perspectives d’investissement
La hausse des coûts de financement en dollar et l’escalade des tensions commerciales exercent une pression croissante
Notre scénario central ne prévoit pas de repli majeur sur un horizon d’environ douze mois, mais une certaine décélération de la croissance économique mondiale. Le durcissement de la politique monétaire américaine et l’escalade du différend commercial entre les deux grandes puissances mondiales pèsent sur l’équilibre des risques. Il paraît donc judicieux de réduire progressivement le risque du portefeuille et d’adopter un positionnement plus neutre.
En ce début de 4e trimestre 2018, le contexte économique et financier demeure globalement positif. La progression de l’emploi alimente la demande intérieure dans toutes les régions et les volumes de négoce ne s’effondrent pas. Des nuages pointent cependant à l’horizon, assombrissant les perspectives cycliques pour 2019.
Le cycle de taux d’intérêt américain est la première source de préoccupation. Eu égard à la position centrale du dollar dans le système financier mondial, il s’agit en réalité du seul cycle monétaire qui compte. La forte dynamique conjoncturelle américaine, le marché de l’emploi très tendu et une inflation désormais conforme à l’objectif de la Réserve fédérale américaine (Fed) sont autant d’éléments qui laissent penser que le resserrement se poursuivra au rythme annoncé, avec un tour de vis encore d’ici la fin de l’année et trois en 2019 (voir graphique I, page 04). La Fed continuera par ailleurs de normaliser (c’est-à-dire réduire) son bilan, ce qui accentue la pression sur les acteurs économiques les plus vulnérables. Depuis plusieurs mois déjà, on constate que les pays émergents dont l’exposition monétaire est très déséquilibrée ainsi que les sociétés fortement endettées sont les plus touchés. S’agissant du niveau d’endettement, il est à noter que le total des engagements du secteur privé non financier a frôlé ses plus hauts historiques à fin 2017 et qu’il dépasse actuellement les pics qui ont précédé les deux derniers replis économiques.
Le différend commercial entre les Etats-Unis et la Chine constitue l’autre grande source d’inquiétude. Alors que les relations avec d’autres partenaires commerciaux des Etats-Unis, tels que le Mexique, l’Europe et le Japon, s’amélioraient, la confrontation avec la Chine s’est envenimée. Au mois de septembre, l’administration Trump a annoncé que des droits de douane de 10% seraient appliqués sur la majeure partie des USD 200 milliards de produits chinois initialement identifiés, avec effet quasi immédiat (voir graphique II, page 04). Le champ d’application de cette mesure dépasse les attentes même si le taux des droits de douane est inférieur à ce que l’on pouvait craindre, limitant l’impact négatif immédiat sur les marchés financiers. Cela dit, le taux initial de 10% pourrait être relevé à 25% en janvier si aucun compromis n’est trouvé d’ici là. Donald Trump a par ailleurs réitéré ses menaces d’imposer d’autres marchandises chinoises pour un volume d’USD 267 milliards en cas de représailles de la Chine. Or, celles-ci ne se sont bien entendu pas fait attendre.
Une résolution rapide du différend commercial entre les Etats-Unis et la Chine nous semble peu probable. Les élections américaines de mi-mandat aboutiront probablement à un Congrès divisé, les démocrates regagnant la chambre des députés et les républicains conservant leur majorité au sénat. Même l’obtention d’une majorité démocrate dans les deux chambres ne suffirait sans doute pas à inverser les principales politiques économiques de Donald Trump, à savoir les mesures de relance, la déréglementation et le protectionnisme. Les démocrates seraient d’ailleurs peu enclins à adopter une politique budgétaire conservatrice et sont traditionnellement plus en phase avec certaines opinions protectionnistes du président que les républicains les plus conventionnels. Quel que soit le résultat des élections de mi-mandat, il est difficile de voir ce qui pourrait mettre des bâtons dans les roues de l’administration Trump sur la question chinoise.
Quant à la Chine, il nous semble fort improbable qu’elle dévalue activement sa monnaie pour contrer les droits de douane américains. Une certaine dépréciation du yuan face au dollar pourrait être tolérée – tout en maintenant sa stabilité globale face au panier de monnaies par rapport auquel il est géré (voir graphique III, page 04). Laisser les forces du marché peser sur la monnaie permettrait indiscutablement d’atténuer l’impact des droits de douane américains sur l’économie chinoise. Une dépréciation durable du yuan compromettrait cependant les efforts de rééquilibrage déployés par les dirigeants chinois en faveur de l’activité intérieure, renforcerait les risques dans le secteur financier et provoquerait des fuites de capitaux. Plutôt qu’une répétition du scénario de 2015, nous anticipons donc des ajustements à la marge et une volatilité persistante.
Les chances d’un accord entre les Etats-Unis et la Chine dans les semaines à venir sont faibles, même si de nouvelles négociations ont cours. Donald Trump n’est pas disposé à changer de position et la Chine se montre réticente à céder du terrain. Notre scénario de base reste qu’une véritable guerre commerciale sera évitée vu son prix économique, mais qu’il faudra probablement qu’une partie de ces coûts commencent à se matérialiser pour débloquer la situation. Il faut en d’autres termes s’attendre à une escalade du conflit avant de trouver un éventuel compromis.
Cela se traduira par un ralentissement, mais pas un effondrement, de la croissance aux Etats-Unis et en Chine, qui pèsera sur la trajectoire économique mondiale l’année prochaine. En ce qui concerne la Chine, nous prévoyons actuellement une expansion du produit intérieur brut (PIB) de 6,3%, légèrement en deçà des 6,5%+ enregistrés en 2018. Outre-Atlantique, la croissance devrait ralentir aux alentours de 2,5%, contre 3% en 2018, les effets de la relance budgétaire commençant aussi à s’atténuer. Les autres régions devraient mieux résister. Les conditions cycliques au Japon semblent notamment fermes et durables. Dans la zone euro, compte tenu de la vigueur de la demande intérieure et d’effets de substitution positifs sur les exportations, une légère reprise de la croissance (et de l’inflation) est même possible. Quels que soient les souhaits de Donald Trump, les Etats-Unis ne peuvent tout simplement pas pourvoir immédiatement à tous leurs besoins via la production nationale.
Remarque : sauf indication contraire, les données mentionnées dans cette publication sont basées sur les sources suivantes : Datastream, Bloomberg, calculs Lombard Odier.
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