perspectives d’investissement

    La situation politique des marchés émergents en 2018 : un facteur de risques ou d’opportunités ?

    La situation politique des marchés émergents en 2018 : un facteur de risques ou d’opportunités ?

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      Par Stéphanie de Torquat, Stratège macro 

    Les deux dernières années ont été marquées par le risque politique au sein des économies développées, avec le Brexit en juin 2016, suivi de l'élection de Donald Trump en novembre de la même année, puis de la montée des partis eurosceptiques tout au long de 2017, un phénomène qui a culminé avec la présence de Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle française.

    Le reste de l’année 2018 devrait cependant connaître une accalmie dans les économies développées, malgré les discussions en cours autour du Brexit et le risque d'une longue période d'incertitude en Italie. En revanche, l'agenda politique des économies émergentes est pour sa part assez chargé, et il est utile d'évaluer l'impact potentiel d’un certain nombre d’échéances électorales à venir dans ces régions.

    Colombie

    Les élections législatives auront lieu dès cette semaine (11 mars), suivies des présidentielles au printemps (27 mai).

    Depuis la signature d'un accord de paix avec le gouvernement en septembre 2016, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont créé un parti politique légal. Cependant, la situation ne s'est pas entièrement stabilisée et l'un des principaux défis qui incombera à l’administration prochainement élue sera de faire en sorte que cet accord soit respecté. Le gouvernement est également en pourparlers avec le deuxième groupe rebelle du pays, l'Armée de libération nationale (ELN), mais ces négociations restent pour le moment tendues.

    Des divisions profondes au sein du Congrès, ainsi que dans les principaux partis politiques, constituent une source de risque importante pour les élections législatives à venir. Le pays pourrait se retrouver dans une situation où aucun parti ou aucune coalition ne remporterait de victoire globale, ce qui pourrait bloquer les négociations avec l'ELN et les FARC.

    En ce qui concerne les élections présidentielles, le président actuel, Juan Manuel Santos, ne peut pas briguer de nouveau mandat et le prochain président aura besoin d’avoir les épaules solides puisqu’il héritera d'une situation politique, économique et sociale encore instable.

    D’un point de vue macro-économique, les choses vont dans la bonne direction.

    En effet, la hausse du prix du pétrole, qui est la principale exportation du pays, a conduit à une amélioration significative de la balance commerciale et du double déficit (voir graphique 1). Dans le même temps, elle a également déclenché un cycle vertueux de désinflation, de baisse des taux et de reprise de la croissance. Compte tenu de notre objectif de prix de 64 USD pour le baril de Brent en fin d'année, cette dynamique devrait se maintenir ; en parallèle, toute évolution éventuelle de la situation avec les FARC et avec l'ELN dépendra du parti qui remportera les élections.

    Russie

    Les élections présidentielles se tiendront le 18 mars.

    Peu de doutes subsistent quant au résultat de ces élections. Cela dit, il sera intéressant de voir à quel point la victoire de Vladimir Poutine sera significative, son administration s'étant fixé un objectif de « 70/70 », à savoir obtenir 70% des voix avec une participation électorale de 70%.

    Cela dit, le vrai risque politique en Russie se situe plutôt au niveau international puisque les sanctions américaines pourraient s'intensifier avant les élections de mi-mandat de novembre en réponse aux allégations d'ingérence russe dans le vote à la présidentielle américaine de 2016.

    Comme en Colombie, le cycle économique de la Russie dépend fortement du pétrole (avec une corrélation proche de 1 entre le rouble et les prix du Brent), ce qui a permis à la banque centrale d’initier un cycle de baisse des taux. Cela étant, la banque centrale est restée prudente et les taux réels restent relativement élevés (voir graphique 2). Cela signifie donc que le cycle d'assouplissement n'est probablement pas terminé et que les actifs russes pourraient offrir des opportunités d'investissement intéressantes, d’autant plus que les fondamentaux sont solides (balance courante excédentaire, déficit budgétaire maîtrisé, reprise des investissements directs étrangers malgré les sanctions et des réserves internationales élevées couvrant plus de 100% de la dette extérieure en devises étrangères). En outre, d'un point de vue cyclique, l'organisation de la Coupe du Monde de la FIFA cette année pourrait contribuer à attirer de nouveaux investisseurs.

    Néanmoins, la Russie reste confrontée à des risques persistants à court terme (sanctions américaines) et à des défis à plus long terme, comme le vieillissement de la population et la nécessité de réformes structurelles pour diversifier les sources de revenus du pétrole.

