Union européenne (UE), les partisans du Brexit leur ont promis pléthore d’avantages économiques. À la date d’aujourd’hui, les Britanniques ont obtenu trois ans de stagnation parlementaire, une monnaie affaiblie et une crise politique qui pourrait bientôt provoquer de nouvelles élections législatives.

    Boris Johnson, qui est devenu Premier ministre du Royaume-Uni en juillet dernier, a annoncé la semaine passée qu'il suspendrait les travaux du Parlement dès le 9 septembre, soit cinq jours après le début de la rentrée parlementaire, puis qu'il les rouvrirait le 14 octobre avec un nouveau programme législatif contenant des propositions en matière de santé, d'éducation et de maintien de l'ordre public. À ce jour, M. Johnson a passé une seule journée au Parlement en tant que Premier ministre. En raison des débats sur le Brexit, la session parlementaire britannique actuelle, qui s’est ouverte en 2017, est la plus longue que le pays ait connu depuis 1945.

    Le Premier ministre a sans doute raison d’affirmer que le Parlement britannique a besoin d'un nouvel agenda en termes de politique intérieure. Toutefois, le moment comme la durée de la suspension, connue sous le nom de « prorogation », ont été largement accusés de n’être qu’une tentative pour empêcher la poursuite du débat sur le Brexit. Avant de devenir Premier ministre, M. Johnson avait promis que le Royaume-Uni quitterait l'UE le 31 octobre, « de gré ou de force, quoi qu'il advienne ». Selon lui, « il y aura tout le temps nécessaire », avant et après le sommet du Conseil européen qui se tiendra les 17 et 18 octobre, pour débattre du Brexit.

    John Bercow, le président de la Chambre basse du Parlement, dont la position requiert la neutralité politique, a qualifié la prorogation de « scandale constitutionnel », ajoutant qu'« il est absolument évident que l'objectif de la suspension est maintenant d'empêcher le Parlement de débattre du Brexit». Alors que nous nous apprêtons à publier ces lignes, des tribunaux écossais, anglais et nord-irlandais ont été saisis dans le but de casser cette décision et l’ancien Premier ministre conservateur John Major a déclaré qu’il allait déposer un recours en justice.

    John Bercow a qualifié la prorogation de « scandale constitutionnel ».

    Morosité économique

    Les indicateurs économiques britanniques sont faibles. Au début du mois dernier, la Banque d'Angleterre (BoE) a abaissé ses prévisions de croissance économique pour le Royaume-Uni de 1,5 % à 1,3 % pour 2019 et de 1,6 % à 1,3 % pour 2020. L’économie britannique s’est contractée de 0,2 % au deuxième trimestre dans le sillage de la baisse de la productivité et des investissements. Ces estimations font par ailleurs l’hypothèse qu’un accord de retrait serait conclu avec l'UE. Si ce n’était pas le cas, ces perspectives déjà moroses ne feraient que s’aggraver.

    « Dans le cas où le Brexit se ferait sans accord, sans transition, la livre sterling chuterait probablement, les primes de risque sur les actifs britanniques augmenteraient et la volatilité continuerait de grimper», a déclaré le gouverneur de la BoE, Mark Carney, le 1er août. Les préparatifs en vue d’une éventuelle sortie sans accord ne peuvent pas « éliminer les ajustements économiques fondamentaux engendrés par la nouvelle relation commerciale qu'un Brexit sans accord impliquerait ».


    Calculs politiques

    La menace de Boris Johnson de suspendre le Parlement n’est peut-être qu’un moyen de provoquer de nouvelles élections.

