perspectives d’investissement

    La productivité à l’ère numérique

    La productivité à l’ère numérique
    Stéphane Monier - Chief Investment Officer<br/> Lombard Odier Private Bank

    Stéphane Monier

    Chief Investment Officer
    Lombard Odier Private Bank

    Lorsque Steve Jobs dévoilait en 2007 le « révolutionnaire et magique» iPhone, il semblait plausible d’imaginer que les smartphones modifieraient non seulement notre façon d’interagir, mais qu’ils nous permettraient aussi d’améliorer notre productivité. En réalité, la croissance de la productivité dans de nombreuses économies développées a été réduite de moitié, voire plus, dans la décennie qui a suivi l’arrivée de l’iPhone. Quelles en sont les raisons et pourquoi les investisseurs devraient-ils s’en préoccuper?


    Le paradoxe de la productivité

    Cette contradiction entre des innovations potentiellement révolutionnaires et le déclin de la productivité est connue sous le nom de paradoxe de la productivité. Comment les statistiques de productivité peuvent-elles être si décevantes à l’ère de bouleversements technologiques tels que les voitures autonomes, le big data et l’intelligence artificielle? La révolution numérique, ou quatrième révolution industrielle, serait-elle simplement moins révolutionnaire que les trois premières qui nous ont apporté l’électricité, les produits chimiques et le téléphone? Cette question est cruciale, car le ralentissement de la croissance de la productivité engendre une baisse du produit intérieur brut ainsi qu’une progression plus faible des bénéfices des entreprises, ce qui, d’ordinaire, ralentit à son tour l’augmentation du prix des actions.

    Examinons d’abord les données. Depuis la crise financière, les statistiques de productivité démontrent qu’il existe une tendance commune. La productivité du travail aux États- Unis a augmenté en moyenne de 0,8% par an depuis 2010, contre 2,9% au cours de la dernière décennie et 1,8% au cours des cinquante dernières années (voir graphique 1). Ce même scénario se vérifie pour les économies de l’OCDE (voir graphique 2). Cette baisse est préoccupante car le progrès technologique est un des facteurs clés de la croissance potentielle à long terme.

    «La productivité fournit l’argent nécessaire aux augmentations de salaire. Et c’est elle qui améliore le niveau de vie», a déclaré Andy Haldane, économiste en chef de la Banque d’Angleterre, dans un discours prononcé le 28 juin. Le décrochage des salaires réels et de la croissance de la productivité «est quasiment sans précédent à l’époque moderne; c’est une “décennie perdue” et cela n’est pas prêt de s’arrêter», a-t-il ajouté.

    L’incapacité de la technologie à stimuler la productivité est aussi connue sous le nom de paradoxe de Solow, après la parution en juillet 1987 de la recension d’un ouvrage dans laquelle l’économiste Robert Solow, lauréat du prix Nobel d’économie, soulignait qu’une révolution technologique s’accompagnait «partout... par un ralentissement de la croissance de la productivité».

    Plusieurs économistes accusent les nouvelles technologies de limiter les gains de productivité tout en créant des attentes élevées. Il existe trois explications possibles à l’inadéquation entre la réalité statistique et les espoirs suscités. Soit nous sommes trop optimistes quant à l’impact potentiel des innovations, soit nous sommes trop pessimistes quand il s’agit de mesurer la productivité, soit… un peu des deux.

    Pour certains, la technologie permet essentiellement de fabriquer plus rapidement des produits qui existaient déjà. Ainsi, au fil du temps, les secteurs à faible productivité viennent à occuper une part plus importante de l’économie. Et plutôt que de créer de nouveaux produits, ce sont les biens existants qui deviennent moins chers au fur et à mesure que l’innovation avance, avec comme résultat une baisse des dépenses de consommation en biens manufacturés. Toutefois, nous savons (ou devrions savoir) que la maximisation de la richesse matérielle ne nous rendra pas plus heureux, mais que les services pourraient en revanche y parvenir.


    Optimisme et pessimisme

    Mais il se pourrait qu’aujourd’hui nous soyons proches d’un tournant. La digitalisation s’intensifie grâce aux synergies qui existent entre différentes technologies. Prenons l’exemple de l’industrie alimentaire qui recourt à une automatisation accrue. Ou celui de l’agriculture, où  l’utilisation  des  micro-capteurs  et du big data aboutit à une réduction de gaspillage, une meilleure efficacité des intrants et une baisse des coûts. Ou encore l’exemple de l’évolution de l’Internet des objets, qui associe des objets du monde réel à une gestion interconnectée. En d’autres termes, les gains de productivité engendrés par des innovations numériques telles que l’intelligence artificielle, le cloud, l’impression 3D et la gestion de données blockchain n’en sont qu’à leurs balbutiements. Tout comme il a fallu des décennies pour comprendre comment réorganiser les usines pour faire le meilleur usage de la dynamo électrique qui a remplacé le moteur à vapeur.

