perspectives d’investissement
Les incertitudes entourant la Turquie inquiètent les investisseurs
Lombard Odier Private Bank
Points clés
- Les élections municipales turques de 2019 ont accru l’incertitude politique.
- L’aggravation des fondamentaux économiques se reflète également dans un service de la dette élevé et à un ralentissement des investissements étrangers directs.
- La crédibilité de la banque centrale a été sapée.
- La TRY a chuté de 12 % depuis le début de l’année, ce qui en fait la devise émergente la moins performante de 2019.
- Nous estimons que la monnaie turque est toujours surévalué de 7 %. Les incertitudes rendent de nouvelles baisses de la TRY probables.
- Tant que la banque centrale n’aura pas retrouvé sa crédibilité, nous ne voyons aucun argument macroéconomique convaincant en faveur d’une exposition aux actifs turcs.
Les revers inattendus subis par le parti du président turc Recep Tayyip Erdogan lors des élections municipales du 31 mars dernier et la tourmente politique qui s’en est suivie ont attiré l’attention sur la fragilité économique du pays. Les investisseurs s’interrogent aujourd’hui sur l’indépendance de la banque centrale de Turquie (CBRT) et sur la faiblesse de sa devise.
L’année dernière, le président Erdogan a remporté un deuxième mandat présidentiel de cinq ans mais, peu après cette victoire, des tensions ont éclaté avec les États-Unis à propos de la détention d’un pasteur américain. Conjuguée aux préoccupations des investisseurs concernant les faiblesses économiques sous-jacentes du pays, à une perte potentielle de crédibilité de la banque centrale et à la hausse des rendements américains, cette situation a provoqué un effondrement de près de 50 % de la livre turque (TRY) entre la fin juin et la mi-août 2018. Les élections de cette année ont brisé l’alliance entre le parti de Recep Tayyip Erdogan et les nationalistes, les deux camps se reprochant mutuellement leurs échecs locaux et faisant même appel du résultat à Istanbul, prolongeant de fait l’instabilité politique.
La croissance du PIB de la Turquie a été en moyenne de 7 % sur les 18 mois écoulés à partir de janvier 2017, grâce à des emprunts extérieurs bon marché et à une forte croissance du crédit intérieur. Cependant, cette évolution s’est faite au prix d’une hausse de la dette du secteur privé et de l’aggravation des déficits courants. Nous avons commencé à mettre en garde contre un environnement économique difficile en Turquie dès la fin de 2017.
Les agences de notation Moody’s et S&P ont toutes deux abaissé leur note de crédit sur la Turquie en août dernier et ont maintenu leur perspective négative. Les spreads des credit default swaps turcs (CDS), un indicateur de la confiance des investisseurs dans la capacité d’un pays à rembourser sa dette, sont passés de 313 points de base (pb) à la mi-mars – avant le scrutin électoral – à un plus haut annuel de 463 pb le 26 avril (voir le graphique 1). Les emprunts d’État turcs à 10 ans offrent actuellement un rendement de 18,7 %.
Cette aggravation des fondamentaux économiques est une réalité qui se reflète également dans un service de la dette extrêmement élevé (créances à court terme et paiements d’intérêts), qui représente 180 Md USD pour cette année. Parallèlement, les investissements étrangers directs se sont fortement réduits, à 10 Md USD, soit seulement 1,2 % du PIB. Cela laisse le pays de plus en plus dépendant des flux d’investissement de portefeuille, par nature instables, et conduit les investisseurs à exiger en retour une prime de risque plus élevée.
Atteinte à la crédibilité de la banque centrale et surévaluation de la livre
L’année dernière, les investisseurs ont noté avec soulagement que la banque centrale turque avait relevé les taux d’intérêt à la mi-septembre de 17,5 % à 24 %, afin de limiter l’inflation et de tenter de freiner les attaques spéculatives contre la monnaie.
Les investisseurs redoutent aujourd’hui que l’indépendance de la CBRT ne soit mise à mal, ce qui était déjà advenu au cours des années passées. La semaine dernière, elle ne s’est en effet plus prononcée en faveur d’un resserrement des taux d’intérêt, et ce malgré une inflation proche de 20 % en glissement annuel (après avoir atteint un pic de 25 %).
Il se pourrait par ailleurs que la banque centrale ait procédé de façon subreptice à un assouplissement en mars, avant les élections municipales, a rapporté le Financial Times le 18 avril. Le marché a vu là une tentative de dissimulation de la part de la CBRT, qui a employé une communication peu transparente. La chute des réserves de change pourrait ne plus permettre de défendre la devise turque contre une nouvelle attaque spéculative (voir le graphique 2).
Aggravant encore la perte de crédibilité de la CBRT, la TRY a perdu 12 % depuis le début de l’année, ce qui en fait la devise émergente la moins performante de 2019. Notre modèle suggère que la monnaie turque reste surévaluée de 7 %. De plus, le prix du pétrole a augmenté de 35 % au cours de l’année, point essentiel pour la Turquie qui, en tant qu’importateur majeur, voit de fait les pressions inflationnistes s’accroître pour l’avenir.
La position de la Turquie au carrefour de l’Asie et de l’Europe en a fait historiquement un amortisseur géopolitique. Les tensions stratégiques avec les États-Unis se sont intensifiées à la suite de l’achat par la Turquie d’un système de défense antimissile auprès de la Russie, qui est incompatible avec l’équipement collectif de l’OTAN. En réponse, les États-Unis ont menacé d’imposer des sanctions à la Turquie et ont même évoqué l’annulation de la participation du pays au développement, sur une période de 20 ans, d’un nouvel avion de chasse. La tension qui règne aujourd’hui entre ces deux alliés traditionnels au sein de l’OTAN ne contribue pas à rassurer les investisseurs.
En résumé, la devise du pays reflète ses faiblesses politiques et économiques. Bien que le cours de la TRY ait déjà intégré une multitude de nouvelles négatives, les incertitudes restent encore suffisamment nombreuses pour pouvoir provoquer de nouvelles baisses. Tant que le paysage politique ne s’apaisera pas et, ce qui est encore plus important, tant que la banque centrale du pays n’aura pas retrouvé sa crédibilité, nous estimons qu’il n’y a pas d’argument macroéconomique convaincant en faveur d’une exposition aux actifs turcs.
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