    La menace de Boris Johnson de suspendre le Parlement n’est peut-être qu’un moyen de provoquer de nouvelles élections. Son gouvernement a hérité d’une configuration parlementaire précaire, qui s’est constituée sous Theresa May. Sa majorité, qui ne tient qu’à un siège, dépend du soutien des dix membres du Parti unioniste démocrate d'Irlande du Nord. Le Premier ministre doit convaincre les partisans du Brexit qu'il est prêt à quitter l'Union européenne le 31 octobre, même sans avoir conclu d’accord, tout en montrant au reste du Parti conservateur qu'il travaille d'arrache-pied pour parvenir à un compromis avec la Commission européenne. M. Johnson a cependant posé comme préalable à tout accord avec cette dernière un réexamen du filet de sécurité irlandais (« backstop »), dont les dirigeants européens n’ont jamais cessé de dire qu’il ne pourrait être supprimé. Le gouvernement britannique affirme cependant qu’il continue de faire des propositions afin de résoudre ce désaccord.

    Le système politique du Royaume-Uni n’encourage pas le compromis.

    Il faut ici se rappeler que M. Johnson n'a jamais déclaré que sa préférence allait à un Brexit sans accord, mais uniquement que cette option devait figurer sur la table des négociations. Il a d’ailleurs voté en faveur de l’accord de retrait négocié avec l’UE par Theresa May, lorsque cette dernière a tenté de le faire adopter par le Parlement une troisième fois.

    Néanmoins, au moment où nous écrivons ces lignes, M. Johnson a également menacé les parlementaires conservateurs opposés à un Brexit sans accord d’être exclus du parti s'ils ne soutenaient pas le gouvernement, laissant clairement supposer qu’il envisageait la tenue de nouvelles élections.

    Des élections se profilent

    Le système politique du Royaume-Uni n’encourage pas le compromis. Pour que le pays soit gouverné efficacement, il faut qu’un parti dispose à lui seul d’une majorité opérationnelle. À défaut d’une telle majorité, la seule solution pour un gouvernement en place est de remettre son mandat au vote dans le but d’en sortir renforcé.

    M. Johnson pourrait décider de convoquer des élections législatives avant le 31 octobre en espérant pouvoir récupérer les voix du Parti du Brexit, afin d’obtenir la majorité.

    Trois scénarios nous semblent possibles au cours des prochaines semaines. Même si le Royaume-Uni quittait l’UE sans accord, une éventualité aujourd’hui bien réelle, ils laissent tous présager la tenue probable d'élections législatives :

    1. Le Parlement pourrait tenter d'adopter une loi empêchant un Brexit sans accord. S’il y parvenait, M. Johnson pourrait alors réagir par l’organisation d’élections législatives, en expliquant aux partisans du Brexit au sein de son parti que sa tentative d’une sortie sans accord a été contrecarrée par les députés.
    2. Un consensus en faveur d’une motion de censure, présentée par le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, pourrait se former au Parlement. La déclaration du président de la Chambre basse Bercow la semaine dernière laisse penser qu'il dégagerait le temps parlementaire nécessaire à l’examen d’un tel texte. Si celui-ci était adopté, l'opposition disposerait alors d'un délai de deux semaines pour tenter de former un gouvernement ; en cas d’échec, des élections législatives seraient organisées.
    3. Enfin, face à un éventuel consensus des parlementaires en faveur d’une motion de censure à son encontre, M. Johnson pourrait prendre les devants et tenter de préserver sa position et l’unité du Parti conservateur en convoquant des élections anticipées avant le 31 octobre.


    Les actifs financiers réagiront

    La réaction des actifs financiers à un vote de censure à l’encontre du gouvernement de Boris Johnson, à la tenue d’élections législatives anticipées ou à un report de la date du Brexit ne se fera pas attendre : nous tablons sur un potentiel de hausse limité pour le FTSE et une stabilisation des rendements des obligations souveraines. Ce contexte engendrerait une sous-performance des valeurs de grande capitalisation par rapport aux petites capitalisations en raison de leur sensibilité à l’évolution de la livre sterling. Cependant, il convient de souligner que tout éventuel rebond resterait tributaire de l’évolution du contexte économique mondial.

    Il en va de même pour le marché obligataire : même si les emprunts d'État britanniques seraient sous pression à court terme, l’ampleur du mouvement demeurerait limitée car le scénario du pire n’aurait pas eu lieu; de surcroît, l’état de la conjoncture mondiale comme nationale incite toujours la BoE à maintenir une posture d'assouplissement.