    D’un autre côté, l’économiste et historien Robert Gordon évoque la théorie de la « stagnation séculaire», postulant que l’âge d’or de l’innovation est révolu. Robert Gordon considère que nous surestimons l’impact des avancées technologiques actuelles dans l’appareillage médical, l’intelligence artificielle ou l’Internet des objets, car l’iPhone, par exemple, a des retombées économiques bien plus limitées que les « grandes inventions » telles que l’électricité ou l’automobile. De plus, si l’iPhone est en mesure de nous aider à profiter de notre temps libre, il nous distrait lorsque nous sommes censés être plus productifs. En outre, il est probable que les bouleversements technologiques tendent à se concentrer dans des entreprises, des secteurs et des pays spécifiques, ce qui génère des profits économiques privés plutôt que des gains de productivité plus généralisés.

    Qui plus est, les sceptiques affirment qu’il est faux de penser que l’innovation technologique se propage à l’ensemble de l’économie au fur et à mesure que les spécialistes de la technologie passent d’une entreprise à une autre; en réalité, ces derniers tendent à se déplacer entre les institutions les plus innovantes, abandonnant ainsi la grande majorité d’entreprises à leur sous-performance technologique.


    Débats statistiques

    Les optimistes soutiennent que les statistiques ne reflètent pas la réalité car les modèles actuels ne sont pas capables de saisir correctement la contribution de la nouvelle économie. En effet, l’évolution sectorielle de l’industrie vers les services dans les économies avancées est un point essentiel de la résolution de l’énigme de la  productivité.  Bien qu’ils représentent une petite part du PIB, les nouveaux services numériques tels que les médias sociaux, les moteurs de recherche ou les applications d’apprentissage automatique (machine learning) peuvent améliorer notre niveau de vie et rendre l’économie plus efficace. Par exemple, l’année dernière, Google a réduit de 40% la quantité d’énergie nécessaire au refroidissement de ses centres de données en appliquant l’apprentissage automatique pour optimiser les ressources. En ce sens, les statistiques empiriques peuvent effectivement s’avérer trop pessimistes.

    Enfin, les optimistes comme les pessimistes pourraient s’accorder sur le fait qu’il faut du temps pour traduire le progrès technologique en croissance de la productivité. Ce décalage entre la disponibilité d’une innovation et la propagation de son usage dans l’économie pourrait expliquer à la fois la faible croissance de la productivité et les attentes face aux nouvelles technologies. En effet, les nouvelles technologies nécessitent de nouvelles compétences, de nouveaux modèles économiques, des innovations complémentaires et des réglementations adéquates. Comme l’a  reconnu  Robert  Solow en 1987, « les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques de productivité». Et, une décennie plus tard, la productivité commençait à augmenter. C’est la même évolution qui a été constatée pour l’automobile, qui a soulevé l’enthousiasme au début des années 1900 alors que son impact visible sur la productivité ne s’est manifesté que dans les années 1920.

    Ces deux perceptions ne prennent pas non plus en compte des baisses intermittentes de la productivité qui surviennent indépendamment de l’innovation technologique.


    Quelles conséquences pour les actions?

    La chute des dépenses en capital (capex) à la suite de la crise financière a nui à la productivité. En effet, avec un taux de chômage élevé, les entreprises ont eu davantage recours à l’utilisation de la main d’œuvre qu’aux investissements dans l’infrastructure. Alors que les conditions monétaires commencent à se normaliser, la hausse des dépenses en capital pourrait améliorer la productivité à mesure que les salaires augmentent et que les entreprises investissent dans les machines et dans l’équipement. Les investisseurs devraient dès lors commencer à récompenser les entreprises qui injectent de l’argent dans leur propre activité.

    En somme, les optimistes anticipent probablement trop et les pessimistes sont excessivement déçus. Stagnation démographique, endettement incontrôlé et inégalités croissantes pourraient maintenir la productivité à un niveau faible si à terme la technologie n’améliore pas la productivité. Nous sommes d’avis que des technologies telles que les voitures sans conducteur ou l’intelligence artificielle s’avèreront des innovations significatives, aux conséquences positives sur la productivité et sur la croissance économique dans un avenir proche, mais qui nécessiteront du temps, de la patience et de l’adaptabilité.

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