    Hongrie

    La Hongrie ne présente pas de risques politiques… mais cela n’est pas nécessairement une bonne nouvelle.

    En effet, le gouvernement Fidesz est quasiment certain de remporter les élections législatives du 8 avril, ce qui ne fera qu’encourager le Premier ministre Viktor Orban dans sa rhétorique anti-européenne. Ce dernier a en effet exploité les thèmes de la crise des migrants et du terrorisme islamique en Europe pour asseoir sa popularité et se présenter comme le protecteur de la culture hongroise. Il a également resserré son emprise sur les médias et introduit de nouvelles lois visant à restreindre la liberté d'expression et les activités des organisations non gouvernementales étrangères.

    Pour ces raisons, il est de plus en plus probable que la Commission européenne propose de prendre des sanctions en déclenchant l'article 7 du traité de Lisbonne (comme ce fut déjà le cas pour la Pologne). La Pologne et la Hongrie se protégeant mutuellement, rien de concret ne devrait en résulter, mais cela pourrait néanmoins entraîner une réduction des financements européens à partir de 2021 et affaiblir la position du pays au sein de l'UE, affectant ainsi son potentiel de croissance à long terme.

    Sur le plan économique, la dynamique est forte, mais des risques de surchauffe apparaissent.

    En effet, au lieu de profiter de la solide croissance actuelle du pays pour réduire une dette publique relativement élevée, les autorités prennent des mesures de relance budgétaire et monétaire. À ce stade, les pressions inflationnistes restent limitées, mais avec un excédent de la balance courante qui se réduit rapidement et de fortes pressions haussières sur les salaires, nous ne serions pas surpris de voir l'inflation s'accélérer (voir graphique 3).

    Malaisie

    Si la date des élections législatives malaisiennes doit encore être confirmée, elles devront dans tous les cas se tenir avant le 24 août.

    La coalition actuelle, dirigée par le Premier ministre Najib Razak, se maintiendra probablement au pouvoir en dépit du scandale financier « 1MDB » survenu en 2016 (dans lequel 3,5 milliards de dollars ont été détournés du fonds souverain malaisien 1MDB, dont 681 millions de dollars auraient été versés à Najib Razak).

    De plus, l'ancien mentor de ce dernier, Mahathir Mohamad, a décidé de se présenter sous les couleurs de l'opposition afin de le déstabiliser. Par conséquent, cette élection pourrait s’accompagner d’une intensification de la rhétorique raciale ainsi que des tensions sociales.

    Cela dit, il y a selon nous peu de raisons de s'inquiéter, d'autant plus que les fondamentaux économiques de la Malaisie sont solides. Le pays bénéficie en effet d’une forte croissance compte tenu de son statut de pays à revenu élevé / moyen et sa politique monétaire est remarquablement stable (voir graphique 4). Il est vrai que les dettes extérieure et privée sont assez élevées, mais la balance courante est excédentaire et le déficit budgétaire sous contrôle, sachant que le pays est également un bénéficiaire net de la reprise du pétrole.

    Inde

    Les 29 États indiens élisent leur propre assemblée législative tous les cinq ans. Ces élections locales ont un rôle plus important qu'il n’y paraît.

    Cette année, huit États organisent des élections dont trois sont particulièrement importantes car a) elles donnent droit à un grand nombre de sièges à la chambre haute du parlement indien et b) elles contribueront à évaluer la popularité du Premier ministre Narendra Modi avant les élections législatives de 2019.

    Les trois États clés qui se rendent aux urnes cette année sont le Rajasthan, le Madhya Pradesh et le Karnataka.

    Nous regarderons donc de près si le parti de Narendra Modi, le BJP, parviendra à reprendre l’État majeur du Karnataka à l'opposition, le Congrès National Indien (mai 2018). Nous serons également attentifs à la conservation ou non par le BJP de ses bastions du Rajasthan et du Madhya Pradesh (avant janvier 2019).

    En effet, l'Inde est un pays qui dispose d’un potentiel économique immense, mais des réformes de l'offre restent essentielles pour qu’il se concrétise.

    Or, depuis son arrivée au pouvoir, Narendra Modi a initié d’importantes réformes qui ont conduit à une réduction du déficit de la balance courante, à une augmentation des investissements étrangers directs et à une reconstitution des réserves internationales (voir graphique 5).