    Si un Brexit sans accord devait néanmoins survenir, l’aversion au risque serait exacerbée et les flux prendraient l’ascendant sur les valorisations. Les rendements des emprunts d'État à 10 ans passeraient sous la barre des 0 %. Dans un tel contexte, la hausse des anticipations d'inflation finirait par entraîner une surperformance des obligations indexées sur l’inflation par rapport aux obligations nominales. Sur les marchés actions, une forte correction devrait intervenir en raison de la dégradation de l’environnement à l’échelle nationale et internationale et les grandes capitalisations exportatrices devanceraient les petites capitalisations grâce à la faiblesse de la devise.

    Depuis l’annonce de M. Johnson, les rendements des emprunts d’État britanniques à 10 ans sont demeurés inchangés. Au cours de la semaine dernière, l'indice FTSE250 a gagné 0,83 % et l'EuroStoxx50 2,9 %.


    La livre sterling souffre

    Depuis la mi-mars, toutes les devises des pays du G10 et celles des principaux pays émergents ont regagné du terrain par rapport à la livre sterling.

    Pourtant, même si la livre reste proche de son plus bas niveau en deux ans par rapport au dollar américain, 1,20 semble bien constituer un plancher temporaire. Depuis le début de l’année, la devise britannique a chuté de 4,2 % par rapport à l’USD, cédant 2,2 % depuis l'entrée en fonction de M. Johnson. Au cours des mêmes périodes, la livre a reculé respectivement de 0,9 % et de 1,65 % contre l’euro. La GBP a baissé à 1,2015 contre l’USD le 12 août, son plus bas niveau depuis mars 2017, et a enregistré un plus bas à 1,07 contre l’EUR le 9 août. Depuis le référendum sur le Brexit, la monnaie britannique a perdu 16 % par rapport à l’euro et 19 % par rapport au dollar américain.

    Tout bien considéré, la plupart des mauvaises nouvelles ont déjà été intégrées par le marché et de nombreux investisseurs ont pris des positions courtes conséquentes.

    Tout bien considéré, la plupart des mauvaises nouvelles ont déjà été intégrées par le marché et de nombreux investisseurs ont pris des positions courtes conséquentes (voir graphique 1). Par conséquent, il est difficile d'envisager une poursuite de la baisse de la livre en l'absence d'un nouveau catalyseur. D'un point de vue fondamental, la livre semble fortement sous-évaluée. Néanmoins, le chaos actuel et l’incertitude liée au Brexit pèsent indiscutablement sur la devise. Dans notre scénario de référence, qui prévoit qu’un Brexit sans accord sera évité, la GBP se renforcerait de manière significative face aux principales devises, à savoir l’USD, le CHF, le JPY et l’EUR. A contrario, dans un scénario de risque où un Brexit sans accord adviendrait, nous estimons que le taux de change GBPUSD chuterait à 1,10 voire en dessous, tandis que le taux de change GBPEUR pourrait approcher la parité.

    Après plus de trois ans de confusion et de troubles politiques, on en oublierait presque que la partie la plus longue et la plus complexe du processus de divorce n’a pas encore commencé.

    Pour les investisseurs en GBP, une diversification de portefeuille adéquate est nécessaire en l'absence d'une position claire sur le Brexit et d'une vision politique réaliste de l'économie britannique post-Brexit.


    Absence de vision

    Quoiqu’il advienne dans les semaines à venir - un Brexit sans accord, des élections législatives (ou les deux), voire la possibilité d’un nouvel accord entre le Royaume-Uni et l’UE -, le pays n'a toujours pas de plan concret et crédible pour son économie et son rôle international post-Brexit.

    La première chose que le gouvernement britannique - quel qu’il soit - devra faire dès que son pays quittera l'UE, ce sera de lancer des négociations avec la Commission européenne sur leur relation future. Après plus de trois ans de confusion et de troubles politiques, on en oublierait presque que la partie la plus longue et la plus complexe du processus de divorce n’a pas encore commencé.

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