    Il a également mis en œuvre sa fameuse réforme de la « TPS » (taxe sur les produits et services) qui devrait contribuer à élargir une base fiscale trop faible.

    En termes de politique monétaire, l'ancien gouverneur Raghuran Rajan a rétabli la crédibilité de la banque centrale en maîtrisant l'inflation, permettant ainsi à son successeur, Urjit Patel, de maintenir une position accommodante.

    Enfin, à la fin de l'année dernière, le gouvernement a commencé à s'attaquer au point faible du pays, le secteur bancaire, en annonçant un plan de recapitalisation d'un montant de 32 milliards de dollars. Le mouvement porte déjà ses fruits avec un rebond significatif des prêts bancaires et de la croissance de la masse monétaire.

    Mexique

    L'élection présidentielle mexicaine (1er juillet) est probablement l'élection la plus importante à se tenir cette année au sein des marchés émergents - et ce d’autant plus que l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) est en cours de renégociation.

    Selon les derniers sondages, le candidat anti-système « AMLO » (Andres Manuel Lopez Obrador) a de réelles chances de remporter le scrutin après ses défaites en 2006 et 2012.

    Malheureusement, une victoire d'AMLO freinerait probablement l'approche réformiste et « pro-business » du pays, et la probabilité que la renégociation de l'ALENA tourne court augmenterait.

    Sur le plan économique, le Mexique a souffert depuis que Donald Trump a été élu président des États-Unis, la baisse du peso entraînant de fortes pressions inflationnistes et obligeant la banque centrale à resserrer sa politique monétaire (voir graphique 6).

    Cela étant, la croissance est restée relativement résiliente (voir graphique 6), grâce à des fondamentaux structurels solides, tels qu’un déficit courant faible, une main-d'œuvre croissante devenue plus compétitive que celle de la Chine et une série de réformes structurelles mises en œuvre ces dernières années.

    Dans ce contexte, notre scénario économique pour le Mexique est binaire.

    Si AMLO n'est pas élu et que l'accord final sur l'ALENA n'est pas trop disruptif, la situation économique devrait s'améliorer. En revanche, une victoire d'AMLO et / ou une fin abrupte de l'ALENA entraîneraient probablement de nouvelles difficultés pour le pays.

    Brésil

    Enfin, et ce ne seront pas les moindres, les élections présidentielles brésiliennes (7 et 28 octobre) pourraient constituer cette année la deuxième échéance la plus importante après la mexicaine.

    En dépit d’une forte dynamique conjoncturelle, le pays souffre en effet d'un système de retraite largement déficitaire, qui engendre l'un des pires déficits publics parmi les pays émergents (voir graphique 7).

    Malheureusement, le Brésil n’a pas de leader fort, capable de mener des réformes structurelles impopulaires mais nécessaires – à l’image de Mauricio Macri en Argentine.

    L’ancienne présidente Dilma Rousseff a en effet été destituée dans le cadre du scandale Petrobras. Son successeur, Michel Temer, qui a également été impliqué dans des scandales de corruption, est extrêmement impopulaire. Et le seul candidat qui fasse la une des journaux pour l’instant est l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, qui est actuellement condamné à une peine de prison pour corruption, et qui n'a pas le droit de se présenter à une élection à ce stade.

    En conséquence, la course à la présidence reste largement ouverte et cette élection pourrait marquer un tournant dans l’orientation des politiques menées, en fonction de la capacité du prochain président à réformer en profondeur le système des retraites.

    Sur le plan économique, la dynamique est forte grâce à un environnement mondial favorable qui a permis un cycle de réduction rapide des taux. Cependant, malgré une nette amélioration du déficit de la balance courante, le déficit budgétaire est beaucoup trop important (voir graphique 7) en raison d'un système de retraites déficitaire, où les dépenses sont en hausse et les recettes sont en baisse. Tant que ce problème ne sera pas résolu, le pays ne sera pas en mesure de maintenir durablement des taux d'intérêt à un chiffre et une inflation basse.

    En résumé, sept élections majeures auront lieu cette année dans les principaux pays émergents, dont deux seront des facteurs de changement potentiel (les élections présidentielles mexicaine et brésilienne), une ne devra pas être sous-estimée (la série d’élections locales en Inde) et quatre autres seront a priori sans conséquence sur la dynamique actuelle de leurs économies respectives (les élections législative et présidentielle colombiennes, l’élection présidentielle russe, les élections législatives hongroise et malaisienne).

     

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